Encore un énième règlement de comptes s’est produit dans la nuit de samedi à dimanche dans les quartiers nord de Marseille. En prenant mon petit-déjeuner et en voyant les sujets se succéder à ce propos sur les chaines d’infos en continu j’avais l’impression de vivre un éternel présent. Comment, en effet, ne pas voir l’histoire inlassablement se répéter dans ces tueries ? Malgré la force de l’habitude et de la routine mortifère, c’est à chaque fois le même effroi, à chaque fois le même choc. C’est toujours les mêmes mots qui reviennent dans la bouche de ma mère d’autant plus quand les victimes n’avaient que 15 ans. A l’effroi et au choc s’est désormais substituée la résignation.
Si «l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même» ainsi que l’écrivait Camus dans La Peste, alors dans les cités des quartiers nord de Marseille nous vivons le pire sentiment qu’il soit. Tout le monde ou presque, en effet, s’est habitué à ce terrible désespoir qui voit de jeunes gens sombrer dans les trafics de drogue et tomber petit à petit sous les balles de leurs homologues. Et pendant ce temps chacun s’accommode du rôle de spectateur, des politiques aux parents en passant par les membres du réseau associatif. Les plus pervers viendront même nous expliquer qu’essayer de comprendre le pourquoi de ces agissements revient à les excuser. Alors je vous pose la question, combien de temps encore resterons-nous spectateurs ?
L’idéal définitivement chassé par le spleen
Dans l’œuvre de Baudelaire, le spleen et l’idéal sont deux notions qui se nourrissent l’une de l’autre de telle sorte qu’’en réalité, loin de s’opposer elles se complètent parfaitement. Point d’idéal sans une phase de spleen préalable. De la même manière, s’il n’y a pas d’idéal comment pourrait-il y avoir un spleen dans la mesure où celui-ci est précisément la quête de cet idéal ? Dans ces mornes cités grises, le spleen a chassé l’idéal. Plus aucune tension n’existe entre les deux notions, l’ennui a triomphé pour le plus grand malheur des pères et mères de famille qui assistent, impuissants, à l’enlisement de leurs enfants. Il est facile, comme l’a fait Stéphane Ravier dimanche matin, de jeter la pierre aux parents en jouant un jeu malsain et en les culpabilisant d’avoir laissé leurs enfants sombrer. Plus compliqué est l’analyse plus profonde, socio-économique et culturelle, qui permettrait d’enrayer cette mécanique mortifère.
Au cours de mon enfance et de mon adolescence, j’ai côtoyé de près, presque de façon intime les inégalités sociales et la misère. J’ai surtout vu où ces deux têtes de la même hydre pouvaient mener si on ne les combattait pas. Nombre de jeunes gens qui ont grandi avec moi et qui n’étaient pas foncièrement méchant, comme l’on tente de nous le faire croire à longueur de journées à la télé, ont fini en prison, dans des addictions ou au cimetière. La misère est la plupart du temps à l’origine de cet enlisement. Trop souvent par misère on entend misère financière. Celle-ci existe, il ne s’agit pas de la nier. Toutefois la plus grande des misères n’est pas celle-ci chez les gens que j’ai eu l’occasion de croiser et avec qui j’ai grandi. La plus grande des misères c’est la misère culturelle, la misère intellectuelle. Combien de jeunes tombent en déshérence du simple fait de leur absence de bagage et d’ouverture culturels ? Bien trop assurément. Quand on a vu ça de près, la suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Personnellement j’ai choisi l’éveil.
Sortir ces quartiers de l’ornière
Après les réactions de choc ou d’effroi, on assiste bien souvent à une criminalisation générale des personnes vivant dans ces quartiers. Ainsi entend-on par-ci que tous les jeunes de quartiers sont des trafiquants en puissance, ou par-là que tous les membres des quartiers sont, sinon coupables, au moins complices de ce qu’il s’y passe. Procéder de la sorte, c’est laisser libre cours à un certain manichéisme qui voudrait que les gens des quartiers soient foncièrement mauvais et les autres foncièrement bons. Adopter une vision aussi simplificatrice ne concourt qu’à renforcer les trafiquants et à ostraciser les gens des quartiers. Thomas Guénolé, dans son excellent livre Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ?, tente de le démontrer à l’échelle des jeunes. Ce qu’il faudrait c’est montrer que les premières victimes des trafics en tous genre sont précisément les personnes habitant dans ces quartiers.
Comment sortir ces différents quartiers de l’ornière me direz-vous ? Un peu de volontarisme politique est évidemment nécessaire. Une réelle politique ambitieuse est nécessaire pour revitaliser ces quartiers et les relier au cœur de la ville. Monsieur Gaudin, en effet, n’a eu de cesse de les abandonner, sachant pertinemment que ses électeurs ne se trouvaient pas dans ces endroits de Marseille. Quand je vois Valérie Boyer commencer à récupérer ce règlement de comptes sur les corps encore fumants et fustigeant la politique du gouvernement, j’ai envie de lui demander ce qu’a fait la mairie UMP depuis des années pour les quartiers nord. Quartiers nord qu’elle a toujours abandonnés. Trouvez-vous, en effet, normal qu’il faille encore près d’une heure trente pour rejoindre le centre-ville depuis certains quartiers ? N’y a-t-il pas une injustice flagrante quand la ville choisit de dépenser les deniers publics dans la construction d’une nouvelle ligne de tram complètement inutile ou dans un pont transbordeur pour les touristes quand beaucoup de ses enfants vivent encore sous le seuil de pauvreté ? Les acteurs du milieu associatif agissent à leur petite échelle mais tous seuls ils ne pourront résorber toute cette misère… Alors messieurs les décideurs politiques, si vous souhaitez réellement améliorer la vie dans ces quartiers mettez-y les moyens nécessaires.
Très juste.
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Ceci n’est pas une réflexion mais un constat, un de plus, aussi vain que les autres. Les kalach se tairont lorsque nous aurons mené une vraie réflexion collective sur le sujet et qu’une action concertée aura été engagée. Le gouvernement, Gaudin sont responsables de n’avoir pas suscité cette réflexion qu’appelle le règlement d’un problème complexe qui n’est ni de gauche ni de droite. En attendant les gamins des cités continueront de tomber et leurs cadavres ne s’attireront que les larmes de crocodile d’une société impuissante qui a perdu la volonté de résoudre les crises qui l’assaillent. DP
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Je pense qu’il y a quand même un peu de réflexion dans mon billet (la misère culturelle qui doit être combattue par l’école, la politique de transports complètement incohérente de la ville de Marseille etc.). Après si ce que vous reprochez à ce texte est de ne pas être un programme politique alors oui je suis d’accord avec vous car il n’en avait pas l’intention. Toutefois je prépare un article qui traite plus largement du sujet des banlieues donc j’espère que vous trouverez plus de réflexion dans celui ci.
Bien cordialement.
Marwen
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J’attends avec impatience ton billet suivant sur le sujet, mais prends ton temps.
Néanmoins, ne surestimes pas l’importance des politiques de transports : en région parisienne, de nombreuses banlieues sont plutôt bien desservies par divers RERs, et il me semble bien que ça ne change pas grand chose (voir rien du tout, en fait) Les problèmes sont fondamentalement ailleurs, à commencer par école/culture, effectivement.
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