Bien que demeurant une forme de tabou en France – où on lui oppose prestement l’égalité républicaine et la non-différenciation des individus devant la loi (il est d’ailleurs assez intéressant de constater que ce sont bien souvent ceux qui profitent le plus des inégalités qui sont en pointe de cet argumentaire) – le principe de la discrimination positive refait pourtant périodiquement son apparition tantôt au détour d’une interview donnée par tel ou tel intellectuel tantôt parce qu’un candidat décide de l’inscrire a minima dans son programme tantôt parce qu’une école décide d’appliquer une forme de discrimination positive avec l’instauration de quotas ou d’autres mesures dans le genre.
Loin d’être favorable aux inégalités et de penser que celles-ci stimulent tout un chacun comme le pensent les libéraux, je crois pourtant que le principe de la discrimination positive est un grand enfumage en cela qu’il ne permet pas de s’attaquer aux vrais problèmes. Présentée comme un moyen de permettre aux populations les plus dominées d’accéder à telles ou telles études, la discrimination positive est, à mes yeux, bien plus le moyen de verrouiller un ordre social bien établi en faisant miroiter un horizon meilleur à quelques-uns. Il va sans dire qu’il devient plus qu’urgent de déconstruire l’imaginaire qui entoure ce principe dans la mesure où il est, me semble-t-il, un grand piège dans la lutte contre les inégalités.
Casser le thermomètre
Faire la promotion de la discrimination positive revient finalement à nier les grandes tendances inégalitaires ou plus précisément à prétendre les rectifier de manière artificielle. Partant du postulat qu’il existe des inégalités, la discrimination positive offre à une proportion extrêmement faible des dominés le droit d’intégrer des études, des emplois, etc. Ce faisant, pratiquer la discrimination positive aboutit à abandonner toute ambition volontariste globale pour se contenter de pis aller. Permettre à certains de s’élever tout en laissant la grande majorité dans l’état de domination, voilà quel est le projet de la discrimination positive.
Plutôt que lutter énergiquement contre les inégalités qui sont structurelles, l’on préfère mettre en place des mesures qui sont, elles, conjoncturelles. A l’ère où les revendications individuelles semblent avoir supplanté les mobilisations collectives, la discrimination positive est sans conteste l’outil permettant tout à la fois de diviser les classes dominées et de limiter les possibilités d’ascension sociale. En somme, pratiquer la discrimination positive c’est agir sur les effets et non pas sur les causes de telle sorte que les classes dominantes restent sûres de leurs dominations tandis que les classes dominées demeurent tout au bas de l’échelle sociale. En d’autres termes, il s’agit de casser le thermomètre pour dire qu’on n’a plus la fièvre.
Discrimination positive et stratégie du jeton
L’une des principales critiques que l’on peut faire à ce concept – indépendamment de celle faite plus haut – est sans conteste qu’il se soucie bien plus de la ligne de départ que de celle d’arrivée pour les personnes qui en bénéficient. En d’autres termes, la discrimination positive s’intéresse à l’entrée dans tel ou tel cursus pour une certaine catégorie de personnes mais certainement pas à leur réussite dans ce cursus. A cet égard, la proposition de François Hollande, alors candidat en 2012, d’introduire un pourcentage d’élèves issus des établissements REP ou REP+ en classes préparatoires fait figure d’exemple paroxystique de toutes les tares de ce concept. En plus du fait que beaucoup de lycéens de ces établissements n’ont certainement jamais entendu parler de ces cursus, il faudrait être aveugle et sourd à toutes les études sociologiques pour ne pas voir qu’il existe des différences fondamentales selon le lycée où l’on est scolarisé.
Aussi cette proposition est-elle pleinement symbolique de la logique de « casser le thermomètre » en cela qu’il est fort probable que les élèves issus de ces établissements et ainsi arriver en classes préparatoires aient un retard si considérable à rattraper qu’ils se fassent éjecter de ces cursus après une année seulement. Les apparences et les chiffres seraient sauvés mais rien n’aurait en réalité été fait pour lutter contre les inégalités. Plus insidieux encore, la discrimination positive s’apparente à la stratégie du jeton tant appréciée par les anglo-saxons – il n’y a d’ailleurs pas de hasard à voir que ces pays sont les plus friands de discrimination positive – à savoir le fait de permettre à certaines personnes issues des classes dominées d’intégrer les classes supérieures pour mieux faire culpabiliser le reste des classes dominées en leur expliquant que c’est parce qu’elles ne travaillent pas ou toute autre sornette de ce genre qu’elles se retrouvent dans cette situation. La discrimination positive apparait dès lors comme un fort outil de contrôle social et de culpabilisation de la majorité de la population si bien qu’il devient urgent de casser ce concept pour mieux agir contre les inégalités.
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