Casus belli (1) : sur l’austérité et sa constitutionnalisation

Les Quatres cavaliers de l’Apocalypse – Viktor Vasnetsov

Il y a quelques jours, nous apprenions que le pouvoir avait fait le choix de l’austérité. Dans le programme de stabilité – un document très officiel – envoyé à la Commission Européenne, le gouvernement ne cache pas cette volonté de mettre en place une telle politique dans les six prochaines années. Il faut donc comprendre par là que la politique austéritaire est bien celle qui sera appliquée dans le cas où le bloc politique actuellement au pouvoir était reconduit en 2022. Le bloc politique, l’expression est importante.

Si ce programme de stabilité est envoyé au nom du gouvernement actuel, il n’y a guère de doute sur le fait qu’une victoire dans un an d’un candidat issu de cet espace politique quand bien même celui-ci ne serait pas Emmanuel Macron (et qu’une autre personne, au hasard Édouard Philippe, prenait sa place). Par-delà même le fait qu’une politique d’austérité au moment-même où le monde traverse une crise sanitaire qui a toutes les chances de muter en crise socio-économique bien plus grave que ne l’est la situation actuelle est gravissime, ce qui marque fortement dans le projet gouvernemental est assurément la volonté d’inscrire l’austérité dans la constitution. Nul besoin de barguigner pour appeler par son nom ce qui est en train de se produire sous nos yeux : une déclaration de guerre sociale.

Le point de rupture

Pourquoi, alors même qu’il semble s’agir d’une simple continuité, est-il pertinent de parler de déclaration de guerre ? Avant toute chose, un petit évènement, oh trois fois rien, s’est produit durant la dernière année. La pandémie de Covid-19, ou plutôt la syndémie selon l’expression utilisée par Barbara Stiegler, est venue révélée crument à quel point le système politico-économique dans lequel nous vivons est responsable de désastres. Évidemment le locataire de l’Élysée et ses affidés continuent à avancer en mode bulldozer dans la destruction des filets de protection sociale du pays – en témoigne l’obscène réforme de l’assurance chômage – mais tout de même, beaucoup promettaient la bouche en cœur que le monde d’après serait différent parce qu’une prise de conscience générale avait eu lieu.

Le monde d’après, le voilà esquissé par le gouvernement avec ce programme de stabilité et cette promesse de constitutionnaliser l’austérité. Le monde d’après est assurément différent, il est pire que celui d’avant et dans des proportions non négligeables. Le Covid-19 était un premier point de rupture et de révélation de la folle logique capitaliste. Dans le cas de la politique d’austérité souhaitée par le gouvernement, il y a là un autre point de rupture avec la volonté de constitutionnaliser cette inique politique. Les décors de la-démocratie-bourgeoise sont en train de s’écrouler pour révéler ce qu’elle a toujours été : assurément bourgeoise et si peu démocratique ou plutôt elle n’est autorisée à être démocratique que dans les limites que lui concède la bourgeoisie. L’inscription de l’austérité dans la constitution est une manière de dire qu’elle n’est plus discutable, qu’elle sort du champ démocratique et donc qu’il n’y a plus lieu de débattre sur le sujet. C’est ainsi et pas autrement en somme.

La volonté de destruction

Il y a assurément une philosophie qui guide cette volonté folle de constitutionnaliser l’austérité : celle de la destruction et de la réduction à l’état de mendiants une large part de la population, de cette même classe qui a été portée aux nues par les médias et bien d’autres lors du premier confinement, de ces premiers de corvée dont d’aucuns pensaient qu’ils avaient retrouvé une importance plus grande après que la démonstration fut faite de leur caractère essentiel dans la société. Le mirage fut rapidement dissipé, les primes promises jamais versées et le rouleau-compresseur de la néolibéralisation rapidement réenclenché.

Il y a assurément un continuum dans la politique menée par Emmanuel Macron depuis sa victoire de 2017 : le soutien aux plus riches et l’écrasement de ceux qui ne sont rien à ses yeux selon l’une des multiples phrases odieuses qu’il a pu proférées depuis son irruption dans le champ politico-médiatique. Ces mêmes personnes qui ont fourni le gros du contingent des Gilets jaunes, ces personnes qui ont manifesté à de multiples reprises depuis son accession au pouvoir mais aussi toutes les autres, déjà broyées par un système économique qui les renvoie à la fange. Constitutionnaliser l’austérité et donc ajouter des mitraillettes au bulldozer ne répond à aucun autre objectif sinon d’asservir un peu plus le prolétariat dans son acception la plus large.

Démasquer les irrationnels

Bien entendu, comme à l’accoutumée dès qu’il faut défendre une politique de classe, ses laudateurs expliqueront que c’est au nom de la rigueur, du sérieux et de la rationalité qu’il faut mener l’austérité. Plus largement, les partisans de la Réforme – avec une majuscule pour parler du concept de contre-révolution sociale et néolibérale – crient à qui veut l’entendre qu’ils seraient les dépositaires de la raison tandis que nous, critiques du capitalisme et promoteurs du communisme, serions des dogmatiques et des irrationnels de la plus pure espèce.

Il devient chaque jour un peu plus urgent de les démasquer, de leur arracher ce masque bien commode de la raison (d’autant plus que dans la Grèce antique, le masque servait non seulement à se dissimuler mais surtout à faire porter la voix plus loin, ce que l’on retrouve bien dans le masque contemporain de la raison néolibérale). La réalité c’est que les irrationnels ce sont bien eux, que la plupart des théories sur lesquelles ils se fondent, au hasard celle du ruissellement, ne sont que des théories fumeuses (on pourrait dire complotistes si l’on voulait être provocateur). Pour en revenir à l’austérité, la position défendue par le gouvernement est celle qui a mené la Grèce, l’Italie, le Portugal et tant d’autres pays au désastre économique et sociale. La preuve a été faite de l’absurdité d’une telle politique du point de vue économique et par le FMI qui n’est pas à proprement parler une institution communiste. Par conséquent nous sommes en présence de dogmatiques qui n’ont pour seul objectif que de servir les possédants, les capitalistes.

La guerre de classes

Ces dogmatiques qui n’ont en tête que la destruction de l’extrême majorité de la population au profit d’une petite caste mènent donc ce qu’il faut bien appeler une guerre de classes. L’expression peut certes choquer, elle ne me semble pour autant pas exagérée. À l’heure où la militarisation des forces de police atteint des niveaux jamais vus, où les manifestants craignent désormais d’être éborgnées (ou pire) à chaque fois qu’ils descendent dans la rue, où des lois sont régulièrement votées pour ficher et entraver les personnes ou groupes qui se lèvent contre la folle fuite en avant du capitalisme parler de guerre parait logique.

Le poids des mots est important, toute personne qui a l’habitude de me lire connait la psychorigidité qui est la mienne sur le sujet, et il semble aujourd’hui erroné de parler de simple lutte des classes pour la simple et bonne raison que dans une lutte l’objectif n’est pas nécessairement la destruction de l’autre mais l’obtention d’une position dominante. Nous sommes passés depuis quelques années – et le Covid-19 a assurément accéléré la dynamique en cela qu’il démontre crument le désastre capitaliste – à une situation où les capitalistes ont bien saisi que leur système chéri commençait à sérieusement être remis en cause dans une part croissante de la population. Dès lors, la radicalisation capitaliste n’est que la suite logique de la dynamique. En d’autres termes, ce sera lui ou nous.

Misère de l’inconséquence

Une fois que l’on a dit cela, il faut faire preuve de conséquence. Si le constat est celui de dire que le capitalisme connait un raidissement autoritaire rarement vu dans l’histoire – à l’exception notable du Chili d’Allende, j’y reviendrai dans un prochain billet de cette série – et qu’il ne souhaite plus rien négocier mais uniquement détruire alors la réponse ne peut pas être d’appeler à la discussion. Les revendications au dialogue sont autant de lettres mortes qui nous mènent assurément au désastre. Les enfants passent leur temps à réclamer ceci ou cela quand bien même ces réclamations seraient utopiques (mais l’avantage de l’enfance, on le sait bien, est de ne pas savoir cela), devenus adultes ils se mettent à revendiquer. Le devenir-méchant de la critique du capitalisme est une nécessité.

La conséquence nous oblige aujourd’hui à arrêter les tribunes, les pétitions et autres pique-niques champêtres sur le champ de Mars. Pour dire les choses autrement, en état de guerre sociale on ne se met pas tout seul à table en attendant que le capitalisme vienne de bon cœur signer l’armistice et rendre l’ensemble de ses armes. Ou alors l’on accepte le destin d’Allende et on transforme le champ de Mars en Moneda parisienne. Personnellement je ne me sens guère la vocation d’un martyre et si l’on est obligé d’être radical c’est bien parce que ce qui nous fait face ne rendra pas exactement les clés gentiment. La conséquence, en ces temps troubles, c’est de bien comprendre que les solutions gentilles (comprendre à l’égard du capitalisme) n’ont plus leur place aujourd’hui. La conséquence, en ces temps troubles, c’est de bien saisir que le devenir-méchant de notre réponse et de notre organisation est une nécessité au sens philosophique du terme si nous souhaitons survivre. La conséquence, en ces temps troubles, c’est enfin de reconnaitre qu’en face ils veulent nous (la gauche) détruire – pas nous vaincre, nous détruire – et que la seule réponse qui vaille est de les détruire avant qu’ils ne le fassent.

À suivre…

Pour aller plus loin:

Pour son second mandat, Macron promet l’austérité, Romaric Godin sur Mediapart

Figures du communisme, Frédéric Lordon

La guerre sociale en France, Romaric Godin

De la démocratie en pandémie, Barbara Stiegler

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