Hier s’est déroulée dans une très bonne atmosphère la marche contre l’islamophobie à Paris. S’il est toujours périlleux de se lancer dans des batailles de chiffres en raison du caractère complexe du comptage avec précision des effectifs présents – pour la marche d’hier le cabinet Occurrence a annoncé 13 500 personnes tandis que les organisateurs parlaient, eux, de 40 000 personnes, la vérité se trouvant probablement entre les deux – l’on peut sans conteste dire que, pour une première édition, celle-ci a été une franche réussite (j’y reviendrai rapidement sur ce blog). C’est peu dire, en effet, que ce 10 novembre a marqué une forme de rupture avec ce qui a pu se produire dans le passé tant la dignité d’une part considérable de Français et de personnes vivant en France a refait surface.
Il est effectivement important de rappeler que si cette marche a été initiée – et a rassemblé autant de monde – c’est avant tout parce que la France vit dans un climat délétère depuis des décennies et que celui-ci s’est encore plus accentué ces dernières semaines. Présentés tantôt comme les boucs émissaires bien commodes tantôt comme une cinquième colonne prête à surgir pour faire couler le sang, les Français et Françaises ainsi que les personnes vivant sur le territoire et qui ont en partage la confession musulmane sont les derniers que l’on interroge alors même que, bien trop souvent, l’actualité tourne autour d’eux tant et si bien que nous en sommes arrivés à un point où le confusionnisme est ambiant tant les concepts entourant l’islam sont utilisés n’importe comment par n’importe qui sans aucune rigueur intellectuelle. Il convient donc de faire quelques rappels.
Remettre de la rigueur
[Prémbule] : L’objectif de ce billet est de donner des définitions sommaires mais compréhensibles par tous des différentes notions abordées. Je n’ai aucunement la prétention d’être spécialiste de ces domaines là et pour les comprendre parfaitement il faudrait lire un ouvrage sur chacun d’entre eux mais j’espère que cette première approche permettra déjà de susciter la curiosité et de donner l’envie d’étudier la complexité de ces notions. On peut évidemment discuter plus profondément de telle ou telle notion par message si cela est nécessaire.
- Islamisme : L’islamisme est un courant de pensée musulman, essentiellement politique, apparu au XXe siècle. Usage du terme dans la langue française a beaucoup évolué depuis les 1970s à Terme d’usage controversé. A l’origine il s’agit donc d’une doctrine politique. En ce sens il peut y avoir des islamistes conservateurs et des islamistes réformistes puisque l’islamisme se fondant sur l’interprétation des textes qui constituent la charia (cf infra), la diversité des interprétations entraine différents courants. Toutefois l’usage qui en est fait aujourd’hui dans les médias et dans le monde politique renvoie nécessairement au fondamentalisme donc à l’action violente (chose que le concept originel ne contenait pas forcément).
- Sunnisme : Courant religieux majoritaire de l’Islam (environ 90% des musulmans sont sunnites). Le terme sunnnisme découle du mot Sunna qui représente la ligne de conduite de Mohamed saw (au travers de ce que l’on appelle des Hadiths). Les Sunnites suivent trois sources de référence : le Coran, la Sunna et la jurisprudence des différents savants musulmans au cours de l’Histoire. Au sein du sunnisme on dénombre 4 grandes écoles (=courant) qui sont le hanbalisme, le malékisme, le hanafisme et le chaféisme qui se fondent toutes sur les mêmes croyances. Le schisme avec les Chiites se produit très tôt, en 632, au moment de la mort de Mohamed saw. Les Sunnites reconnaissent alors l’autorité au Calife quand les Chiites reconnaissent l’autorité à Ali, gendre et cousin de Mohamed saw.
- Chiisme : Considéré comme hétérodoxe par les Sunnites. Création au début de l’Islam quand ils refusent les 3 premiers califes. En Arabe ils sont souvent appelés péjorativement les Râfidithes (littéralement « ceux qui refusent »). En tant que mouvement musulman, le chiisme reconnaît l’unicité divine, les textes sacrés du Coran, Mohamed saw, les cinq piliers, le jugement dernier et la résurrection. Pour les Chiites, à la différence des Sunnites, la communauté musulmane doit être dirigée par un descendant de Mohamed saw. Trois grands courants existent dans le Chiisme après des divisions : le chiisme duodécimain (qui est dirigé par un ayatollah), le chiisme septimain, dit aussi ismaélien, et les zaïdites.
- Alaouites : Les alaouites ou alawites également appelés noseïris ou nusayris ou ansariyas sont un groupe ethnique et religieux issu du djébel Ansariya au nord de la Syrie. La doctrine alaouite professe la croyance de la bénédiction de l’Esprit saint dans la succession des imams chiites. Leur livre Saint est le Coran, dont ils tirent toutefois une interprétation particulière, jugée non conforme à l’Islam (notamment concernant le principe islamique fondamental d’Unicité Divine ou « Tawhid ») par la majorité de la communauté musulmane. Il a donc pu exister et il existe encore actuellement une controverse concernant leur appartenance à l’Islam.
- Salafisme : Le salafisme est un mouvement politico-religieux revendiquant un retour à l’islam des origines, qui serait donc fondé exclusivement sur le Coran et la Sunna, selon la compréhension de Mohamed saw et de ses compagnons. Les salafistes prétendent dépasser les avis (fatwas) des quatre écoles de droit sunnites (hanafisme, malikisme, chaféisme et hanbalisme). Ils rejettent toute innovation (ou bid`ah en arabe), et sont en faveur d’une application stricte de la loi islamique (charia) qui en découle. Ils affirment constituer la restauration de l’islam des premiers siècles après sa corruption par les innovations blâmables. Etymologiquement, salafisme dérive du mot salaf à savoir prédécesseur ou ancêtre. Cela se rapporte aux compagnons du prophète Mohamed saw.
- Djihad (2 définitions : celle communément admise médiatiquement et la religieuse) : Pour la communément admise en France : djihad signifie guerre sainte. A ce titre les terroristes de Daech par exemple agissent au nom du djihad selon eux. Dans la religion musulmane : signifie tantôt effort tantôt chemin vers la paix dans la tradition musulmane (le terme exact étant djihad fissabililah donc littéralement effort sur le chemin de dieu). Notion qui part du postulat qu’en chaque humain, il y a des pulsions qui tirent vers des actes de bonté et d’autres qui tirent vers des actes vils ou des actes de malhonnêteté. Le djihad est alors l’effort fait par chacun pour tempérer les mauvaises pulsions et aller vers les bonnes pulsions. La lutte armée dans le cas du djihad n’est justifiée que dans le cas de l’auto-défense (en ce sens les guerres assimilables au djihad sont celles en Afghanistan contre l’OTAN, en Irak lors de l’invasion américaine ou en Palestine face à Israël dans l’acception religieuse du mot).
- Charia : La charia ou charî’a représente diverses normes doctrinales, sociales, culturelles, et relationnelles édictées par la « Révélation » (Coran). Le terme utilisé en arabe dans le contexte religieux signifie : « chemin pour respecter la loi de Dieu ». Il est d’usage de désigner en Occident la charia par le terme de loi islamique qui est une traduction très approximative puisque n’englobant que partiellement le véritable sens du mot (ce terme est d’ailleurs utilisé en place de droit musulman). La charia codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman, ainsi que les interactions sociétales. Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu. Le niveau, l’intensité et l’étendue du pouvoir normatif de la charia varient considérablement sur les plans historiques et géographiques.
Le dramatique abandon des concepts
L’on pourrait se dire qu’il ne s’agit là que d’un combat d’arrière garde et qu’il n’est pas important d’utiliser ces concepts avec précision. Je crois tout le contraire pour au moins deux raisons. La première, la plus évidente, est évidemment que cette confusion savamment entretenue est l’engrais le plus sûr de tous les amalgames et de toutes les simplifications. Si mal nommer les choses revient à ajouter au malheur du monde comme l’écrivait brillamment Camus alors il est euphémique de dire qu’en France lorsqu’il s’agit de traiter ces questions, c’est par wagons que l’on ajoute au malheur du monde. La deuxième raison, moins évidente mais plus importante à mes yeux, est précisément que favoriser cette confusion revient à empêcher toute compréhension de phénomènes immensément complexes.
Comment effectivement combattre le terrorisme et les groupes violents si l’on se complait dans une grille d’analyse qui est totalement erronée ? En voulant à tout prix simplifier des dynamiques immensément complexe – le plus souvent par ignorance plus que par cynisme me semble-t-il – les irresponsables responsables politiques mettent tout en œuvre pour n’absolument rien comprendre à ce qu’il se passe au Moyen-Orient. Tout ceci aboutit à des prises de positions totalement lunaires lorsque certains sont outrés de découvrir que la plupart des groupes rebelles syriens sont des islamistes par exemple, ce qui s’explique aisément par le fait que dans notre pays nombreux sont ceux à mettre un signe égal entre islamistes et terroristes. En tout état de cause, il est très urgent de remettre de la complexité pour cesser de tomber dans les sempiternelles mêmes impasses intellectuelles.
Crédits photo: Redbubble
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