Racisme dans le football : l’impasse ?

La Parabole des aveugles – Pieter Brueghel l’Ancien

C’est un des nombreux maux qui gangrènent notre société et logiquement le football : le racisme. La lutte contre ces actes révoltant n’est pas une chose aisée, loin de là. Pourtant au fil du temps, les instances du football ont pris le problème à bras le corps, en tous cas en apparence, des campagnes d’affichage, des badges ou simplement une volonté de libérer la parole des différents acteurs. Mais en 2021, cette lutte semble être dans une impasse. Réflexions et perspectives, pour sortir toujours plus de ce sentiment d’impuissance.

De plus en plus souvent, les joueurs ont compris qu’ils ne devaient plus faire confiance aux instances et qu’ils devaient agir par eux-mêmes. C’est pour cela que certaines équipes se mettent à rejoindre les vestiaires quand en plein match, un acte raciste est entendu. C’est ce qui est arrivé lors du match Cadiz-Valence comptant pour les 29e journées de Liga. Peu avant la demi-heure de jeu, Diakhaby explose, il est en rage et semble vouloir s’expliquer avec Juan Cala. Tout s’emballe, après une discussion entre Gabriel, le capitaine des Blanquinegro et le défenseur français, les joueurs de Valence décident de rejoindre les vestiaires. On se rend rapidement compte que c’est pour protester contre un acte raciste.

Les joueurs font le travail

Les joueurs suivent donc les consignes, dès qu’un acte raciste arrive, le match doit être arrêté. Il ne suffit plus d’attendre que les choses soient réglées ensuite, il faut marquer le coup, rendre la chose inévitable, obliger les gens à s’en soucier, ne plus accepter les discours du type : tendre l’autre joue, ou c’est la vie. Gabriel Paulista et José Gaya, deux cadres du Valencia CF n’ont pas remis en cause le discours de Diakhaby, parce qu’on ne rigole pas avec ce genre d’insulte, et que c’est pas à la victime de s’expliquer, mais à l’auteur de se défendre.

C’est une chose qui était déjà arrivé en C1, avec les accusations de racisme du 4e arbitre envers Pierre Webo, l’adjoint d’IBB, le club turc d’Erdogan. Finalement, le match a pu reprendre sans l’arbitre qui a été mis de côté. L’histoire a été désamorcée ensuite mais il fallait taper fort et ne plus accepter que le racisme soit rangé du côté du folklore dans le football, mais comme un mal à éradiquer, comme dans nos sociétés.

Seulement, c’est rarement aussi simple. Et si les acteurs du football, ceux qui tapent dans le cuir, ont bien compris qu’ils avaient un rôle important à jouer pour lutter contre ce fléau, c’est pas le cas de tout le monde. N’ayant aucun poids dans les instances, hormis un pouvoir médiatique qui peut être pourtant facilement réduit au silence, les footballeurs ne peuvent rien faire sans le soutien des instances. Ce match, entre Cadiz et Valence a aussi montré ce faible soutien, voire une lâcheté manifeste.

Des instances souvent décevantes ?

L’idée n’est pas de dire que la FIFA, la Liga ou la LFP pour ne citer qu’eux, n’ont rien à faire du racisme, ou des autres luttes, nous ne faisons pas de procès d’intention. Le cas de Mouctar Diakhaby est cependant intéressant, dés le retour aux vestiaires des joueurs de Valencia, des officiels, ont mis la pression sur les joueurs. En gros : si vous ne reprenez pas le match, vous allez perdre plus que 3 points. Mouctar, qui dénonce le racisme d’un joueur sur la pelouse ne semble soutenu que par ses coéquipiers.

Finalement, le match finira par reprendre après plus de 20 minutes d’interruption … sans Mouctar Diakhaby, en tribune, mais avec Juan Cala, le possible auteur des insultes racistes envers le Français. Cette première image est particulièrement gênante pour moi. L’idée n’est pas de clouer au pilori le défenseur espagnol, mais voir celui qui dénonce sorti pour voir l’auteur présumé gambader sur le terrain me met mal à l’aise, voire me révolte.

La suite est encore pire, Juan Cala dans une conférence de presse explique que la présomption d’innocence n’existe plus en Espagne, et qu’il a fait des campagnes humanitaires en Afrique, donc qu’il n’est pas raciste. LaLiga et la Fédé espagnole commandent aussi des enquêtes exceptionnelles. L’organisme dirigé par Javier Tebas est le premier à rendre son verdict : aucune preuve audio d’insulte raciste envers le Français. Juste un Mierda tout seul, une chose qui n’est pas du tout courante en Espagne, cette insulte étant souvent associé à un qualificatif péjoratif, raciste ou sexiste. Pire, Javier Tebas explique que Diakhaby a probablement mal compris, qu’il doit se tromper. En gros l’affaire est en train d’être étouffée et Cala pas inquiété plus que ça.

Un manque de courage ?

L’attitude de Javier Tebas est intéressante pour un point : quelle attitude avoir face à un joueur qui accuse un autre d’insulte raciste sans preuve audio ? Ou des preuves audios insuffisantes ? C’est arrivé lors du PSG-OM du début de saison, et finalement, rien n’est arrivé. Parce que oui, c’est facile d’exclure et d’interdire un ou plusieurs supporters manu-militari de la tribune sans autre forme de procès qu’un bout de vidéo ou de dénonciation, mais ce sont des décisions qui nécessitent aucun courage et surtout qui n’engagent aucune responsabilité.

Oui, les instances ont déjà sanctionné des actes racistes, la Fédé anglaise a par exemple sanctionné Luis Suarez pour des insultes qu’il a avouées envers Patrice Evra, Edinson Cavani a aussi été sanctionné pour un commentaire raciste sur Instagram. À chaque fois, les instances ont sanctionné des choses qui étaient claires et où le doute n’était pas permis. Finalement, des choses classiques et qui ne sont aucunement des avancées quelconques dans la lutte contre le racisme. Cependant, encourager la libération de la parole pour ensuite ne rien faire pour soutenir ceux qui portent des accusations ou rajouter : oui mais bon, on a pas de preuves, on peut rien faire de plus, c’est très problématique. On ne doit pas accepter ce genre de choses. Jamais.

Que faire quand l’auteur présumé nie et qu’aucune preuve n’est possiblement présente ? Quand c’est parole contre parole, et que donc, l’auteur peut se draper dans la présomption d’innocence et être soutenu par des conservateurs (après les accusions, un papier est sorti sur les erreurs défenseurs de Diakhaby, un autre média a qualifié le défenseur de : français de race noire). Sous entendre que les paroles de l’accusé, qui doit se défendre et celui qui porte les accusations auront la même répercussion et le même poids dans la bataille médiatique, c’est se mentir à soi-même. Et finalement, Tebas ne demande pas à Juan Cala d’éclaircir sa défense ou appel des témoins à se manifester, mais attaque simplement Diakhaby.

C’est là que des notions comme le courage ou simplement l’honnêteté des valeurs affichées se questionnent. On n’attend pas des instances qu’elles disent qu’elles luttent contre le racisme, on attend d’elles qu’elles soient là quand une personne qui porte des accusations soit soutenue. En Espagne, la Liga et son président aux idées politiques proches de l’extrême droite n’ont pas été à la hauteur. Bien sûr, Cadiz explique aussi depuis cet incident que la lutte contre le racisme est importante pour le club, et Valencia tente d’avoir une position assez véhémente sur la question sans pour autant réussir à peser plus que ça. Les racistes, ont cette faculté après avoir sorti une énormité, d’ensuite se poser en victime quand on les attrape par le col, soutenu par une pléiade de bonhommes tout aussi dégueulasse mais avec un pouvoir médiatique fort.

Ne pas se satisfaire de petites victoires

À l’heure actuelle, les joueurs semblent avoir compris qu’ils avaient un poids à faire valoir, et qu’il était important qu’ils s’en servent. Quitter le terrain après un acte raciste ou porter un boycott envers la CDM au Qatar sont d’excellentes choses qui doivent être encouragées. Se pose ensuite la question de ces fameuses institutions qui ne sont que trop souvent du côté des financeurs et encouragent trop souvent le laisser faire pour éviter de faire des vagues. Il est important de lutter contre le racisme, ou toute autre forme de discriminations, mais aussi de demander aux institutions de prendre des positions fortes et encore une fois, de ne pas accepter les positions molles ou qui ne tranchent pas. Accepter ce genre de choses, c’est finir par accepter que des auteurs présumés n’aient pas besoin de s’expliquer autre part que dans un espace que leur ait favorable. Il faut faire tomber les masques, être offensif et ne rien laisser passer.

La lutte est longue, ensemble on a réussi à mettre sur le devant de la scène des choses qui ont été trop longtemps laissées de côté. Cependant, ce n’est pas parce que maintenant on a autorisé les joueurs à quitter la pelouse pour manifester leur mécontentement qu’il faut penser que nous avons gagné, pas du tout. On prend la victoire d’étape, on la savoure, mais il reste encore beaucoup à changer et il faut continuer de lutter. Ce n’est pas parce qu’ils disent partout qu’ils sont de notre côté quand ils n’ont rien à faire, qu’ils le sont quand ils peuvent se servir de leur responsabilité pour nous défendre. On l’a bien vu, Diakhaby a pris un jaune dans l’action, pas Juan Cala. Sanction qui n’a, il me semble, pas été levée par la Liga depuis. Il est important de refuser la mollesse et la tiédeur, partout et tout le temps, on n’a pas grand-chose mais on rêve grand et on a du courage.

Benjamin Chahine

@BenjaminB_13

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