Quotidien, le TPMP de l’actualité ?

Lorsqu’on regarde Quotidien sur TMC, il flotte comme un air de Lampedusa. Non pas cette petite île italienne – sujet que l’émission de Yann Barthès a déjà traité par le passé (surtout lorsqu’il présentait Le Petit journal) –  devenue à la fois forteresse macabre et cimetière mais l’auteur du Guépard. Dans le roman, le neveu du personnage éponyme, Tancredi Falconeri affirme que « pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », phrase que l’on a souvent modifiée en « il faut que tout change pour que rien ne change ». Dans le cas de Quotidien, cette phrase s’applique doublement, dans une sorte de mise en abîme. La première application, la plus évidente, concerne le passage de Canal + à TMC puisque Yann Barthès a recréé presque tout l’esprit du Petit journal sur la chaine du groupe de TF1.

La deuxième application, bien plus intéressante celle-là, est à propos du format même de l’émission présentée par Yann Barthès – ce qui englobe Quotidien mais aussi Le Petit journal dans ses dernières années. Le surgissement de cette émission dans le paysage audiovisuel français a été présenté comme une profonde rupture. L’infotainment à l’américaine arrivait en France. La réalité c’est bien plutôt que le système médiatique dominant s’est adapté pour conserver sa prééminence. Depuis le début de la saison Touche Pas à Mon Poste et Quotidien se tirent la bourre. Les deux talk-shows luttent en effet pour être l’un devant l’autre. Nombreux sont les téléspectateurs de Quotidien à pérorer avec arrogance sur le fait qu’eux regardent un programme intellectuel tandis que TPMP n’est qu’un ramassis d’absurdités. Pourtant, y a-t-il réellement une différence de nature ou simplement une différence de degré entre les deux émissions ? Alors oui l’émission de Cyril Hanouna a encore passé un stade cette année dans les blagues graveleuses et autres défis ridicules, oui Quotidien traite parfois (assez rarement tout de même) de sujets graves mais dans le fond les deux émissions me semblent répondre à une même logique.

 

Le degré zéro de l’information

 

La littérature sur le traitement de l’information particulier dans les émissions de Yann Barthès est déjà conséquente mais il ne me semble pas absurde de revenir sur ce point. S’assumant pleinement comme un pionnier de l’infotainment – ce mélange hétéroclite entre l’info et le divertissement, parfois même leur entrecroisement – Yann Barthès a toujours placé cette pratique au cœur de ses émissions. Aussi peut-on passer d’un sujet absolument dérisoire tel que des politiciens dormant à l’Assemblée au conflit contre Daech ou d’un sujet sur la fashion week à un reportage au Brunei. Le traitement des questions politiques est sans doute le plus révélateur de ce mélange à la fois hétérogène et absurde au sens camusien du terme. Lorsque les équipes de Yann Barthès abordent ces questions, ce n’est jamais pour analyser réellement ce qui se dit ou se fait dans les hémicycles ou les manifestations mais simplement pour se moquer.

Ce faisant, ces émissions participent grandement d’un phénomène qu’elles prétendent combattre à savoir la montée du Front National. En se contentant de ridiculiser les politiciens – qui sont ridicules sur bien des points là n’est pas la question – sur des questions de forme sans jamais aller dans le fond des choses, l’émission accompagne et accentue la dynamique du « tous pourris » dont se nourrissent en général les partis d’extrême-droite. Toutefois, la moquerie est plus profonde chez Quotidien puisque non contents de brocarder les politiciens, les journalistes s’attaquent également aux militants en faisant preuve d’un mépris et d’une morgue crasses. Il n’y a qu’à visionner à nouveau la séquence du meeting de Valls au cours de laquelle un militant interpelle violemment Hugo Clément. L’air goguenard du journaliste et de Yann Barthès en disent long sur leur mépris, qu’ils ne prennent même pas la peine de cacher (Daniel Schneidermann a d’ailleurs écrit une excellente chronique à ce propos). Certes, rien n’excuse la violence du militant mais en regard de celle-ci, la violence symbolique portée par le journaliste et l’animateur me semble bien plus grande.

 

Bouffons du roi ?

 

Cette absence totale d’analyse de fond et la priorité donnée à la moquerie sur la réflexion conduisent, sans surprise, Quotidien à n’être que l’idiot utile du système politique tel qu’il est organisé aujourd’hui. En ce sens, il n’est guère surprenant que l’émission ait quasiment fait campagne pour Hillary Clinton, la représentante la plus éclatante du système politique actuel – comme presque l’ensemble des médias français. Les journalistes de l’émission remplissent donc pleinement le rôle qui était anciennement dévolu au bouffon à une différence près – et elle est notable – qu’ils ne sont pas chargés d’amuser les politiciens (qui n’apprécient souvent pas d’apparaître dans l’émission) mais bien la population afin finalement de détourner la colère légitime que l’on pourrait ressentir non pas sur le fond des propositions mais plutôt sur la forme.

C’est, en somme, l’avènement du « changeons les pratiques » alors qu’une émission de fond montrerait qu’il faut changer les choses bien plus profondément que cela. Quotidien s’inscrit en quelque sorte dans la lignée des « décodeurs », de ceux qui montrent l’absurdité de certaines actions et c’est en toute logique qu’il déplore l’entrée dans l’ère de la « post vérité » ce concept popularisé après la victoire de Trump. Parler de post vérité pour mieux éviter de parler de journalisme post-politique comme l’a brillamment décrit Frédéric Lordon dans un billet de blog récent. Après tout, le problème n’est pas tant que Quotidien (ou Le Petit journal) fasse le choix de l’infotainment ou d’être bouffon du roi c’est bien plus que l’on nous présente ces émissions comme les plus subversives qui soit. Que l’on en vienne à considérer ceci en dit long sur l’état de délabrement intellectuel dans lequel est plongé dans notre pays en même temps qu’il souligne la prééminence du politiquement correct dans la grande majorité des médias. Oui Quotidien est sans doute l’une des émissions les plus subversives du PAF, cela veut-il dire qu’elle le soit énormément ? Assurément pas.

Résumons, relativement Quotidien est l’une des émissions les plus subversives dans les médias mainstream mais elle reste une émission diffusée sur TMC, propriété de Monsieur Bouygues. Il n’est donc guère étonnant d’en arriver au constat tiré tout au fil de ce papier. Les réels médias subversifs ne sont pas à chercher du côté des grands groupes mais bien plus sur internet (qui permet la publication indépendante plus facilement). Si vous souhaitez réellement regarder quelque chose qui vous fera réfléchir sur le fond des choses préférez donc Usul, Osons causer et bien d’autres médias alternatifs que Quotidien. Finalement, Hanouna et Barthès ne sont pas aussi éloignés que ce qu’on nous dit à longueur de temps, comme le suggère d’ailleurs leurs audiences.

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