« Aussi, j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle ». En une phrase et treize petits mots, François Hollande a envoyé valser toutes les certitudes et prévisions pour la campagne présidentielle qui s’annonce. Alors évidemment, depuis l’annonce de jeudi dernier nombreux sont ceux qui tentent de nous expliquer que c’est totalement logique et qu’une telle décision était attendue (nous avons vu le même phénomène poindre au moment du Brexit ou lors de l’élection de Trump). La vérité, c’est qu’en cette soirée de décembre aux alentours de 20h10 nous avons vécu un moment d’histoire en direct. C’est en effet la première fois qu’un Président de la Vème République en fonction abdique, renonce à briguer un second mandat. Les plus grincheux diront que Pompidou avait déjà créé un précédent mais c’est la mort qui l’en avait empêché.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la décision de François Hollande est courageuse. Alors qu’il cristallise le rejet des Français, sa décision n’est pas courageuse, elle est lucide. Ce n’est pas pour autant une raison de minimiser la portée historique d’une telle attitude de la part du Président en exercice. Il me semble, en effet, que nous avons vécu l’un de ces moments qui marquent une rupture dans l’Histoire (ici politique) d’une nation. Pour reprendre le titre d’une chronique de Hubert Huertas sur Mediapart, ce n’est pas rien un président qui ne s’accroche pas. La décision du Président Hollande a sans doute été solitaire. Fidèle à sa réputation il n’a fait part de son choix qu’à quelques personnes avant de l’annoncer aux Français. Pourtant, il me semble que les enseignements et les conséquences de sa décision dépassent largement la simple personne de François Hollande. Alors que vivra-t-on après le renoncement ? Peut-être la décomposition.
La fin du monarque républicain ?
Il est assez cruel et ironique de constater que François Hollande n’aura jamais été aussi président qu’au moment où il a renoncé à l’être. Le premier secrétaire de France, ainsi que je l’appelais il y a quelques mois, est resté au placard lors du discours de la semaine dernière. Dans cette crisis au sens grec du terme, Hollande a semblé faire preuve de lucidité et prendre de la hauteur pour s’exprimer au peuple français – chose qu’il n’a pas su faire durant son quinquennat. Pourtant la structure même de son texte rappelait son louvoiement : n’oublions pas en effet que sur les dix minutes d’intervention huit ont été consacrées à vanter le bilan de son action avant de prendre tout le monde à contrepied en expliquant qu’il jetait l’éponge. Et si ce qui s’est déroulé jeudi dernier signait la fin du monarque républicain, de cette surpuissance présidentielle ?
Déjà le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme avait constitué un premier coup de semonce contre la figure du monarque républicain. En se confiant de manière fleuve aux deux journalistes, François Hollande n’a-t-il pas finalement précipité d’une certaine manière la chute de cette figure et donc par la même sa propre chute ? En fossoyant le monarque présidentiel, François Hollande s’est lui-même fossoyé. La déclaration de jeudi dernier rappelait d’une certaine manière le fameux « au revoir » de VGE. Rappelait en pastichant il me semble : VGE dans son intervention de départ avait tout du monarque, sous les dorures de l’Elysée et cette séquence surréaliste de chaise vide, Hollande semblait lui se délester d’un poids ainsi que sa voix blanche, son ton grave et sa mine déconfite le suggéraient. Les quelques secondes de vide cathodique qui ont ponctué son intervention sont peut-être le plus éclatant symbole de ce qu’il s’est passé jeudi dernier : en 1793 on a coupé la tête du roi, en 2016 c’est le monarque républicain lui-même qui s’est coupé la tête et par la même a tranché sa propre figure.
Les derniers spasmes ?
François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont eu une réaction identique face à cette abdication présidentielle. Ils ont, en somme, tous les trois expliqué que ce n’était pas une question de personne mais de politique menée (avec en creux une attaque franche contre le Parti Socialiste). Ils me semblent que les trois candidats à l’élection présidentielle ont à la fois raison et tort. Ils ont raison quand ils expliquent que ce n’est pas une question de personne. En revanche, ils me paraissent avoir tort quand ils circonscrivent la question au seul PS. Il me semble, en effet, que ce que nous dit le renoncement de Hollande dépasse très largement le simple PS, il nous parle de notre système politique actuel, ce système complètement exténué et à bout de souffle. Que cela leur plaise ou non, François Hollande est à la fois le premier représentant et le symbole le plus puissant du système politique dans lequel nous vivons depuis plus d’un demi-siècle.
Nous le savions déjà, l’élection de 2017 sera extraordinaire. Beaucoup y voyait le dernier arrêt avant un changement radical – ou un « accident ». L’abdication présidentielle la rend d’autant plus exceptionnelle. Le PS qui était voué aux gémonies et à l’explosion après le 8 mai prochain risque bien d’imploser avant même sa primaire. Finalement d’une certaine manière l’éviction de Sarkozy par les électeurs de droite dès le premier tour de la primaire de Les Républicains et l’auto-éviction de François Hollande sont les deux faces d’un même Janus : celui d’un retour du politique. Une fois Sarkozy écarté les candidats ont bien été forcés de parler de leurs programme et propositions. De la même manière, la mise en retrait de Hollande va précipiter la grande clarification appelée depuis des mois par Manuel Valls. L’apocalypse (révélation) a eu lieu, la catastrophe (renversement) ne saurait tarder. Il me semble que cette abdication de Hollande représente les derniers spasmes d’un système en phase terminale qui est à l’agonie.
Evidemment nul ne saura vers quoi nous évoluerons. Continuerons-nous à foncer dans le mur en klaxonnant ? Ou ferons-nous preuve d’une lucidité salvatrice avant que l’impact n’ait lieu ? A l’heure actuelle, la seule chose qui est sure, c’est que rien ne l’est. Nous sommes bel et bien au beau milieu d’une crise où le vieux monde se meurt et où le jeune monde hésite à naître comme le disait Gramsci. Loin de penser que le renoncement de François Hollande est un épiphénomène, je crois que cet évènement marque une nouvelle rupture, constitue un nouveau coup de boutoir contre un système déjà exsangue et qui risque d’avoir bien du mal à s’en relever. Comme l’écrit Frédéric Lordon dans Les Affects de la politique, c’est le franchissement de seuils imperceptibles qui précipite des changements radicaux. Peut-être que dans des décennies, les livres d’Histoire expliqueront que cette soirée de début décembre fut l’étincelle allumée dans la poudrière. Lors de la campagne de 2012 le candidat François Hollande expliquait que son livre favori était Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus. Dans cet ouvrage, le philosophe écrit qu’il « Il arrive que les décors s’écroulent » et il me semble que depuis des mois les décors ne font que s’écrouler dans le monde politique français. Les premiers mots du même ouvrage ont défrayé la chronique lors de sa sortie. Le philosophe écrivait en effet qu’il « n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ». L’abdication de François Hollande rentre assurément dans cette case.