Le serment des Horaces – Jacques-Louis David
Dimanche soir, aux alentours de 22h15, Dimitri Payet se présente au poteau de corner gauche situé devant le virage Sud de l’Allianz Riviera, la tribune occupée par les Ultras Populaire Sud, le principal groupe de supporters de l’OGC Nice. Comme depuis le début du match et quelques instants auparavant sur un corner précédent, des projectiles – principalement des bouteilles pleines – se mettent à pleuvoir à destination du joueur marseillais. L’une d’elles le touche violemment et le fait s’écrouler par terre, ce qui n’empêche pas les projectiles de continuer à lui arriver dessus. La suite est désormais tristement devenu mondialement célèbre, le numéro 10 olympien se relève, renvoie deux bouteilles dans le virage et le terrain est envahi par plusieurs dizaines de supporters niçois prêts à en découdre.
Mercredi soir, les deux clubs étaient convoqués devant la commission de discipline de la LFP et, sans grande surprise, celle-ci a fait le choix de prononcer un huis-clos d’un match pour le stade niçois puis de mettre en instruction le dossier. Nous ne connaîtrons donc que dans une dizaine de jours le résultat du match ainsi que les sanctions prononcées à l’égard des différents acteurs de ce qu’il s’est passé. En attendant, il est déjà possible de sortir du cadre du football et de tenter d’expliquer à quel point cette triste soirée d’août restera assurément dans les annales comme l’une de celles où le football aura illustré un grand nombre des maux de notre société actuelle : gestion désastreuse des autorités, police complice, impunité quasi-totale à l’égard de l’extrême-droite, mépris souverain de l’éthique la plus élémentaire, etc. En d’autres termes, dimanche encore plus que d’habitude, le football a été éminemment politique. C’est donc bien sur ce terrain qu’il faut porter le principal combat.
La sécurité inexistante
S’il peut être assez complexe de tenter de faire la liste de l’ensemble des responsabilités qui ont mené aux incidents et donc à l’envahissement de terrain, qu’il est clair que tout cela est une œuvre collective (voir infra) il en est assurément une qui trône tout en haut, l’absence quasi totale de sécurité au sein du stade niçois. Dès avant le match, les vidéos publiées sur les réseaux semblent suggérer des contrôles de sécurités tout relatifs (et c’est là un euphémisme) avant l’entrée dans le stade. Mais plus encore, ce qui marque par rapport à ce qu’il s’est passé dimanche soir est bien entendu la facilité déconcertante avec laquelle il a été possible d’envahir le terrain.
L’absence de filets de protection pour prévenir les jets de projectile et, surtout, l’absence totale d’éléments permettant a minima de ralentir une potentielle tentative d’envahissement (stadiers présents en nombre, présence de forces de l’ordre pour empêcher un envahissement, fosse, panneaux publicitaires plus élevés, etc.) est une aberration totale dans la mesure où, on l’a bien vu, à partir du moment où des personnes ont eu envie de rentrer sur le terrain elles ont pu le faire très facilement. Il y a évidemment eu cette 75ème minute qui a été le paroxysme de la soirée mais dès la 42ème minute sur un corner niçois – quand ceux-ci attaquaient encore devant les Populaire Sud – des personnes sont quasiment sur la pelouse. Idem durant la mi-temps lorsque des membres du groupe Ultra se sont baladés dans les tribunes latérales comme dans du beurre pour venir narguer le parcage marseillais. Idem encore après le but niçois lorsqu’une quinzaine de membre des Ultra Briganti ont enlacé Dolberg après son but. En d’autres termes ce qui s’est produit après la 75ème minute était largement prévisible et n’est, malheureusement, pas surprenant quand on connaît le passif de ce groupe là et qu’on le combine à ces mesures de sécurité ridicules.
Police, milice complice
Au cœur de ces questions de sécurisation du stade se niche bien évidemment la place de la police et des forces de l’ordre en général. De la même manière que la police avait exfiltré Génération Identitaire en juin 2020 lors d’un rassemblement antiraciste, les forces de l’ordre ont de facto protégé les agissements des supporters niçois qui ont envahi le terrain. Lorsque l’on connaît les positionnements politiques à l’extrême-droite d’une bonne part de ce groupe et la porosité qui existe au sein des forces de l’ordre avec ces idées, l’on ne peut que conclure à la présence d’une sorte de milice complice des agissements de ces identitaires.
Dès le début du match, les CRS se sont effectivement postés plutôt dans le parcage marseillais qu’ailleurs. Ils n’étaient donc fatalement pas à l’endroit de l’envahissement au moment des faits mais bien plus occupés à arroser de gaz lacrymogène les supporters marseillais. Plus tôt dans le match ils n’avaient déjà pas bougé la moindre oreille lorsqu’un supporter niçois a passé de longues, de très longues minutes, à faire des saluts nazis et à mimer la moustache hitlérienne avec ses doigts à quelques pas du parcage. Cette collusion, pour ne pas dire cette quasi-fusion d’un point de vue des idées est impeccablement illustrée par les chants entonnés par les Populaire Sud au moment où les forces de l’ordre se sont dirigés vers leurs tribunes pendant que le match était arrêté durant de longues minutes. Alors que les Niçois scandaient « les condés avec nous », de l’autre côté du stade le parcage marseillais reprenaient un sonore « Tout Marseille déteste la police ». Un stade, deux ambiances.
Impunité en bande organisée
Tous ces éléments pointent vers une même (et dramatique) conclusion, l’impunité de ces supporters a été organisée, sciemment ou pas, par toute une constellation d’acteurs qui était censés assurer la sécurité des joueurs. Si la question de la sécurité défaillante a été évoquée plus haut il faut tout de même y revenir quelque peu. Que Jean-Pierre Rivère accuse le propriétaire du stade (la ville de Nice) et l’exploitant (Nice Eco Stadium, une filiale de Vinci dans le cadre d’un PPP) de ne pas avoir mis en place un filet de sécurité est une chose – et la bande organisée comprend dès lors ces deux acteurs – mais il ne peut décemment pas se dédouaner des contrôles grotesques à l’entrée du stade ou du sketch des stadiers en bas du virage, la sécurité étant du ressort du club qui reçoit.
De la même manière, dans la ville qui se prétend être celle la plus sécurisée de France, qu’un préfet qui par ailleurs ne se gêne pas pour prononcer des interdictions ou des restrictions de déplacement ne mobilise pas assez de forces de l’ordre pour tenir un match que tout le monde sait chaud participe bien évidemment de cette impunité. Dans un autre ordre de responsabilité, le fait que Monsieur Bastien, l’arbitre de la rencontre, n’ait pas interrompu le match plus tôt alors même que les projectiles étaient présents avant même qu’il ne commence dans la surface présente devant le virage est une autre manière d’accorder l’impunité à ces violents. Plus signifiantes encore ont été les réactions après l’envahissement de terrain : lorsque l’on permet aux personnes qui ont envahi la pelouse et à celle qui a tenté de donner un chassé à Payet de reprendre place en tribunes en vue d’une hypothétique reprise qu’est-ce donc sinon de l’impunité ? Lorsque le président niçois, tout acquis à sa logique de pyromane, explique presque goguenard à la télé que les Marseillais ne veulent pas reprendre en raison du résultat qui leur est défavorable et, surtout, qu’il a eu l’assurance que les ultras ne recommenceraient pas, qu’ils savent ce qu’il est possible et ce qu’il n’est pas possible de faire, que faut-il comprendre ? Qu’envahir la pelouse et tenter de frapper un joueur adverse est de l’ordre de l’acceptable pour le club niçois ?
Seuls contre (presque) tous
Cette impunité en bande organisée a sans doute aucun connu son apogée lorsque le match a été interrompu et que l’Olympique de Marseille a fait savoir sa décision de ne pas reprendre la partie peu importe ce qui serait décidé. Si l’on met de côté les déclarations clairement pyromanes de Monsieur Rivère sur le fait que le club a refusé de reprendre parce qu’il était mené – j’ai la candeur de croire que peu importe le score au tableau d’affichage la même décision aurait été prise mais je peux bien entendu me tromper – le fait que l’ensemble ou presque des instances impliquées dans cette prise de décision ait acceptée d’une manière ou d’une autre de faire reprendre le match malgré des conditions de sécurité clairement insuffisantes est éloquent.
Une fois que l’on a dit cela, il faut cependant être conséquent et juste pour établir les degrés de responsabilités diverses. Les deux acteurs ayant le plus forcé pour une reprise du match sont sans contestation le président de l’OGC Nice et le préfet des Alpes-Maritimes. En exigeant presque une reprise du match au nom de la préservation de l’ordre public (une bouffonnerie lorsque l’on voit que rien ne s’est produit alors même que le match n’a pas repris), le représentant de l’État dans le département est complètement sorti du cadre footballistique. La LFP a eu beau jeu dans les jours suivants de prendre le rôle de Ponce-Pilate en se lavant les mains de la décision mais c’est bel et bien elle qui a pris la décision finale de faire reprendre cette parodie de match. Il faut toutefois lui concéder une position très délicate dans la mesure où elle aurait très certainement été tenue pour responsable si jamais le match avait été arrêté par sa volonté et que des débordements s’étaient produits – alors même que, rappelons-le, le maintien de l’ordre public est du ressort du préfet et que l’on se trouvait dans une ville qui se vante d’être l’une des plus sécurisées de France (mais visiblement pas à l’encontre des identitaires de la Populaire Sud). Dans toute cette histoire celui qui a finalement eu le plus de courage, exception faite du président marseillais, est indubitablement Monsieur Bastien qui dans son rapport s’est explicitement opposé au choix de sa hiérarchie, ce qui ne l’exonère bien évidemment pas de ses errements avant l’interruption.
Le dramatique précédent
Vu du stade, il apparaissait pourtant comme évident que le match non seulement ne pouvait pas mais surtout ne devait pas reprendre au risque de créer un précédent absolument dramatique. La décision de la LFP, plus ou moins contrainte par le préfet, fera effectivement date dans la mesure où la plus haute instance du foot professionnel français a donc purement et simplement acté qu’un match pouvait reprendre après que des supporters sont entrés sur la pelouse pour agresser des joueurs adverses. Cette décision prise relativement à chaud sera complétée dans une dizaine de jours par les décisions prononcées par la commission de discipline de la LFP qui, elles aussi, feront date.
Celle-ci devra effectivement se positionner sur la marche à suivre à propos du résultat du match. En l’espèce il semble n’y avoir que quatre décisions possibles : homologation du résultat à la 75ème minute, défaite sur tapis vert de l’un ou l’autre des clubs, match à rejouer sous des conditions à préciser. Se pose dès lors la question de la décision la plus juste (ou peut-être la moins injuste) à prendre et ce questionnement est complexe puisqu’il se pose sur des plans différents. Du point de vue de la justice sportive il me semble que rejouer le match depuis le début serait le plus pertinent. Le problème est qu’il ne s’agit pas que de sportif et qu’il me paraît essentiel de marquer le coup pour justement ne pas créer de précédent dramatique. Faire rejouer le match reviendrait à légitimer d’une certaine manière un envahissement de terrain dans le but de faire recommencer un match. Ce serait là une boite de Pandore ouverte dans le football professionnel français. Mais plus grave encore, une telle décision serait catastrophique pour le football amateur. Comment les dizaines de milliers d’éducateurs qui donnent de leur temps sur les terrains de France pourraient-ils expliquer à leurs joueurs et à leurs parents qu’il ne faut pas se battre ou envahir la pelouse quand la preuve aura été donnée au plus haut niveau que de tels actes n’aboutissent pas à une défaite et à de très lourdes sanctions ? Aujourd’hui si ce qui s’est produit à l’Allianz Riviera se passe lors d’un match de foot amateur, dans les quartiers populaires ou ailleurs, le club qui reçoit – alors même qu’il ne dispose pas des moyens de sécurité dont disposent les clubs professionnels – a toutes les chances non seulement de perdre le match mais aussi de connaître retrait de points, délocalisation des matchs à domicile voire radiation pure et simple. Comment pourrait-on comprendre qu’un club professionnel disposant de tous les moyens de sécurité possible échappe alors à la défaite sur tapis vert ? Ce serait assurément là un dernier coup de canif dans le contrat social du football.