Pour un aggiornamento éducatif (4/4): au-delà de l’école

L’aide aux devoirs pour tous

Nous l’avons vu précédemment, les inégalités les plus fortes ne sont pas celles qui sont présentes dans les murs de l’école. Evidemment ces inégalités doivent être combattues. Toutefois se borner à n’agir qu’au sein de l’école est l’assurance de ne régler qu’une partie du problème. Je l’ai dit dans d’autres parties, à l’heure actuelle l’école accompagne et accentue des inégalités originelles. Je le répète, il est illusoire de vouloir éradiquer totalement ces inégalités. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas détourner la tête et agir au-delà même de l’école. Dans le cas contraire, les capitaux définis par Bourdieu demeureront prépondérants dans la réussite scolaire des enfants et adolescents. L’école est, en effet, porteuse d’un paradoxe que je juge fondamental : jusqu’au bac on nous enseigne à répéter scrupuleusement ce que disent les professeurs sous peine de n’avoir pas de bonnes notes et arrivés à l’examen suprême voilà que l’on reproche à certains lycéens d’être trop scolaires. En somme, il me semble précisément que les examens en général et le baccalauréat en particulier constituent une forme de piège social : alors que l’on apprend aux élèves à être scolaire tout au long de leur scolarité, arrivé à son terme on exige d’eux de penser autrement. Evidemment, une telle exigence favorise les écoliers issus de milieux sociaux aisés dans la mesure où l’ouverture culturelle à laquelle ils sont accès ou les professeurs particuliers qui peuvent les accompagner sont l’un des moyens les plus surs de ne pas tomber dans le piège du devoir « trop scolaire ».

C’est pourquoi il me semble nécessaire de permettre à chaque élève qui le souhaitera de bénéficier d’un accompagnement tout au fil de sa scolarité. Je parlais dans la partie précédente de contrat social à renouveler entre les professeurs et l’Etat. A mes yeux, nous devons aussi trouver un nouveau contrat social entre les élèves, leurs parents et l’Etat. En mettant en place la possibilité pour tous d’obtenir une aide aux devoir de qualité, je pense que l’amorce dudit contrat se met en place. Comment nier, en effet, que les conditions de travail diffèrent grandement d’une famille à une autre ? Qui nous fera croire que l’enfant qui a un bureau à disposition dans la maison familiale à la même qualité de travail que celui qui doit travailler dans la cuisine d’un HLM bruyant et mal isolé ? Permettre à chacun de pouvoir travailler dans un endroit propice à l’étude me semble être une impérieuse nécessité en même temps qu’un moyen de faire advenir plus d’égalité dans le rapport aux études. Loin d’être un artifice, une telle approche me paraît être un changement radical dans la manière d’aborder le système éducatif puisque l’école ne s’arrêterait désormais plus strictement à la fin du cours mais dépasserait l’équité pour se préoccuper d’égalité. Les modalités d’une telle démarche restent évidemment à être précisées : est-ce les profs ou bien d’autres intervenants qui seront chargés d’accompagner les élèves ? Les séances d’aide aux devoirs auront-elles lieu à l’école ou dans un autre endroit ? Néanmoins, il me semble important de tracer un horizon et de définir une philosophie avant même de se perdre dans des calculs de comptables.

L’éducation populaire assassinée ou le plan boiteux

C’est l’histoire d’un très beau projet issu de la Révolution française mais avorté à deux reprises. Ce projet, c’est celui de Condorcet. Aux alentours de 1792-93, les révolutionnaires en viennent à réfléchir sur la manière dont ils veulent structurer le système éducatif pour le rendre plus égalitaire. Deux grandes visions attirent alors l’attention. Celle de Lepeltier d’abord qui préconise d’enlever les enfants à leurs parents durant tout le temps de la scolarité pour éviter que les inégalités de conditions aient un rôle. Jugée trop extrême, cette vision est abandonnée au profit de celle de Condorcet qui prône lui un système fondé sur deux piliers : l’instruction d’un côté (l’école telle qu’on l’entend aujourd’hui) et l’éducation populaire de l’autre. Dans son esprit, l’instruction des enfants à elle seule ne suffit pas et il faut l’accompagner par l’éducation politique des jeunes adultes. Il n’est pas question de propagande ou de bourrage de crâne mais bien de donner les éléments permettant la mise en place d’un esprit critique ou d’une dynamique de déconstruction pour reprendre un courant de pensée philosophique apparu bien plus tard. Cette éducation populaire a été assassinée deux fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La première fois, c’est lorsque les communistes, en 1948, refusant de voir un gaulliste à la tête « Direction de l’Education Populaire des Mouvements de Jeunesse » réclament par la voix de Roger Garaudy que celle-ci soit fusionnée avec la « Direction de l’Education Physique et des Activités Sportives » pour créer la «  Direction Générale de la Jeunesse et des sports ». Nous conservons d’ailleurs les reliquats de cette absorption avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Le second assassinat de l’éducation populaire a lieu en 1958 dans le Ministère de la culture de Malraux.

Pourtant, les tenants de l’éducation populaire, Christiane Faure en tête, pensaient bien avoir gagné et obtenu ce qu’ils voulaient. C’était sans compter sur la perversité des dirigeants qui ont affecté les fonctionnaires rapatriés des colonies d’Outre-Mer à ce ministère. C’est ainsi qu’Emile-Jean Biasini va tuer dans l’œuf ces velléités d’éducation populaire pour créer le Ministère de LA culture (culture élitiste évidemment) que nous possédons encore aujourd’hui. Le Marquis de Condorcet avait pourtant prévenu en son temps : « Attention, si vous vous contentez de faire de l’instruction des enfants, vous allez simplement reproduire une société dont les inégalités seront désormais basées sur les savoirs » ! Nous voilà dans ce que prédisait le marquis puisque nous avons délaissé complètement l’éducation populaire. Il est donc grand temps de l’institutionnaliser et de lui donner les moyens de poursuivre l’objectif qui devrait être le sien depuis des décennies : participer à l’éducation politique des adultes en complément de l’instruction des enfants. Stopper le saignement de ces financements tout en mettant un terme à la relation de subordination qui existe entre les associations et les édiles est la première des étapes. La décentralisation des subventions a, en effet, été un grand coup porté à l’éducation populaire. Maintenant que les maires octroient les subventions, il est bien plus difficile voire impossible pour une association de critiquer les politiques menées sur tel ou tel territoire si elle veut être financée l’année suivante. L’éducation populaire doit être indépendante sinon elle ne sert à rien sinon à jouer un théâtre où les Tartuffe sont connus et où les dindons de la farce sont toujours les mêmes, nous.

Placer le système éducatif au cœur du changement de la société

Je le disais en première partie, je crois fermement que le système éducatif est profondément lié au système politico-économique en place. Procéder à un aggiornamento éducatif ne peut donc être possible que si celui-ci s’inscrit dans une dynamique plus large. Plus précisément, cet aggiornamento éducatif doit s’inscrire dans une dynamique plus large afin de nourrir ladite dynamique tout en étant soutenu par elle. Il apparaît comme évident que la dynamique en question sera nécessairement anti-libérale et ira donc à l’encontre du système dominant actuel. De la même manière, une telle vision des choses est clivante et n’aspire pas à un consensus mou malgré le fait que ce dernier semble être la nouvelle mode de nos élites politiciennes. Evidemment, un tel bouleversement de la société ne profitera pas à tout le monde, en particulier à ceux qui dirigent actuellement le système. Il ne s’agit donc évidemment pas de s’en aller la fleur au fusil en pensant que l’on nous attendra les bras grands ouverts. Le combat sera sans doute rude mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas le mener. En somme, il s’agit d’une certaine manière de retourner la table et donc de s’opposer frontalement au Zeus néolibéral qui sévit depuis des décennies maintenant. N’ayons pas peur d’être des Prométhée et de le défier, c’est la seule issue possible à l’abime qui nous guette.

D’aucuns diront sans doute de ce programme, qu’il est un projet de gauche radicale. J’en accepte la dénomination à la condition que le terme radicale puise sa définition dans son étymologie. Est radical ce qui revient à la racine et dans ce cas alors oui ce projet d’aggiornamento éducatif et de changement de société est de gauche radicale. A l’heure où le « ni droite ni gauche » a le vent en poupe, je n’ai pas de problème à réaffirmer ma sensibilité de gauche, profondément de gauche. Je crois, comme l’explique brillamment Chantal Mouffe dans L’Illusion du consensus, que cette aspiration au consensus mou abîme le débat et est un danger profond pour la démocratie. En refusant les débats d’idées et en transformant les oppositions politiques en oppositions morales, l’on concourt en effet à substituer aux adversaires des ennemis. Le modèle agonistique défendu par la politologue belge me semble le plus à même de redonner un souffle nouveau à notre environnement politique. Avançons donc à visage découvert et en ne dissimulant rien car ceci est le meilleur moyen de perdre sur tous les plans. Certains diront que nous sommes fous. Ceci est sans doute vrai comme le disait Fréderic Lordon, lui qui ne manque pas d’ajouter que nous sommes fous et que nous arrivons.

Nous voilà donc arrivés à la fin de ce travail réflexif qui se proposait de jeter les fondements d’une refondation de notre système éducatif. Y est-il arrivé ? Je laisse chacun en juger. Evidemment les constatations mises en avant dans ce dossier ainsi que les propositions énoncées ne constituent pas une liste exhaustive, là n’est pas ma prétention. De la même manière, il ne faut pas nous leurrer, une telle révolution copernicienne ne se fera pas en quelques mois ni même sans doute en un mandat. Il va falloir accepter de construire sur le temps long si nous voulons réellement changer les choses de manière profonde. Ce dossier n’est pas un aboutissement mais plutôt un commencement qui ne demande qu’à être enrichi, amendé et retravaillé collectivement. Je le disais en introduction, j’ai longtemps cru aux mirages que j’ai dénoncés en deuxième partie. C’est pourquoi je pense qu’avant la prise de pouvoir, il nous faut parvenir à la prise de conscience. J’ai cru naïvement à l’égalité des chances, à la démocratisation scolaire, à l’émancipation par la seule culture, bref à toutes ces fadaises. Désormais, il est acquis pour moi qu’elles n’étaient que des leurres. J’ai longtemps eu le masque parfait de la minorité-modèle. Enfant d’immigrés algériens ayant grandi dans les quartiers nord de Marseille, j’ai été dans un collège ZEP avant d’intégrer le meilleur lycée public de Marseille puis fait une classe préparatoire pour enfin intégrer une grande école de commerce. En bref, le prétexte idyllique pour ceux qui expliquent que le travail et le mérite règlent tout, absolument tout, à l’école. Aujourd’hui ce masque n’est plus.

Partie I: Une si longue nuit…

Partie II: Les grands mirages

Partie III: Faire advenir l’aube

Partie IV: Au-delà de l’école

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