L’importance du langage en quelques lignes

Voilà quelques semaines que pas un jour ne passe sans qu’une déclaration choc ne voit le jour sur les plateaux télé – en particulier sur ceux des chaines d’infos en continu. Il serait évidemment injuste d’incomber la responsabilité de cet état de fait à ces seules chaines tant Emmanuel Macron et son gouvernement pratique cette stratégie où l’outrance le dispute à l’indécence mais il est totalement évident que ces chaines d’infos ont un poids très important dans cette grande confusion qui sied bien à la caste en place pour continuer son travail de sape contre le système social français. Il est certes important de ne pas céder à cette course à l’échalotte que mènent Macron et ses affidés – parce que faire l’inverse reviendrait à oublier que l’attaque qu’ils mènent est globale – mais il me parait important de ne pas laisser le contrôle du langage à ce bloc bourgeois.

L’appauvrissement et la simplification langagière que nous voyons se mettre en place depuis des décennies et qui s’accélère depuis l’accession de Monsieur Macron à l’Elysée fait, à mes yeux, pleinement partie de la stratégie de mise à mal du modèle social français. Tout le positionnement de Macron, depuis son émergence, est de construire une opposition binaire et manichéenne entre les supposés progressistes dont il serait le chef de file et les extrémistes. Dans cette optique, la construction linguistique n’est pas le dernier des outils. L’on pourrait considérer que cette lutte pour le langage est dérisoire, je pense au contraire qu’elle est essentielle et que la désertion de ce combat a signé la première défaite, celle qui a entrainé toutes les autres, de tous ceux qui veulent proposer une alternative au système en place.

La fin des débats complexes

L’appauvrissement toujours croissante du langage va nécessairement de pair avec un appauvrissement de la parole publique en général et du débat en particulier. Comment, en effet, parvenir à mener des débats complexes sur des sujets cruciaux quand tout le monde ne pense qu’aux petites phrases ? Aussi voit-on se mettre en place des stratégies de communications qui ne sont absolument plus fondées sur le fond du propos mais simplement sur la forme. C’est le parachèvement du buzz, ce mot dérivé de bzzzz et qui finalement désigne quelque chose qui fait du bruit mais qui n’a aucun sens. Voilà l’aporie dans laquelle nous sommes tombés et dont les fameuses chaines d’infos en continu sont l’exemple le plus éclatant. Le manichéisme et le simplisme ambiant pour mieux permettre au système en place de perdurer en somme.

Cet appauvrissement permet, en effet, aux dominants de procéder à de sordides manipulations. Pensons à tous ceux qui se revendiquent comme « réaliste » alors qu’ils sont totalement coupés du réel ou alors aux fameux « pragmatiques » qui ne font que perpétuer des recettes qui ont échoué à peu près partout sur la planète. Dès lors, il ne me semble pas fantaisiste de voir dans cet appauvrissement du langage une étape d’un projet politique, celui du néolibéralisme, qui a imposé ses manières de s’exprimer pour mieux étendre son emprise (tout comme le privé tend à imposer ses méthodes au public avec le New Public Management). C’est finalement ce capitalisme néolibéral et financiarisé qui a le mieux lu et appliqué la pensée de Gramsci en s’appliquant méthodiquement à remporter la bataille des idées avant de porter l’estocade politique. Dans cette logique, le langage lui aura été une arme particulièrement efficace tant la désertion de ce combat par les tenants d’une alternative lui aura laissé le champ libre.

De la structuration de la pensée

Tous les linguistes, ou presque, à commencer par Saussure dans son Cours de linguistique générale le disent : le langage est un des éléments fondamentaux dans la structuration de la pensée. Pour résumer, alors que l’on a longtemps pensé que le langage ne servait qu’à exprimer sa pensée, beaucoup de linguistes s’accordent aujourd’hui à dire que le langage n’est pas qu’un medium de la pensée mais bel et bien un élément constitutif de la pensée. Dès lors, l’avènement de tel ou tel type de langage, loin de n’être qu’un artifice, contribue grandement à structurer la pensée commune. « Le but du novlangue, écrit Orwell dans l’appendice de 1984, était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée ». Il me semble que nous vivons depuis quelques dizaines d’années le surgissement et l’établissement d’une sorte de novlangue. Celui-ci n’est certes pas porté par un totalitarisme mais les conséquences sont les mêmes pusiqu’il s’agit de couper court à toute logique de contestation du système en place.

C’est bien là toute la victoire du capitalisme néolibéral : avoir réussi à imposer son vocabulaire à tout va si bien que même pour le critiquer il faut utiliser ses concepts. C’est l’enfermement suprême de la souris dans sa cage, condamnée à courir toujours plus vite en pensant s’en sortir alors même qu’une telle action concourt à renforcer le système dominant. Cet envahissement du vocabulaire néolibéral a d’ailleurs été mis en évidence par Vincent de Gauléjac dans La Société malade de la gestion. Ainsi en est-il d’un certain nombre d’expression dont il est impossible de faire la liste exhaustive tant celle-ci serait longue. Par le passé, par exemple, les classes populaires étaient placées sous le vocable de « dominés ». Ce terme rendait bien compte d’un système inégalitaire qui induisait la domination de certains sur d’autres. Désormais ces mêmes classes populaires sont désignées comme « défavorisées » comme si leur situation était de leur responsabilité ou de la faute à pas de bol. De la même manière, le passage des « cotisations sociales » aux « charges » est loin d’être anodine et participe à une fustigation du système social français. Il est assez ironique de constater que les conclusions de penseurs hostiles au capitalisme ont fini par n’être plus utilisées que par lui. C’est peut-être là sa grande force et le néolibéralisme est venu parachever cette victoire. Il semble donc urgent de se réapproprier le langage pour pouvoir construire des alternatives à ce système. Cela ne pourra se faire que si nous nous émancipons des schémas préconçus induits par le langage managérial qui nous a envahis. Si la victoire des idées précède bel et bien les victoires électorales, il est grand temps de s’atteler à ce combat qui est loin d’être un combat d’arrière-garde ou un simple artifice. Il est chaque jour plus urgent d’abandonner la position de Winston Smith dans 1984 pour adopter celle de John le Sauvage dans Le Meilleur des mondes et construire des alternatives hors du système en place.

Crédits photo: Ecriture digitale

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