
Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie -Ilia Répine
C’est une musique nouvelle depuis maintenant plus d’un an. Emmanuel Macron à la suite d’un discours dans un quartier populaire de Mulhouse mêlait communautarisme et séparatisme dans une prise de parole qui allait faire date dans l’univers de la Macronie. Pour beaucoup, celui qui aime bien se dire ni de droite ni de gauche opérait un vrai virage vers les théories nationalistes de roman national, d’identité et surtout la recherche de la stigmatisation d’une certaine frange de la population, fantasmée et artificielle, pour donner de l’épaisseur à ce discours de la peur et autoritaire. A quelques semaines de son vote et alors que les débats ont débuté, quelques mots sur ce que charrie cette loi contre les séparatisme devenu le projet de loi confortant les principes républicains.
Le terme séparatisme n’est pas nouveau dans le lexique des républicains dans leur frange la plus large. Les gouvernants, notamment Charles de Gaule, lui ont donné un sens un peu plus épais au tournant de la seconde guerre mondiale. Surtout utilisé pour qualifier les régionalistes aux ambitions d’indépendances, CDG s’en est saisi pour disqualifier tour à tour, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Benoit Frachon un responsable de la CGT, les communistes, l’ensemble des militants pour l’indépendance de l’Algérie et décoloniaux notamment. Ce qui a été tenté dans cette désignation est l’éviction du débat public ou simplement la dévalorisation de la parole de ces militants qui, aux yeux du Général et de l’ensemble de ses soutiens, voulaient défaire la République française. Cette magnifique institution qui a procédé à des massacres en Algérie, et rendu la vie impossible à toute personne ressemblant de près ou de loin à l’idée qu’ils avaient d’un Maghrébin en métropole pour ne citer que ça. Son attitude lors de ses passages en outre-mer, où le Général avait l’habitude de garder la tenue verte du militaire, parce que ces gens ne comprenaient que ça pour lui, permet de comprendre que derrière le qualificatif de séparatisme, se cache un racisme et surtout une pelleté de préjugés. Chose qui n’a pas vraiment changé après plusieurs décennies.
LREM, (volontairement) dépassée par sa droite ?
Ce texte aux relents malsains excitent la droite, permet la sortie de nombreux laïcard biberonnés aux thèses du Printemps Républicain dans la même logique que l’utilisation excessive du mot Laicité de Manuel Valls lors du questionnement des élèves durant les minutes de silences concernant les tueries à Charlie Hebdo. L’idée n’est pas de fourvoyer ces principes de Laïcité, d’Egalité ou encore de Fraternité, mais dans les faits : on a sacralisé des termes qui n’ont pas le même sens pour tout le monde. Et c’est problématique.
C’est pourtant l’ensemble du texte qui entre cette logique, on énonce de façon péremptoire les principes de Liberté, d’Egalité, de Laicité, on parle de valeurs de la République comme d’une fin en soi sans jamais questionner la réalité de ces notions sur le terrain. Surtout que dans le même temps, la droite jugée réactionnaire est depuis longtemps dans une phase de conquête. Les amendements déposés par ce courant, qu’ils émanent de la majorité ou plus largement de l’opposition LR et RN le montrent bien. Eric Ciotti veut étendre la loi concernant le voile en public, mélangeant les termes, les appellations pour continuer de mettre le flou entre islamiste et musulmans pieux (deux qualificatifs déjà vague). D’autres parlementaires ramènent sur le tapis des questions plus anciennes, comme le pourcentage minimal obligatoire de logement sociaux dans les communes exigé par la loi. Certains même veulent mettre un pourcentage maximal de ces logements pour éviter « d’être envahi par les pauvres ».
Cette loi n’a pas d’autres fonctions que de permettre une chose : faire ressurgir le mythe de l’ennemi intérieur. C’est la stratégie préférée de l’État quand il est en difficulté. Dans un climat social tendu, avec la crise sanitaire qui montre que notre État qui coute si cher est géré par des gens limite capables, il fallait allumer un contre-feu. Se servir de la peur bien ancrée des musulmans, des basanées en général et des quartiers sensibles permet d’aérer le débat et de donner un os à ronger à une partie de l’opposition et des médias tout en permettant au gouvernement de se fabriquer un bon bilan. En aucun cas le gouvernement cherche à proposer un projet de société nouveau ou à se questionner sur pourquoi des gens partent en Syrie ou se tournent vers une pratique rigoriste de la religion.
Des oppositions décevantes
Alors que le débat et le texte de loi a lentement dérivé des séparatismes vers la défense des principes républicains, la gauche a bien du mal à se positionner sur la question. Au PS, et plus largement chez le centre-gauche, on est d’accord pour attaquer l’Islamisme, mais il faut protéger les musulmans et au final, on marche sur des œufs à défaut de pouvoir nommer et dire les choses. Depuis que cette frange a abdiqué sur les questions économiques, elle n’arrive plus à imprimer aucun tempo et reste en quête de débats sociétaux qui la met en mauvaise posture sur le voile, le droit des femmes à disposer de leur corps et sur les luttes d’émancipation. Chez la FI, on tente une charge sur le statut de l’Alsace et la Moselle. Si l’idée peut-être intéressante de remettre sur le tapis cette exception française, cela ne ressemble pas au meilleur angle pour faire converger son camp et faire front.
On peut imaginer la rédaction d’une loi de deux façon. La première est celle de la répression. Son écriture doit permettre de créer des délits, des crimes et de donner plus de pouvoir aux juges ou de prérogatives à la Police. Ce PJL contre le séparatisme est dans cette veine. On veut criminaliser la rédaction de certificat de virginité, permettre de couper les subventions de certaines associations ou mettre la pression sur certains clubs sportifs, renforcer les sanctions contre la haine en ligne et autres joyeusetée. Des choses qui n’apportent rien de plus en termes de moyens mais qui va permettre de renforcer le pouvoir du judiciaire pour criminaliser une certaine frange de la population.
On l’a bien remarqué au fil des discussions, derrière ces séparatistes se cachent les préjuges sur les habitants de banlieue : pauvre par choix, qui ne veulent pas travailler, ont 7 enfants pour les allocations, sont racisés, peut-être musulmans. Au final, pour certains esprits malades, ils ont bien mérités d’être dans cette situation. Cependant le gouvernement évité de donner sa définition de ce terme et surtout quel groupe il vise. Quand on demande de nommer le groupe qui est devenu l’ennemi de l’état, la Macronie rétorque : Cela n’est pas nécessaire, les français le savent bien. Ce flou dessert la population en générale mais permet à la Majorité de le manier avec facilité sans devoir l’expliciter. Le choix du terme séparatisme et du qualificatif séparatiste utilisé avec celui d’Islam, d’Islamiste, d’Islamique, de musulmans permet d’entretenir ce brouhaha et facilite les amalgames ou les sorties outrageuses.
La seconde vision de la loi est d’offrir plus de droit, ou de liberté individuelle. Par exemple pour la question des droits des femmes, leur refuser un certificat de virginité qui pourrait leur permettre de quitter un foyer nocif est-il une bonne chose ? Pire faire planer la sanction sur les médecins est irresponsable. Ne rien annoncer sur l’école hormis l’interdiction de l’instruction à la maison sauf si la préfecture nous juge assez républicain pour le faire est-il une bonne chose ? La décision phare du gouvernement depuis qu’il a adopté la lutte contre le séparatisme comme objectif prioritaire (alors que l’école craque, des féminicides sont encore commis ou que la pauvreté atteint des records) est la fermeture de l’ONG Baraka City. Je ne juge pas le fond de l’affaire, ne connaissant que trop peu le dossier. Mais en termes de communication, fermer une association qui lutte contre la pauvreté et la faim sur divers territoires est-il une bonne chose pour lutter contre la volonté de faire sédition avec cette république bourgeoise ? Quel projet cette République nous propose avec ce genre de choix ?
Cette République qui aime la force
Ce nouveau projet de loi n’est que le prolongement du fonctionnement des gouvernements qui se sont toujours servis des « valeurs » fantasmées de la République pour criminaliser ou marginaliser certains groupes de population. C’est son premier ministre actuel, qui pour un de ses premiers discours a expliqué qu’il en avait marre qu’elle doive s’excuser de son passé colonial tout en continuant de traiter différemment une partie importante de sa population, parce que pauvre et/ou parce que non blanche quand elle commence à vouloir verbaliser un mécontentement.
Il est dommage de ne pas voir l’opposition de gauche ramener les question d’éducation, les moyens pour l’école, d’égalité des chances, des minima sociaux, de carte scolaire, de lieux de vie et d’habitation dans les débats sur cette loi voulant conforter les principes républicains. C’est pourtant là que beaucoup se joue. À l’heure actuelle, la seule catégorie de personne qui peut se jouer des lois de l’État ce sont les riches qui ont une culture du contournement et de l’évitement ancrée en eux. C’est là que se joue une grande fracture. Laisser penser que les pauvres ont fait le choix d’être vampirisés par le capital, maltraités par l’administration, méprisés par les gouvernants ou violentés par la police est très inquiétant. C’est là où le refus de l’intersectionnalité est une erreur pour bon nombre de responsables politiques de gauche ce qui les coupent de leur base et de son quotidien. Le statut de l’Alsace et de la Lorraine, ça ne parle à personne.
La république n’a jamais cherché à créer un environnement sain pour l’ensemble de ses citoyens. Elle a, depuis sa prise en main par la bourgeoisie, tenté de ne faire que reproduire l’ordre social, que les pauvres restent pauvres et violente toute les voix qui ont pour ambition de la rendre plus égalitaire ou simplement pour inclusive. Elle a abandonné bon nombre de ses enfants, dans des écoles surpeuplées et mal-dotées financièrement, des habitations insalubres, sans institution publique hormis une police violente. Ne pas lutter contre les causes qui conduisent à l’obscurantisme tout en voulant réduire ses conséquences ne conduiront qu’à l’échec et à une diminution de nos libertés. On peut tous être le séparatiste de quelqu’un, il faut en avoir conscience quand on soutient une telle loi.
Benjamin Chahine
@BenjaminB_13