Supprimer le carcan des notes
Il est communément admis que les notes qui sanctionnent le travail des élèves sont là pour évaluer, permettre à l’élève de se positionner par rapport à ses acquis, bref sont un indicateur nécessaire pour l’élève. Je pense, au contraire, que les notes sont présentes pour tout sauf pour évaluer les élèves. De nombreuses autres méthodes permettent d’évaluer les acquis. On peut penser aux points (vert, orange, rouge) qui sont parfois utilisés à l’école primaire. Les notes, loin d’être là pour évaluer, sont plutôt utilisées pour classer les élèves et les mettre dans des cases – cases desquelles il est très compliqué de sortir une fois qu’on y est assigné. Alors parfois on entend surgir ci et là une voix dissonante qui prône la suppression des notes. Ladite voix est vite couverte par la masse vocale qui affirme que celles-ci sont nécessaires au sens philosophique du terme à savoir qu’elles ne peuvent pas ne pas être. Pourtant, de nombreuses études ont démontré que les notes n’avaient pas pour rôle d’évaluer mais bien de classer les élèves entre eux. On peut citer l’étude qui a démontré la forte propension des professeurs à répartir les notes selon la courbe de Gauss de telle manière qu’il y a souvent une forte proportion de notes moyennes et une proportion faible de notes bonnes et mauvaises. De la même manière, des sociologues ont montré que la première note obtenue dans l’année scolaire conditionnait souvent les notes suivantes de l’élève au cours de l’année soulignant là encore l’utilisation des notes comme facteur de classement.
Toutefois, l’étude qui me semble la plus intéressante à propos des notes est celle qui a mis en évidence la constante macabre. Par constante macabre, les chercheurs entendent définir cette propension qu’ont les professeurs à classer leurs élèves. Un professeur qui ne donnerait que des bonnes notes serait vu comme un mauvais professeur. Pour confirmer cette propension, des chercheurs américains ont mis en place une expérience originale : ils ont constitué une classe de surdoués au sein de laquelle tous les élèves avaient des résultats excellents et au terme de l’année scolaire, le professeur avait tout de même classé ces surdouées entre eux si bien que certains avaient de très bonnes notes quand d’autres en avaient de très mauvaises. Ces différentes études viennent souligner le caractère absolument relatif des notes alors même que l’on souhaite nous faire croire qu’il est absolu. C’est pourquoi je pense qu’il est grand temps d’abolir les notes pour mettre un terme à cette concurrence entre élèves, mettre un terme à l’expansion de la logique managériale au sein même de l’école. Des méthodes alternatives existent et ont été expérimentées. Je pense notamment ici à la méthode Freinet qui se donne pour objectif de faire progresser l’ensemble de la classe et non pas de classer les élèves entre eux. Dès le plus jeune âge, cette logique de compétition peut être altérée puis définitivement exclue de l’école. Prenons l’apprentissage de la lecture qui, malgré ce que l’on croit, contribue selon moi grandement à creuser les inégalités. Les méthodes d’apprentissage se focalisent désormais sur la méthode globale au détriment de la méthode analytique. La méthode globale consiste à associer un mot à une image quand la méthode analytique est un apprentissage pas à pas (B et A font BA, B et A et C font BAC etc.). De prime abord la méthode globale semble la plus pertinente car elle ne se fourvoie pas dans la répétition abrutissante. Pourtant, la méthode globale accentue les inégalités à mon sens dans la mesure où les enfants n’arrivent pas à l’école avec les mêmes connaissances. Nous ne sommes, en effet, pas égaux par rapport au langage. La méthode analytique permet donc, à mes yeux, de lutter contre ces inégalités de condition, ce qui est censé être le but de l’école.
Baccalauréat et études supérieures, barrières vers le savoir
Pendant des décennies, le bac a joué le rôle de barrière vers les études supérieures pour les couches sociales populaires. Jusque très récemment, le taux de réussite stagnait aux alentours de 70%. Chaque année donc, à peu près 30% des lycéens de terminale échouaient à obtenir le précieux sésame. 30%, ce chiffre ne vous rappelle rien ? C’est la proportion d’ouvriers dans notre pays, chiffre relativement stable depuis un long moment. Le baccalauréat a donc longtemps joué le rôle de videur de boîte de nuit pour les élèves issus des classes populaires, à la différence près que ce qui leur était inaccessible n’était pas le dancefloor mais les études supérieures. Pourquoi l’accès aux études supérieures est si important ? Pour s’élever socialement nous diront certains. Je pense que cet objectif est largement secondaire. Les études supérieures, dont le bac a été le Cerbère durant longtemps, permettent en effet d’accéder au savoir critique, ce qui constitue un bouleversement fondamental par rapport aux cycles primaire et secondaire. Jusqu’à la terminale, ce sont des connaissances qui sont apportées aux élèves. Il s’agit de répéter sagement ce que les professeurs nous enseignent et tout ira bien. A partir des études supérieures, c’est l’accès au savoir critique qui est autorisé c’est-à-dire la mise en relation et en perspective des connaissances que l’on nous prodigue. Evidemment, le système en place et les classes dominantes n’ont absolument aucun intérêt à ce que les classes populaires accèdent au savoir critique puisque celui-ci leur permettrait sans doute de mieux appréhender les tendances lourdes qui structurent la société et qui expliquent pourquoi les classes populaires sont à leur place et pourquoi les classes dominantes sont à la leur.
Depuis quelques années, le taux de réussite au baccalauréat a fortement augmenté. La session 2016 a battu un record puisque le taux de réussite s’est élevé à 88,5%. Peut-on pour autant dire que le système est devenu plus égalitaire que par le passé ? Je ne le crois pas. Le savoir critique n’est plus diffusé dans l’ensemble des études supérieures mais reste l’apanage de quelques filières d’excellence dans lesquelles les enfants des couches les plus aisées se retrouvent. Grandes écoles de commerce ou d’ingénieur (qui refusent de faire des études sociologiques sur la composition de leurs promotions), faculté d’excellence (Droit, Médecine, Dauphine, La Sorbonne, etc.) ou encore Institut d’Etudes Politiques sont aujourd’hui en France les lieux de détention du savoir critique si bien que toute personne sensée ne peut qu’acquiescer au fait que les études supérieures françaises sont un système à deux (voire plus) vitesses. D’un côté les filière d’excellence pourvoyeuses du savoir critique et des places de choix dans la société et de l’autre les autres facultés qui sont autant de lieux qui produisent du chômage en raison de l’inadéquation entre formations et demande ainsi que l’ont démontré plusieurs études – les étudiants de niveau bac +4 étant ceux qui souffrent le plus de surqualification. Il devient donc urgent de repenser notre système d’études supérieures si nous voulons réellement mettre en place un système éducatif fondé sur l’égalité et la justice. Le baccalauréat ne saurait perdurer dans le nouveau système mis en place et pourrait être, comme en Belgique, remplacé par des examens continus et annuels. De la même manière, l’accès aux études supérieures devrait être un droit car, comme expliqué précédemment, celles-ci permettent d’obtenir le savoir critique ou tout du moins une initiation à ce dernier.
Les professeurs, pierre angulaire de cet aggiornamento
Comment refonder notre système éducatif sans parler de celles et ceux qui le font vivre au quotidien ? Trop souvent ces dernières années, les fonctionnaires en général et les professeurs en particulier ont été cloués au pilori. Fainéants, payés à rien faire et j’en passe, les professeurs ont été la cible de toutes les attaques possibles et imaginables. C’est pourquoi le rétablissement d’un contrat social fondé sur la concorde et la co-construction entre l’Etat, les professeurs et les parents me semble être une impérieuse nécessité. Qui peut encore croire aujourd’hui que les changements doivent venir d’en haut et s’imposer aux professeurs comme s’ils n’étaient que de vulgaires opérationnels chargés d’appliquer les directives élaborées par les directeurs de cabinets et autres conseillers obscurs ? Puisqu’il est de bon ton de déclarer l’état d’urgence sur une multitude de sujets en ce moment, pressons nous de déclarer celui dont nous avons, je pense, le plus besoin : l’état d’urgence éducatif. Il faut sortir des postures et travailler à la mise en place d’un système coopératif où tout le monde en sortirait grandi. Il me semble que le temps de l’autorité qui exige que l’on agisse de telle ou telle sorte est dépassée. C’est dans le travail collectif que nous trouverons les solutions aux problèmes qui nous assaillent. Ces problèmes existent mais ne sont pas insurmontables. Rappelons-nous que chaque enfant que l’on enseigne c’est un Homme que l’on gagne comme le disait déjà en son temps le grand Victor Hugo.
Les professeurs doivent donc être replacés au cœur de la logique de construction. Il est grand temps de leur donner, enfin, les moyens d’exercer leur vocation de la meilleure manière qui soit. Est-il normal que nos professeurs figurent parmi les moins bien payés de l’OCDE ? Je ne le pense pas. C’est pourquoi il me semble urgent de procéder à une revalorisation de leurs salaires. A l’heure où la République est attaquée de toutes parts et semblent se débattre dans une mâchoire d’airain, l’école reste notre meilleure arme pour recréer du lien et faire société. La formation des professeurs doit être la plus excellente possible et c’est pourquoi il est urgent de rétablir les stages en situation dans le cadre de leur formation afin qu’ils n’arrivent pas démunis lors de leurs premières années d’enseignement. Il faut aussi, à mon sens, en finir avec cette politique d’affectation absurde qui fait que les plus jeunes professeurs sont envoyés dans les établissements les plus difficiles. Une telle démarche aboutit à être perdante pour tous : les professeurs qui peuvent se retrouver traumatisés et les élèves qui ne profitent pas de professeurs plus aguerris et donc sans doute plus à même, de par leur expérience, de répondre aux besoins fondamentaux. Pourquoi ne pas imaginer une prime pour les professeurs qui accepteraient d’enseigner dans les établissements dits sensibles ? Enfin, il me semble particulièrement important de permettre aux professeurs de se former au fur et à mesure de leur carrière. Il est aberrant que les formateurs ne puissent pas se former au cour de leur évolution dans le temps et l’espace. Imaginer un système de formation qui permettrait d’obtenir des jours de formation annuels en fonction de l’ancienneté me semble être quelque chose de souhaitable et de nécessaire.
Nous le voyons, il est possible d’imaginer des alternatives au système existant. Evidemment, les éléments évoqués ne constituent pas une liste exhaustive et ne trace que de grandes lignes qu’il s’agira d’affiner. Toutefois, si le système éducatif doit être réformé il s’agit aussi d’agir au-delà de l’école mais toujours en lien avec elle pour ancrer ce nouveau système éducatif dans une terre solide et fertile.
Partie III: Faire advenir l’aube
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