Depuis quelques temps, il est devenu courant d’entendre parler de guerre commerciale entre certaines grandes puissances économiques – le cas des tensions sino-étatsuniennes faisant à cet égard figure de symbole – mais il est désormais très rare, pour ne pas dire exceptionnel, de voir se mettre en place des tensions monétaires entre Etats. Il y a, bien entendu, toujours les reproches effectués à l’encontre de la Chine et de son yuan artificiellement sous-évalué mais à l’époque contemporaine, les principales tensions monétaires dont nous entendons parler sont bien plus le fait d’attaques spéculatives sur telle ou telle monnaie (la Turquie en fait d’ailleurs les frais depuis un certain temps). Pour dire les choses autrement, les soubresauts monétaires sont aujourd’hui moins le fait d’une politique volontariste qu’un état de fait subi par les Etats.
Durant longtemps pourtant, les tensions commerciales s’accompagnaient de tensions monétaires parfois plus importantes. L’histoire économique européenne est, par exemple, parcourue de ces guerres monétaires lors desquelles les dévaluations s’enchainaient dans l’objectif de demeurer compétitif sur le marché international. La France, à ce titre, fait figure d’excellent contre-exemple puisque pendant un certain moment celle-ci a mené une politique du franc fort, au prix de conséquences sociales et économiques parfois désastreuses. Faut-il dès lors comprendre que la dévaluation monétaire aurait aujourd’hui cessé d’être un outil pertinent dans le cadre d’une politique économique ?
Le bras désarmé
Comme je le disais plus haut, il semblerait qu’aujourd’hui parmi les grandes puissances économiques de la planète (à l’exception notable de la Chine qui a construit une partie de sa puissance sur la faiblesse de sa monnaie) actionner le levier monétaire ne soit plus considéré comme pertinent pour accompagner la politique économique. Je suis bien plus enclin à voir dans cette nouvelle dynamique la victoire idéologique de l’école de Chicago et du néolibéralisme dont les préconisations sont peu ou prou d’abandonner les politiques volontaristes d’un point de vue monétaire pour aller vers des règles fixes. Il s’agit en somme de fixer le taux de croissance monétaire en le corrélant au taux de croissance moyen de la production à long terme et d’ensuite laisser la loi de l’offre et de la demande – donc les marchés financiers – fixer les intérêts.
Ce faisant, les Etats ne peuvent que se couper de ce qui faisait une partie de leur politique économique, à savoir le levier monétaire. En choisissant de dévaluer sa monnaie, un Etat pouvait mener une politique réellement volontariste. A cet égard, le cas de l’euro est symptomatique d’une forme de paroxysme. L’indépendance de la banque centrale et son unique mission de lutte contre l’inflation interdit toute politique axée sur la monnaie – ce qui n’a pas empêché la BCE de légèrement laisser filer le cours de l’euro avec sa politique de quantitative easing depuis quelques années – et prive ainsi les Etats notamment du sud de la zone d’avoir une monnaie adaptée aux performances de leurs économies.
Le mythe de la baguette magique
Si le rejet absolu du levier monétaire constitue à mes yeux une erreur dramatique en cela que les Etats sont désormais complètement soumis ou presque aux marchés financiers, il ne faut pour autant pas tomber dans l’autre extrême qui, parfois, est avancé par certains : la croyance en la dévaluation comme panacée. Comme expliqué en introduction, le monde en général et l’Europe en particulier ont connu des épisodes de fortes compétitions de dévaluation par le passé qui ont bien souvent abouti à un appauvrissement des populations. Il serait effectivement très dangereux de croire que la dévaluation est la réponse à tous les maux et peut être appliqué partout de manière indifférenciée.
De manière très évidente, tout d’abord, si tout le monde se lance dans une politique de dévaluation nous nous retrouvons rapidement dans une course à l’échalotte qui, souvent, se termine mal mais surtout l’outil monétaire n’est qu’un outil parmi d’autres de la politique économique des Etats. Vouloir lui faire porter tout le poids des politiques économiques revient à passer magistralement à côté de la complexité de celles-ci. Pour être pertinente, la monnaie doit être adaptée au niveau de performance d’une économie. Dans le cas de la zone euro, si les pays du Sud souffrent autant c’est précisément parce que la monnaie unique est fortement surévaluée par rapport à leur économie tandis que l’Allemagne profite de l’euro du fait de sa sous-évaluation en regard de son économie. En d’autres termes, depuis des décennies, l’Allemagne profite d’une dévaluation de facto puisque l’euro ne reflète pas réellement la puissance de son économie. Croire que la dévaluation est la baguette magique qui résoudra tous les problèmes de certains pays, c’est se jeter à corps perdu dans une fuite en avant qui ne peut déboucher que sur des drames, l’inflation massive n’étant pas le moins grave.
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