Voilà quelques années que la France est prise dans le tourbillon des réformes structurelles, ce fameux mantra néolibéral. Il serait certes injuste de faire peser toute la responsabilité sur Emmanuel Macron – la fin du mandat de François Hollande et la loi El Khomri notamment ont toute leur part dans ce basculement – mais il est indéniable que depuis l’arrivée du nouveau monarque présidentiel le mouvement s’est accéléré et accentué. Attaque frontale du statut des cheminots, détricotage du principe même de l’assurance-chômage, volonté de bouleverser de manière radicale le système de retraite, privatisations à foison, c’est peu dire que l’ère Macron est un ouragan antisocial qui nous frappe de plein fouet, une sorte de revanche de la technocratie néolibérale et de la bourgeoisie par rapport à tous les conquis post Deuxième guerre mondiale comme l’écrit brillamment Romaric Godin dans La Guerre sociale en France.
A chaque fois que sa politique est remise en cause, Emmanuel Macron (accompagné de son odieux gouvernement et de sa majorité fantoche) s’insurge et explique qu’il mène cette politique pour le bien de la France et des Français afin de libérer l’économie du pays et lui permettre de retrouver une croissance vigoureuse. Il n’est guère surprenant de se retrouver en face de cet argumentaire dans la mesure où c’est celui qui est systématiquement utilisé par les néolibéraux. Le principal outil, en même temps que l’un des pièges sémantiques les plus utilisés, est assurément le concept de réforme structurelle. L’on nous explique alors qu’il faut faire ces réformes parce qu’elles sont nécessaires. Pourquoi le sont-elles ? Parce qu’elles le sont, voilà en somme la réponse donnée dans une forme de tautologie absurde. Il convient urgemment de déconstruire ce concept qui, au fur et à mesure, s’est transformé en une sorte de totem.
Du TINA aux réformes structurelles
S’il a été théorisé il y a bien des décennies avec Friedrich Hayek en figure de proue, le néolibéralisme n’a pu prendre son essor qu’aux tournant des années 1970-1980 avec la crise profonde rencontré par le modèle keynésien. C’est alors que les deux éclaireurs politiques de ce modèle, Reagan et Thatcher, ont pu mettre en œuvre une réelle stratégie du choc dans leurs pays respectifs pour mettre en place leurs idées. Du fameux « l’Etat n’est pas la solution à nos problèmes, il est notre problème » reaganien au « there is no alternative » thatchérien il y a un fil d’Ariane néolibéral qui s’est progressivement transformé en véritable foi dans les réformes structurelles défendues notamment par le FMI un peu partout dans le monde avec ses plans d’ajustement du même nom.
Le concept même de réforme structurelle vise à couper court à tout débat et à matérialiser le TINA thatchérien dans des faits concrets. Le néolibéralisme ne saurait effectivement tolérer une remise en cause et sa dérive autoritaire actuelle n’est que la suite de la matrice conceptuelle dans laquelle il a été forgé. Les réformes structurelles doivent se produire parce qu’elles le doivent, voilà ce à quoi l’on nous demande de croire. Et tant pis si tous les éléments tangibles démontrent une explosion des inégalités et un retour de la pauvreté. Les tenants du concept de réformes structurelles ont en effet une réponse toute trouvée, une parade magique : si les réformes structurelles n’ont pas marché ce n’est pas parce qu’elles sont mauvaises mais parce qu’elles n’ont pas été assez appliquées. En somme ils ne peuvent jamais se tromper, face je gagne, pile tu perds. Pareils aux médecins de Molière, les laudateurs des réformes structurelles pratiquent la saignée et nous expliquent que si la dernière n’a pas marché il en faut d’autres. Jusqu’à arriver à la saignée qui tuera le patient.
Détruire le totem
Progressivement le concept de réformes structurelles est devenu une sorte de totem. Fort de leur victoire culturelle après la chute de l’URSS et totalement acquis à la théorie de la fin de l’Histoire, les néolibéraux n’ont eu de cesse d’expliquer que leur modèle était le seul possible et le plus rationnel. Ce faisant, ils ont transformé les réformes structurelles en Réformes structurelles. Il est important d’introduire ici la majuscule parce que c’est précisément le mouvement que nous avons vu se mettre en place, la transformation d’un groupe nominal en concept absolu porteur d’une vérité révélée. Alors même qu’il ne devrait être question que de leurs réformes structurelles – leurs est ici à prendre dans son sens premier à savoir les réformes structurelles prônées par le néolibéralisme – nous sommes progressivement passés aux Réformes structurelles comme si les positions néolibérales étaient le seul horizon possible.
Dès lors, si l’on regarde la situation actuelle où le néolibéralisme est devenu une sorte de dogme permettant aux plus privilégiés de l’être toujours plus et que l’on souhaite filer la métaphore religieuse, être réellement réformateur ne nécessiterait-il pas de rejeter les Réformes structurelles néolibérales pour mieux imposer les nôtres ? Une sécurité sociale universelle, un recul du capital par rapport au travail et, à terme, la mise à mal de ce système inique qu’est le capitalisme, inique parce que fondé sur l’exploitation. « Il arrive que les décors s’écroulent, écrit encore Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience ». Peut-être est-ce là notre feuille de route, notre objectif premier, celui de faire s’écrouler les décors capitalistes. Ne nous voilons pas la face, le chemin sera long, la pente raide, les obstacles nombreux mais faut-il pour autant baisser les bras ? Sans doute devrons-nous attendre longtemps comme Giovanni Drogo dans Le Désert des Tartares avant de toucher au but mais tâchons d’éviter l’écueil dans lequel il est tombé et d’être présents si jamais l’occasion se présentait, tâchons d’imaginer Sisyphe heureux ainsi que nous l’enjoignait déjà Camus dans son essai.
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