Communautarisme, retourner le glaive

Il y a quelques semaines – avant que la crise sanitaire liée au Covid-19 surgisse et bouleverse l’agenda politique – Emmanuel Macron était à Mulhouse pour y faire un discours centré sur la question du « séparatisme islamique », en d’autres termes le communautarisme. Alors que le locataire de l’Elysée a récemment annoncé que la deuxième phase du quinquennat, celle de la redistribution, était censée débuter, l’on constate qu’il ne fait là rien d’autre que de commencer à préparer très en avance l’échéance de 2022. Persuadé, en effet, que sa principale adversaire sera une nouvelle fois Marine Le Pen et que l’élection se jouera sur les thèmes identitaires, le monarque présidentiel se place finalement dans les pas de ces deux prédécesseurs en agissant de la sorte.

Nicolas Sarkozy, d’après les conseils de Patrick Buisson, avait axé toute sa campagne sur ces thématiques en 2012 (après leur avoir fait la part belle durant tout son quinquennat, le ministre de l’identité nationale étant là pour en témoigner) pour finir par échouer. François Hollande quant à lui avait opté pour une politique de cette sorte sur la fin du quinquennat avec la présence du matamore Manuel Valls à Matignon et la volonté de faire voter la déchéance de nationalité pour les terroristes qui avait provoqué l’émoi d’une bonne partie du pays. On le voit aisément, la carte du communautarisme est prestement brandie par les pouvoirs en place dès lors qu’ils sont en difficulté sur les plans économiques et sociaux, ce qui rend la déconstruction de cette logique d’autant plus urgente.

La commode muleta

Au cours des dernières années la France a malheureusement été durement touchée par des attentats sur son sol. Concomitamment, une sorte de climat hystérique a point notamment sur la question des musulmans et de leur prétendue volonté de faire sécession. Voile, burkini, signaux faibles (et la liste n’est ici pas exhaustive) sont devenus des repères pour un certain nombre de politiciens en mal de reconnaissance ou de voix et qui ne cessent de faire monter la tension. Aussi la question du communautarisme est-elle devenue un formidable moyen pour le pouvoir en place de se soustraire aux critiques qui lui sont adressées sur une politique en faveur des plus riches par exemple. Depuis des décennies en effet le chiffon identitaire est affiché sitôt que le mécontentement social prend de l’ampleur.

La réaction d’Emmanuel Macron à la crise des gilets jaunes est à cet égard extrêmement révélatrice. Dans son allocution du 10 décembre 2018, celui-ci a en effet évoqué une laïcité malmenée et parler de sujets identitaires alors même que ces deux points ne faisaient en rien partie des revendications des personnes manifestant tous les samedis depuis alors un mois. Bien trop grosse la ficelle n’a semble-t-il pas fonctionner et il faut s’en réjouir mais cela démontre bien à quel point, pour les dirigeants politiques la carte du communautarisme ressemble à une forme de joker pour éviter les questions qui fâchent et faire diversion.

Le moyen de discriminer et d’éliminer

Ce week-end se tiendra le premier tour des élections municipales. Il y a quelques temps, en amont de celles-ci, des débats ont émergé à propos de supposées listes communautaires. Beaucoup d’élus de droite appelaient effectivement à leur interdiction et récemment le gouvernement a jeté l’opprobre sur une dizaine de listes sans aucune transparence sur les critères utilisés. Cet exemple n’est que le dernier (au sens le plus récent) d’une longue série de pratiques visant à utiliser la carte du communautarisme pour mieux disqualifier des opposants qui dérangent. Nombreux sont effectivement les cas de personnes ou de listes qui se sont retrouvées mises au ban de la vie électorale sous couvert de communautarisme.

Dans les villes les plus pauvres – ce point est important nous y reviendrons – et souvent habitées par des personnes issues de l’immigration, certains élus sont prêts à tout pour conserver leurs prébendes et ne pas partager le pouvoir. Il y a, bien sûr, le clientélisme effréné qui permet d’atteindre cet objectif mais cela peut ne pas suffire. Dès lors jeter l’opprobre sur un militant associatif tout en restant à la limite de la diffamation (cela peut se faire par de simple suggestion sur la pratique religieuse d’un tel ou d’une telle par exemple) concourt à évincer ces concurrents qui auraient pu se révéler redoutables.

Ségrégation subie versus choisie

Je le disais dans la partie précédente, la question des inégalités sociales et la présence de ghettos de personnes en situation de pauvreté est l’un des éléments fondamentaux à prendre en compte si l’on veut aborder sérieusement la question du communautarisme – il est d’ailleurs assez ironique de parler de communautarisme pour ces zones lorsque l’on connait la diversité ethnique des gens qui y vivent. Pour justifier leurs saillies sur le communautarisme, nombreux sont les politiciens à expliquer que le fait de vivre ensemble, en vase clos ne peut mener qu’à cela. Cet argument pourrait fonctionner dans le cadre d’une ségrégation choisie – nous reviendrons sur ce point dans la dernière partie – mais dans le cas qui nous intéresse, cette ségrégation socio-spatiale est dans la plupart des cas subies par les populations qui vivent dans les quartiers populaires et les villes les plus pauvres.

Il ne s’agit pas ici de refaire l’historique de la stratégie urbaine dévolue aux personnes immigrées ou descendantes de l’immigration mais des bidonvilles de Nanterre aux grands ensembles actuels, il y a une continuité évidente dans la volonté de parquer et de rassembler ces populations ensemble et si possible loin du centre des grandes villes. Il y a non seulement eu cette volonté de rassemblement mais depuis des décennies les services publics tombent en déshérence dans ces territoires oubliés par la République où ce si beau concept n’est souvent plus qu’une station de métro, une rue ou une place.

Le mythe du communautarisme musulman

S’il y a bien une théorie fumeuse qui ne repose sur rien de précis scientifiquement mais continue à être propagée sans qu’elle soit démentie, c’est bien celle postulant que les musulmans seraient plus communautaristes que le reste de la population. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’un des arguments revenant en boucle sur le voile consiste à le critiquer pour le fait qu’il serait le symbole de l’endogamie musulmane. Tout ceci aboutit en effet à créer une réalité alternative fondée sur du sable et affirmant sans preuve aucune que les musulmans ne restent qu’entre eux quand les autres communautés expérimentent le mélange.

Ces affabulations ne résistent pourtant pas aux quelques analyses sociologiques qui ont été effectuées sur le sujet et dont le livre Communautarisme ? dirigé par Marwan Mohammed et Julien Talpin rend bien compte. Dans l’enquête présentée c’est même plutôt le contraire qui ressort à savoir que les personnes se présentant comme musulmanes ont des cercles amicaux se composant relativement plus de personnes d’autres confessions (ou sans confession). Bien entendu, ces chiffres n’intéressent pas ceux qui nous expliquent à longueur d’éditoriaux et de prises de parole public qu’il y aurait un séparatisme musulman dans le pays.

Renverser la perspective

Il existe pourtant bien un communautarisme dans ce pays mais il n’est pas à regarder du côté des musulmans, des Arabes, des Noirs, des Blancs. De la même manière que lorsque les contempteurs de « l’assistanat » oublient opportunément de parler des actionnaires rentiers qui sont les seuls assistés (le fait que l’Etat via la BPI vole à leurs secours en ce moment même en est une preuve éclatante), les tenants du communautarisme musulman se garde bien de parler de communautarisme social. Parce que l’enjeu est en réalité précisément ici, dans le fait de changer la vision du communautarisme pour le faire passer d’un prisme ethnique à un prisme de classe. Les principaux communautaires, ceux qui choisissent de l’être, de ce pays sont les classes supérieures qui, elles pour le coup, font sécession du reste du pays. Le Raincy en Seine-Saint-Denis ou le Roucas Blanc à Marseille font figure d’exemples paroxystiques de ce communautarisme des riches qui veulent se couper du reste de la population – et l’on retrouve cette logique un peu partout sur la planète à commencer par les gated communities en Amérique latine.

Ceux qui font passer leur argent avant leur pays, en pratiquant toutes les formes d’évitement fiscal (de l’optimisation à la fraude) sont les vrais communautaristes et c’est l’un des leurs qui est actuellement au pouvoir, menant une politique qui convient bien à sa communauté. Les rallyes – qui ne sont rien d’autre qu’une sorte de mariage arrangé, du même type que ceux trouvés archaïques s’il s’agit d’un mariage de personnes musulmanes – ne sont pas l’apanage des musulmans mais bien des classes les plus supérieures du pays. Toute la stratégie de ces classes est précisément de se couper du reste de la société pour ne plus avoir à rendre de compte et continuer à se gaver indéfiniment. Il est grand temps de détruire ces ghettos et de briser ce communautarisme qui met bien plus à terre le pays que le communautarisme musulman que l’on nous vend à longueur de temps. Léviathan versus tigre de papier en somme.

Pour aller plus loin :

Communautarisme ?, livre collectif dirigé par Marwan Mohammed et Julien Talpin

«Listes communautaires»: pour le ministère de l’intérieur, un mirage gagnant, Camille Poloni dans Mediapart

Enfances de classe, livre collectif dirigé par Bernard Lahire

La guerre sociale en France, Romaric Godin

Voyage de classes, livre dirigé par Nicolas Jounin

La Cité des 4000, béton armé, épisode d’Affaires Sensibles

La nouvelle lutte des classes, Slavoj Žižek

Crédits photo: marseilletourisme

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