Demain, c’est loin

David avec la tête de Goliath – Le Caravage

Vendredi dernier, peu avant 21h c’est par un communiqué relativement succinct que Frank McCourt a annoncé le changement de direction à la tête de l’OM. Moins d’un mois après les événements survenus à la Commanderie et quelques jours avant l’arrivée de Jorge Sampaoli sur le banc du club, Jacques-Henri Eyraud, sans doute le fusible le plus important du propriétaire étatsunien, a donc quitté ses fonctions de président délégué pour rejoindre le conseil de surveillance. Dans la foulée, McCourt s’est rendu à Marseille pour introniser Pablo Longoria comme nouveau président et faire le tour des médias et des huiles politiques de la ville dans une forme de numéro de charme qui n’est pas sans rappeler 2016 et les premiers pas du Bostonien à Marseille.

Présenté comme l’ennemi numéro un d’un grand nombre de supporters, honni par les groupes ultras qu’il avait mis en demeure avec son sbire Hugues Ouvrard, pompier pyromane durant tout le mois de février, Jacques-Henri Eyraud semble donc avoir perdu son bras de fer avec les supporters – et non pas les « fans » selon son jargonneux et pompeux verbiage – alors même que cela semblait bien peu probable il y a quelques jours encore. Faut-il dès lors y voir une victoire totale de la part des supporters et plus particulièrement des groupes ? Le retrait de la mise en demeure annoncé par le propriétaire pourrait aller dans ce sens. Je crois, toutefois, qu’il faut se garder de tout triomphalisme tant la situation demeure précaire et la bataille risque d’être longue.

Savourer la victoire d’étape

Avant toute chose, il importe tout de même de savourer la victoire obtenue. Bien évidemment, celle-ci n’est pas totale et peut-être l’éviction d’Eyraud n’est-elle qu’une exfiltration – vers le conseil de surveillance, qui peut potentiellement posséder un fort pouvoir de nuisance à l’encontre du président délégué – mais il ne faut pas bouder le plaisir d’assister à une victoire d’étape. Eyraud (et avec lui McCourt selon toute vraisemblance) pensait pouvoir remporter le bras de fer avec les groupes de supporters en usant de ficelles aussi grosses qu’éloignées de la vérité. Las, il semble être tombé sur un os.

Quand bien même il ne s’agirait que d’une exfiltration, du simple point de vue communicationnel les supporters ont remporté une grande victoire. McCourt a dû reculer (ou faire mine de) et évincer d’un poste décisionnaire celui qui était son bras droit depuis son arrivée au club. Eyraud espérait pouvoir passer en force, expliquait à qui voulait l’entendre – soit directement soit par la voix d’Ouvrard – que ce n’était pas aux supporters de décider et qu’en conséquence il ne reculerait pas. Le voilà qui a dû quitter son poste après une fronde massive dans Marseille et ailleurs. De la même manière, le retrait de la mise en demeure est une victoire pour les groupes qui en avaient fait un préalable à toute reprise des discussions.

Amplifier la pression

Une fois que l’on a dit cela, peut-on considérer ce qu’il vient de se passer comme une victoire absolue, comme un triomphe ? Il ne me semble pas et le croire serait une erreur stratégique lourde. Certes, Jacques Henri-Eyraud n’est plus président du club et cela est une bonne chose tant sa morgue et son mépris avaient atteint des sommets ces derniers jours. Toutefois il demeure, pour le moment du moins, au conseil de surveillance et il faudra observer à l’avenir de manière attentive les éléments nous permettant de jauger son poids au sein du club (le fait de demeurer au CA de la LFP par exemple) et la méfiance doit donc être de mise.

Surtout, et les personnes qui me lisent régulièrement le savent, les individus ont finalement une importance relative. Ce qui importe réellement sont les structures. De ce point de vue, peut-on dire que le seul départ d’Eyraud signe un changement radical desdites structures ? Il est encore bien trop tôt pour l’affirmer. Pour toutes ces raisons, il parait primordial de ne pas relâcher la pression sur les dirigeants, de l’amplifier même puisque c’est bien là la seule stratégie qui vaille à mes yeux. Les laisser temporiser revient à leur laisser le loisir de reconstituer leurs forces. Le retrait de la mise en demeure est certes une bonne chose mais, in fine, nous voilà simplement revenu au point de départ avec le risque de faire de celui-ci un horizon désirable alors même qu’il ne nous convenait pas il y a quelques temps.

Bataille qui sera longue

La bataille que mènent un certain nombre de supporters remonte à bien plus loin que les récents évènements. Jusqu’ici il était relativement logique de cibler Jacques-Henri Eyraud tant celui-ci faisait tout pour se rendre détestable. Toutefois, la réalité est que celui-ci n’est qu’un pion et n’importe guère dans les dynamiques globales. Comme son titre l’indique, un président délégué représente le propriétaire et la politique qu’il met en œuvre n’est pas vraiment la sienne – quand bien même il peut avoir quelques marges de manœuvres – mais bien plutôt celle définie par la personne qui se trouve au-dessus de lui.

Dès lors, le départ d’Eyraud de ce poste change-t-il radicalement la donne ? D’un point de vue la réponse est positive tant ce triste personnage était devenu insupportable et semblait enfermé dans une folle logique incendiaire. Cette réponse a ceci de rassurant qu’elle postule la thèse que son départ règle tout. La réalité me parait quelque peu plus complexe et, d’une certaine manière, moins réjouissante. Il est très clair que Pablo Longoria connait mieux le football et son environnement que son prédécesseur. Pour autant, si véritable inflexion il devait y avoir elle viendrait moins de lui que de Frank McCourt. À ce titre, la bataille qui existe depuis un moment ne touche pas à sa fin avec le départ d’Eyraud. Elle ne touche sans doute même pas au début de sa fin, à la rigueur sommes-nous juste entré dans la fin du début de ladite bataille.

Une contre Agora ?

Aussi parait-il essentiel d’imaginer des modes d’action et de lutte qui nous permettront de peser à l’avenir sur les décisions prises. Le retrait de la mise en demeure par le club est une bonne première étape mais elle ne saurait signifier la fin du combat. L’Agora OM n’a d’ailleurs pas été retirée à ce jour et représente assurément un affront fait aux groupes de supporters. Le départ d’Eyraud n’équivalant pas à une amnistie totale des actes de la direction, il me parait évident que le boycott de ce gadget ridicule reste d’actualité.

Peut-être serait-il envisageable d’organiser une contre Agora qui ne discuterait pas de comment il convient de supporter légitimement – puisque cette notion a bien été convoquée dans le questionnaire – l’OM mais bien plutôt de la manière dont les supporters doivent être impliqués dans les décisions prises ? Les dirigeants se sont crus malins en convoquant l’imaginaire de la démocratie athénienne, là est sans doute un moyen de les court-circuiter et de démontrer que l’assemblée du peuple olympien peut se réunir sans eux et même contre eux.

Penser à l’après

Dire qu’il faut continuer à se battre contre la direction et contre McCourt n’engage à pas grand-chose. Des mots jetés en l’air font toujours l’économie du regard pratique sur la situation. Parce que s’il était effectivement possible d’appeler au départ d’Eyraud sans guère penser à l’après (même si cela est déjà une erreur à mon sens), souhaiter que le propriétaire déguerpisse ne peut pas se placer sur le même plan pour la simple et bonne raison que, concrètement, si Frank McCourt venait à se retirer du jour au lendemain, sans remplaçant le club disparaitrait.

Tout ceci mène assez rapidement à la question d’une possible vente du club ou, ce qui est encore de l’ordre de l’utopie, d’une possibilité d’actionnariat réellement populaire. C’est bien là que le bât blesse, aussi longtemps qu’il s’agissait de faire front commun contre un ennemi à peu près bien identifié l’unité était facile à obtenir. Dès lors que l’on commence à discuter de l’après, les dissensions réapparaissent. Je suis personnellement prêt à repartir de plus bas pour peu que le club puisse garder son identité mais cette position est-elle majoritaire parmi toutes celles et ceux qui exigent une vente du club ? Rien n’est moins sûr. C’est pour cette raison qu’il parait essentiel de commencer à discuter et à réfléchir dès aujourd’hui sur l’après. Après l’atmosphère tendue, volcanique sans doute est-ce là le grand défi, éviter que ce soit toujours la même merde derrière la dernière couche de peinture.

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