Dans quelques semaines se tiendront les élections municipales dans notre pays. S’il est évident qu’avec l’actualité nationale de ces derniers temps – des gilets jaunes aux long mouvement social contre la réforme des retraites – ces élections semblent quelque peu reléguées d’un point de vue de l’intérêt des citoyens (les médias, à n’en pas douter et on le voit déjà, vont se régaler avec le traitement des municipales), elles demeurent toutefois les élections locales qui intéressent le plus les Français. Nous sommes évidemment bien loin de la caricature voulant que 90% de la population connaissent son maire mais bien plus que les départementales ou les régionales, les élections municipales restent un moment de relative forte participation.
Il est toutefois indéniable que l’intérêt est décroissant dans l’esprit des Français à l’égard de ces élections. S’il y a bien évidemment une multitude d’explications à cette tendance (un rejet plus global du système représentatif, l’impression d’une indifférenciation des projets politiques municipaux, etc.), celle postulant un pouvoir assez limité dévolu aux maires me parait être importante. Trop souvent présentées comme des élections nationales visant à sanctionner ou (très rarement) conforter le pouvoir en place, les municipales ne sont pas traitées comme ce qu’elles sont, c’est-à-dire une élection locale qui a des conséquences sur le quotidien des administrés. Derrière ce grand flou se cache indéniablement la question de la décentralisation et de ses dévoiements.
Outil pour baisser les dépenses publiques
Globalement – et pour être totalement juste cela n’est pas l’apanage d’Emmanuel Macron – les collectivités territoriales sont extrêmement critiques à l’égard du pouvoir central. Par-delà les questions de défense de pré carré qui peuvent surgir ci et là, le nœud gordien des tensions entre Etat et collectivités repose sur les moyens alloués (ou plutôt non alloués) lors des différentes phases de décentralisation. Si la suppression de la taxe d’habitation est une pierre d’achoppement monumentale entre les mairies et l’Etat, c’est la baisse globale des dotations de l’Etat – ou a minima la stagnation de celles-ci – qui pose souci. Il serait effectivement faux de dire qu’il n’y a pas eu de phase de décentralisation dans l’histoire de notre pays, le vrai problème se situe plutôt dans l’absence de moyens alloués pour que les collectivités puissent assumer les transferts de compétence.
Ce qui était censé être un renforcement des collectivités se révèle en réalité être un affaiblissement certain de leur capacité d’innovation et d’investissements. L’exemple de l’aide sociale est à ce titre éloquent et celui du RSA plus particulièrement, très univoque. Le paiement du RSA revient aux départements qui s’occupent donc de régler la facture d’une politique nationale. Les départements n’ont en effet aucun moyen d’influer sur le montant du RSA puisque celui-ci est décidé au niveau national. En outre, au moment du transfert de cette compétence, l’Etat a compensé à « l’euro près » selon la formule consacrée et qui est bien plus une formule de communication qu’autre chose. Si en année 0 la compensation est bel et bien à l’euro près, dans les années suivantes la dotation n’augmente pas alors même que le besoin en ressources augmente lui (sous l’effet de l’inflation et/ou de la montée de la précarité avec la crise de 2008 par exemple). Aussi les départements doivent-ils trouver des ressources pour financer cette politique sociale, ce qui revient à grever leur budget et à sacrifier l’investissement.
L’illusion de la panacée
Dans notre pays extrêmement centralisé et dans cette Vème République qui anesthésie totalement l’action populaire et les velléités démocratiques, la décentralisation peut apparaitre comme une panacée pour beaucoup notamment à gauche, si l’on excepte la partie jacobine de celle-ci. Bien qu’il ne s’agisse pas du même type de décentralisation que nous voyons à l’œuvre depuis des décennies et donc que dans une telle logique les moyens alloués aux collectivités seraient conséquents pour leur permettre d’assumer non seulement les transferts de compétences mais également de mettre en œuvre des politiques ambitieuses en leur permettant de ne pas avoir à continuellement boucher les trous, il me parait dangereux de voir la décentralisation comme la solution à tous les maux.
Une nouvelle phase de décentralisation pourrait effectivement permettre une diffusion du pouvoir et imaginer la mise en place d’une autogestion comme c’est déjà le cas dans certaines villes de très petites tailles ou la mise sur pied de mouvements citoyens comme l’Espagne en a connu. Il faut toutefois se garder d’un optimisme débordant et béat. Calquée sur la personnalisation à outrance et sur tous les vices de la Vème République, la vie municipale repose aujourd’hui dans notre pays sur une multitude de baronnies et de figures tutélaires présentes depuis des décennies, le cas de Jean-Claude Gaudin qui se retire de la mairie de Marseille après plus de 24 ans de règne est là pour l’illustrer à merveille. Ce n’est pas d’un simple ravalement de façade dont nous avons besoin mais bien d’une refondation profonde. Dans le cas contraire, c’est l’effondrement qui nous attend, un peu comme ces immeubles de la rue d’Aubagne qui resteront une trace indélébile dans le mandat Gaudin à Marseille.
Crédits photo: Courrier des maires