S’il y a bien une chose qui caractérise la mandature d’Emmanuel Macron, c’est sans conteste sa volonté de réformer tous azimuts pour mettre à mal le modèle social français. Sa stratégie depuis le premier jour est effectivement d’ouvrir d’innombrables fronts – que ce soit par ses réformes ou par ses déclarations toutes plus scandaleuses les unes que les autres – pour avoir la maitrise de l’agenda et contraindre les contempteurs de sa politique à suivre son rythme effréné. Après le G7 de cet été et le positionnement du locataire de l’Elysée en grand chef diplomate, la rentrée est axée sur la réforme des retraites à venir. Avant ça il y eut la réforme de l’assurance chômage.
L’objectif, à peine caché, de cet enchainement très rapide est évidemment d’empêcher la réflexion globale sur ce qui est en train d’arriver et de forcer les opposants à s’épuiser en courant plusieurs lièvres à la fois. Il serait injuste de ne pas reconnaitre à la caste actuellement au pouvoir un sens stratégique certain dans la mesure où tout ou presque se passe comme prévu depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau monarque présidentiel. Dans ce flot continuel de réformes mettant à mal le modèle social français et de déclarations autant provocatrices qu’irrespectueuses à l’égard de bien des personnes, il me semble que la réforme de l’assurance-chômage marque l’une de ses ruptures dont l’on se rend compte bien trop tard.
La contre-révolution que l’on n’a pas vue venir
Pour arriver à son objectif – qui est de mettre à mal le modèle assurantiel – Emmanuel Macron s’est énormément appuyé sur une profonde méconnaissance de la différence entre le salaire net et le salaire brut. En faisant passer le premier pour le vrai salaire, le pouvoir en place a préparé le terrain à une grande contre-révolution sociale. Il a ainsi pu se faire passer pour un président soucieux du pouvoir d’achat lorsqu’il a fait diminuer les cotisations sociales pour les compenser par la CSG. Indépendamment du fait que certaines catégories de personnes (les fonctionnaires ou les retraités) ont perdu au change en termes de salaires nets du fait de l’augmentation de la CSG sans baisse de cotisations sociales pour eux (puisqu’ils n’en payent pas ou plus), ce changement de paradigme qui a été présenté comme une augmentation de salaire est un enfumage sans nom.
Certes, le salaire net de bien des salariés a augmenté du fait de ces réformes. Cela revient-il à dire que leur salaire a augmenté ? Je ne le crois pas. Il me semble effectivement que le vrai salaire est et demeure le salaire brut puisqu’il est ce qui est effectivement dévolu au salarié avant qu’il ne paye ses cotisations et autres prélèvements. En d’autres termes c’est bien le salaire brut que verse l’employeur au salarié. Le salaire net est ce qui se trouve sur nos comptes à la fin du mois mais le salaire brut, pour reprendre une expression bien connue, est (ou peut-être était) ce qui est destiné à toute la vie. En mettant à mal les cotisations sociales pour les remplacer par la CSG, Macron et son gouvernement ont certainement effectué l’une des plus grandes contre-révolutions depuis l’après-guerre en cela que mettre à mal les cotisations n’a pas pour autre objectif que de mettre en pièce le modèle assurantiel et paritaire pour le remplacer par un modèle de prestation sociale modulable par l’Etat et qui pourra servir de variable d’ajustement en cas de situation économique compliquée. Pour dire les choses plus concrètement, il sera bientôt possible à l’Etat de diminuer drastiquement les versements pour les personnes au chômage. D’un modèle assurantiel où nous cotisions pour avoir le droit à une assurance en cas de perte d’emploi nous sommes en train de passer à un modèle de prestation sociale.
La grande hypocrisie
Pour la réforme de l’assurance chômage, comme pour toutes les réformes, les éléments de langage du gouvernement ont été utilisés à profusion tant par les députés de la majorité que par bien des médias qui semblent avoir oublié leur rôle de contre-pouvoir. C’est ainsi que nous avons vu fleurir pendant un certain temps l’argument brandi comme un étendard d’équité et de justice de la baisse des allocations chômage pour les cadres. Il ne s’agit pas ici de dire que ceci est un mensonge mais bien plus d’affirmer que l’emphase mise sur ce tout petit bout de la réforme avait pour objectif de dissimuler qui seraient les vrais perdants.
Comme toujours avec Monsieur Macron, ceux-ci ne sont pas à chercher du côté des plus riches mais bien plutôt des plus dominés de la société. L’allongement de la durée nécessaire de travail avant d’avoir droit au chômage, le nouveau mode de calcul de l’indemnité (ne reposant plus sur les jours travaillés mais sur le revenu moyen des mois travaillés) ou le durcissement des conditions de renouvellement frapperont effectivement les Français les plus précaires, ceux qui vivent de contrats fractionnés. Ce sont ainsi ces personnes là qui supporteront la quasi-intégralité de la baisse de 3,4 milliards d’€ de dépenses escomptée par le gouvernement.
La culpabilisation obscène
L’un des points centraux de cette réforme – bien qu’il ne soit pas formulé tel quel – est assurément la culpabilisation des chômeurs. Toutes les mesures prises visant à un durcissement à la fois de l’accès au chômage mais aussi du contrôle des chômeurs convergent vers un même point de fuite : le mythe selon lequel les chômeurs le seraient par confort. On ne compte plus en effet les déclarations sur les personnes au chômage qui profiteraient de leur indemnité pour se payer des vacances et des sornettes de ce type. En affirmant qu’il faut contrôler plus durement les chômeurs, le gouvernement ne dit pas autre chose et de facto explique que le chômage est une affaire de responsabilité individuelle.
Il n’y a rien de guère surprenant à ce positionnement dans la mesure où Macron et sa clique sont pleinement imprégnés par les idées néolibérales et que la matrice de pensée de ce courant économique est sans conteste la question de la responsabilité individuelle. Culpabiliser ainsi les chômeurs permet non seulement de faire des économies sur le dos des plus précaires de la société mais également de mettre la pression sur les personnes en emploi et les inciter à accepter toutes les conditions qu’on leur impose. Par effet miroir, cela revient à nier tout poids du système économique ou des entreprises dans la situation de l’emploi catastrophique dans ce pays. Faire croire que les chômeurs le sont par choix ou confort à l’heure où plus de trois millions et demi de personnes sont inscrites dans la seule catégorie A tandis que les emplois non pourvus sont cinq ou six fois moins nombreux c’est soit ne rien comprendre soit manipuler à foison, la deuxième hypothèse ayant ma préférence.
Du chômage au RSA, le fil d’Ariane de l’exploitation
Toute cette dynamique ne peut aboutir qu’à une exploitation encore plus grande dans les années à venir pour toutes les personnes qui sont déjà dans des situations précaires. Le contrôle renforcé, la perte de ses droits après le refus de deux offres « raisonnables », le recalcul de l’indemnité, tout ceci concourt à une tendance détestable qui est de forcer les gens à se faire exploiter parce que c’est cela ou crever la bouche ouverte. Il est à cet égard intéressant de comparer cette réforme de l’assurance chômage et toutes ses conséquences avec l’antienne que nous entendons depuis quelques années sur le travail bénévole des bénéficiaires du RSA.
De nombreux élus sont effectivement désormais acquis à l’idée selon laquelle les bénéficiaires du RSA devraient effectuer du bénévolat forcé pour continuer à percevoir l’allocation. De la même manière que les nouvelles règles d’indemnisation font tout pour forcer les personnes les plus précaires à accepter l’exploitation, cette idée de bénévolat nous explique qu’il faut faire travailler les gens pour environ 500€ par mois. Parce que c’est précisément cela dont il est question, faire travailler les gens pour des salaires dérisoires voire obscènes. De deux choses l’une, ou bien il n’y a pas de travail à effectuer et il faut laisser les gens au RSA tranquille ou bien il y en a et dans ce cas là il faut les payer au moins au SMIC si l’on veut qu’ils l’effectuent. Forcer le bénévolat ou recalculer les indemnités chômage participent de la même logique et d’un même fil d’Ariane. Dans la mythologie grecque, ce dernier permit à Thésée de triompher du Minotaure puis de sortir du labyrinthe, il est grand temps que nous trouvions le nôtre pour triompher de ce système inique qu’est le capitalisme.
Pour aller plus loin:
Ce cauchemar qui n’en finit pas, Christian Laval et Pierre Dardot
Emanciper le travail, Bernard Friot
Le Talon de fer, Jack London
Crédits photo: Marianne