Où est le terrorisme social ?

Dans sa chronique publiée le 1er juin et intitulée Ne cédons pas à la CGT, saperlotte !, Franz-Olivier Giesbert ne s’embarrasse pas de formulations retorses pour faire un lien entre la CGT et Daech : « La France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT ». Il s’empresse tout de suite d’ajouter que si « ces deux organisations minoritaires  ne sont pas de même nature », elles peuvent avoir recours « aux mêmes armes sur le plan tactique. L’intimidation, notamment » pour enfin affirmer avec aplomb qu’un pays « qui cède à l’intimidation est un pays qui ne se respecte pas ». Sur cette dernière phrase, je suis en phase avec lui mais encore faut-il se demander d’où vient l’intimidation.

La tribune de l’ancien directeur du Point vient s’ajouter à une multitude de déclarations toute plus délirantes les unes que les autres. De Pierre Gattaz qui parle de « voyous et terroristes » pour définir la CGT – il a, certes, fait un mea culpa sur le deuxième terme – à Manuel Valls qui dénonce une « radicalisation » de la CGT et la « prise d’otage du pays » en passant par Jean-Michel Apathie qui se demande si la « prochaine étape » sera la guerre civile, les rapprochements entre les blocages et les effroyables actes terroristes qui ont frappé notre pays durant la douloureuse année 2015 sont légion dans les médias et dans la bouche de nos responsables politiques si bien qu’il devient urgent d’analyser les causes et les buts de ce vocabulaire belliqueux.

La paille et la poutre

Avant toute chose, revenons à la définition du mot terrorisme. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales le définit comme tel : « ensemble des actes de violence qu’une organisation politique exécute dans le but de désorganiser la société existante et de créer un climat d’insécurité ». Il est dès lors possible de s’interroger sur le caractère potentiellement terroriste des différentes interventions des médias ou des politiques depuis le début de la crise sociale que traverse notre pays. Oui la CGT appelle à des grèves et manifestations régulières, oui la CGT a fait bloquer des raffineries et provoqué des difficultés d’approvisionnement de stations-services, oui on a totalement le droit de s’élever contre une telle démarche de la part de la CGT. Toutefois, rapprocher les actes d’une centrale syndicale de ceux d’un groupe terroriste est au mieux scandaleux, au pire irresponsable et dans tous les cas une démarche que l’on pourrait qualifier de terrorisme intellectuel.

Que définit, en effet le terrorisme, sinon le procédé qui consiste à faire peur à la population ? Quand Le Figaro titre sur Philippe Martinez en disant que l’homme veut « mettre la France à genoux », comment ne pas faire de parallèle avec le magazine de Daech Dar al Islam qui titrait « La France à genoux » après les attentats de novembre ? Quand les politiques et les éditorialistes se succèdent pour parler de prise d’otages, ne faut-il pas y voir une stratégie visant à faire peur aux Français afin de les pousser à se lever contre la CGT ? En ce sens, il ne me semble pas exagéré de parler de stratégie de terreur de la part d’un gouvernement et d’une grande partie de la presse qui s’agacent de la persistance d’un mouvement social que le 49-3 était censé achever. Après le mépris, affiché en particulier par le Premier ministre, voilà qu’une forme de haine plutôt violente dans les termes employés s’est mise en place dont le but, à peine voilé, est de liguer les Français contre la CGT dans une rhétorique qui n’est pas sans rappeler les fameux « ennemis de l’intérieur » si cher à Madame Thatcher.

De l’irresponsabilité des responsables politiques

Déjà au moment de la décoration du prince héritier d’Arabie Saoudite j’avais parlé d’un air orwellien. Il me semble que 1984 progresse un peu plus chaque jour et que le novlangue utilisé par nos responsables témoigne d’une forme de fuite en avant qui est, elle, complétement irresponsable. Après le débat sur la déchéance de nationalité qui a fracturé la France pour de sombres calculs politiciens alors même que nous avions besoin d’unité dans les mois suivant les attentats, voilà le gouvernement qui fait le pari d’un pourrissement de la situation dans une atmosphère crépusculaire. Les violences policières ne suffisant pas à diviser et à casser le mouvement social, voilà nos dirigeants, bien aidés par les médias,  qui tentent de lâcher la meute vers les grévistes sans se soucier des conséquences désastreuses qu’une telle démarche pourrait avoir à la fois sur le court et sur le long terme.

Mettant de côté tout intérêt supérieur de la nation, voilà les éditorialistes et les politiques qui jouent le jeu de l’affrontement en montant certaines catégories de Français contre les autres – hier binationaux contre les autres, aujourd’hui grévistes contre non-grévistes. Ne reculant devant aucun cynisme ou aucune hypocrisie, nos dirigeants passent en force contre la rue, contre l’Assemblée tout en nous expliquant, comme l’a fait François Hollande le 14 avril dernier ou plus récemment le Premier secrétaire du PS, qu’ils sont ouverts à la démocratie participative ou qu’une rénovation de nos institutions est nécessaire. Ce double langage, ce novlangue en somme, débouche malheureusement presque toujours sur la violence. La violence du comportement irresponsable de nos responsables politiques trouve en réponse une autre violence, confirmant ainsi comme l’avait noté René Girard dans La Violence et le sacré, que la violence ne fait qu’engendrer la violence.

Victor Hugo nous donne peut-être une clé de compréhension dans son chef d’œuvre publié en 1862 et qui reste malheureusement encore d’actualité aujourd’hui. Je veux bien sur parler des Misérables, livre dans lequel le poète politique évoque la question de la violence : « En 1793, selon que l’idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c’était le jour du fanatisme ou de l’enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.

Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ? Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le Progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.

Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.

En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares ».

Aujourd’hui comme hier, les civilisés de la barbarie hurlent au loup et accusent les grévistes de terrorisme. Mais sont-ils eux-mêmes si blancs qu’ils le proclament ?

Un commentaire sur “Où est le terrorisme social ?

  1. De la liberté…

    … « Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le Progrès »…

    … Je signe des 2 mains :

    Cependant, toutes les positions de l’échiquier doivent être étudiées, dans le respect mutuel que les français se doivent les uns, les autres :
    “For to be free is not merely to cast off one’s chains, but to live in a way that respects and enhances the freedom of others.” Mandela

    Le temps des discussions et compromis doit être considéré à la Lumiere de nouveaux débats et d’échanges, ICI ET MAINTENANT ; nos enfants ont des examens, concours et autres échéances… Il y a des personnes isolées, malades qui ont besoin des transports publics… Changeons de points de vue, prenons de la hauteur !

    De plus, nous avons une Coupe d’Europe et des engagements, honorons-les !
    NOUS, la FRANCE, avons toujours été un peuple responsable, démontrons-le de nouveau…
    Allez.., on y croit !

    A bientôt Marwen !

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