Casus belli (2) : rendre le communisme désirable

Au temps d’harmonie (L’âge d’or n’est pas dans le passé, il est dans l’avenir) – Paul Signac

Partie I: sur l’austérité et sa constitutionnalisation

Le capitalisme, particulièrement dans sa version néolibérale et financiarisée, nous mène aux désastres. Économique, écologique, social, sanitaire, tout ou presque y passe. Il n’y a rien de gère surprenant à cela tant la portée totalisante de ce système économique rend logique le fait qu’il ait des effets globaux. Une fois que l’on a dit tout cela, la conséquence oblige – pour peu que l’on ne se complaise pas dans le rôle de prophète de mauvais augures – à pousser la réflexion plus loin pour imaginer par quel côté il s’agit de sortir du capitalisme. Ce n’est pas là une question anodine dans la mesure où il est totalement possible qu’un dépassement du capitalisme se produise sans que celui-ci ne soit bénéfique pour la majeure partie de la population. Dès lors, par quel mode parait-il préférable au plus grand nombre, comprendre à la masse de personnes que le capitalisme néolibéral broie voire détruit, de s’affranchir de ce modèle économique ?

Comme depuis près de deux siècles, le communisme est assurément la meilleure voie possible pour répondre à cet objectif. Communisme, le gros mot a été prononcé. Il convoque aussitôt l’imaginaire soviétique, le goulag, les pénuries et toute la cohorte d’images que se plaisent à colporter les capitalistes sur le sujet. Pour autant, les socialismes réels (de la Chine à l’URSS en passant par tout un tas de déclinaison) n’avaient pas grand-chose à voir avec le communisme, si peu qu’ils n’en ont jamais assumé le nom. On ne se relève certes pas facilement d’une telle falsification mais le temps est venu de sortir de ce grand mensonge. L’heure n’est plus aux demi-mesures mais bien à la radicalité.

La fin de la possibilité sociale-démocrate

Avant d’aller plus loin dans la définition de ce que pourrait être un communisme désirable appliqué à l’époque contemporaine, il implique de faire un détour par la social-démocratie – ou plus particulièrement par les raisons qui la rendent désormais impossibles. Durant une trentaine d’années voire un peu plus, globalement les Trente Glorieuses, celle-ci a pourtant permis des avancées importantes en permettant notamment de rééquilibrer les forces entre capital et travail. À une époque où le capitalisme n’était pas encore devenu néolibéral ni totalement mondialisé mais où les préceptes de Keynes étaient appliqués un peu partout, la position sociale-démocrate a effectivement permis au travail de reprendre du terrain sur le capital.

Bon nombre d’institutions communistes ont d’ailleurs vu le jour à cette époque de compromis entre capitale et travail. C’est ce qu’explique très bien Bernard Friot à propos de la Sécurité sociale ou du statut des fonctionnaires en France. L’économiste y voit un déjà-là qui ne demande qu’à être approfondi. Malheureusement, tout nous porte à penser que ces trente années sont moins le début d’un mouvement appelé à s’amplifier qu’une parenthèse dans l’histoire du capitalisme. Depuis le tournant néolibéral de la fin des années 1970 et du début des années 1980, le capitalisme ne souhaite plus faire aucun compromis, aucune concession. Les résultats sont visibles dans le recul du travail par rapport au capital à partir de ce moment-là. Pensée comme une doctrine de dialogue et de compromis, la social-démocratie n’a plus de raison d’être dans cette configuration. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre les multiples reniements des partis sociaux-démocrates durant les dernières décennies. Plutôt qu’un atavisme les poussant à la trahison les uns après les autres, il est bien plus intéressant pour l’analyse d’y voir la matérialisation concrète de ce nouvel esprit du capitalisme qui ne propose finalement que deux alternatives aux sociaux-démocrates : la radicalisation communiste ou l’aplatissement devant lui.

Détruire les conditions du capitalisme

Il arrive parfois qu’une actualité isolée illustre à merveille une situation plus globale. Récemment, Emmanuel Faber a été évincé de la direction de Danone sous la pression de certains fonds vautour lui reprochant de ne pas valoriser assez bien, d’un point de vue financier, l’entreprise. Connu pour ses positions relativement sociales (son discours lors de la cérémonie de remise des diplômes à HEC en 2016 avait notamment marqué), il incarnait ce fameux capitalisme responsable dont on nous rebat les oreilles à longueur de temps. Il s’inscrivait bien sûr totalement dans le capitalisme en tentant d’y apporter quelques retouches à la marge et il a pourtant été évincé pour ça. C’est bien là une preuve de ce que les capitalistes sont aujourd’hui rétifs à la moindre concession.

Cette situation illustre bien les dynamiques actuelles. De deux choses l’une : ou bien le capitalisme accepte des modifications et alors cela voudra dire qu’elles ne sont absolument pas dangereuses pour lui ou bien il ne les accepte pas et les combattra farouchement, aussi minimes soient-elles. En d’autres termes, la volonté de rester au milieu du gué, de moraliser le capitalisme n’a littéralement aucune chance de voir le jour. Emmanuel Faber n’était même pas social-démocrate et les institutions capitalistes néolibérales (l’actionnariat et la finance) l’ont éjecté. Tout ceci ne fait que confirmer, pour peu que l’on accepte l’épreuve de la conséquence, qu’il faut bien détruire non pas simplement le capitalisme mais ses conditions d’existence. Sans cela, toute ambition communiste est vouée à l’échec.

Supprimer la crainte du lendemain

L’un des objectifs prioritaires d’un communisme conséquent est assurément de permettre à chacune et à chacun de ne plus avoir peur du lendemain, de ne plus vivre dans un état d’insécurité permanent et, en d’autres termes, de supprimer la prise d’otage générale que représente le salariat capitaliste dont les termes s’expriment à peu près ainsi : acceptez l’exploitation capitaliste ou crevez la bouche ouverte. À chacun selon ses besoins d’après la vieille phrase de Louis Blanc en somme à ceci près qu’il s’agit d’adapter cette maxime à la société contemporaine.

C’est tout l’objet du salaire à vie théorisé par Bernard Friot et que Frédéric Lordon reprend sous le nom de garantie économique générale dans son dernier ouvrage (voir la section aller plus loin). Cette doctrine a le double avantage de sortir de cette crainte du lendemain tout en abattant les institutions capitalistes. En mettant en place une propriété d’usage en substitution de la propriété lucrative des moyens de production, l’un des piliers du capitalisme, et en passant par le modèle de la cotisation plutôt que par celui du profit généré par une entreprise, le modèle salaire à vie/garantie économique générale nous permet de manière très pratique de nous émanciper tout en donnant la possibilité à chacun de travailler à temps plein sur ce qui l’anime profondément.

Niveau de vie versus mode de vie

Une réflexion sur une hypothèse communiste ne peut pas faire l’économie du débat sur le niveau de vie. Les détracteurs d’un tel modèle sont effectivement prompts à convoquer les images de pénuries voire de famines pour mieux le discréditer. Pour être très clair, une révolution qui commencerait par des étals vides et des queues immenses n’a guère (pour ne pas dire aucune) de chance d’aller au bout de son objectif sans employer la violence et l’autoritarisme. Pour autant, ce n’est pas tant la question du niveau de vie qu’il faut poser que celle du mode de vie. De la même manière que parler de croissance (qui est l’une des conditions sine qua non du capitalisme en tant que modèle d’accumulation illimitée) n’a guère de sens si l’on reste dans la logique capitaliste, parler de niveau de vie n’est pas très pertinent.

Effectivement, le passage au communisme changerait radicalement nos vies, nos pratiques et, in fine, notre manière de consommer. C’est bien là tout l’enjeu, un changement de mode de vie et non pas de niveau de vie. Libérés de ce consumérisme fou qui n’est, la plupart du temps, que la conséquence de la double aliénation capitalise – aliénation du prolétaire qui voit dans la consommation une sorte d’objet transitionnel (un doudou) pour apaiser sa situation, aliénation du capitalisme lui-même qui ne peut survivre que s’il vend toute la camelote qu’il produit – nous pourrions en effet non seulement consommer moins mais surtout consommer mieux. A-t-on réellement besoin de tout ce que nous consommons de manière effrénée ? Assurément pas et c’est là l’un des enjeux du communisme qui ne peut se départir de l’urgence écologique. Détruire les institutions capitalistes et installer le communisme pour changer la vie en somme.

À suivre…

Pour aller plus loin:

Figures du communisme, Frédéric Lordon

Vaincre Macron, Bernard Friot

Au-delà de la propriété, Benoit Borrits

Face au désastre qui vient: le communisme désirable, Frédéric Lordon chez Le Média

Quand la gauche essayait, Serge Halimi

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