Le lien abstention-désintérêt en quelques lignes

Avant-hier, nombreux ont été les analystes à se réjouir d’une baisse de l’abstention par rapport aux dernières élections européennes. S’établissant à 49,88% alors que l’on attendait une abstention record – il est d’ailleurs assez drôle de constater que les mêmes sondeurs qui prévoyaient ce chiffre record étaient invités à commenter le chiffre de dimanche comme si de rien n’était, un peu comme les économistes qui jugeaient la crise de 2007-2008 impossibles ont été ceux à qui l’on a demandé d’expliquer les raisons de ladite crise – l’abstention a été brandie comme la preuve d’une vivification de « l’esprit citoyen » et tant pis si près d’un Français (inscrit sur les listes électorales) sur deux ne s’est pas déplacé.

Par-delà la question du chiffre en lui-même, la notion d’abstention est probablement devenue l’une de celles les plus débattues dans le débat politique et les abstentionnistes un sujet de discussion à part entière. Il n’est finalement guère étonnant d’assister à cet état de fait dans la mesure où les taux d’abstention atteignent des niveaux de plus en plus élevés (quand bien même l’abstention de dimanche est la moins élevée depuis 1994 pour des élections européennes) et semblent se stabiliser autour des 50% hors élection présidentielle. Dès lors, nombreux sont les analystes ou éditorialistes à définir l’ensemble des abstentionnistes comme des personnes n’ayant aucun intérêt pour la politique et, par conséquence, à tenter de faire croire que lesdits abstentionnistes n’ont pas leur mot à dire puisqu’ils ne votent pas.

La démocratie dégradée

L’argument le plus répandu pour diaboliser l’abstention est donc de dire que les abstentionnistes refusent de participer au paroxysme démocratique que représentent les élections. Il est vrai que dans notre système politique anémique et complètement à bout de souffle, les élections en général et l’élection présidentielle en particulier agissent comme une forme de catharsis d’un système soi-disant démocratique et surtout bringuebalant. A l’heure où Amnesty National brocarde notre pays en raison de l’érosion de nos libertés fondamentales, les élections jouent le rôle de cache-sexe à notre caste politicienne complètement déconnectée. Ne pas voter c’est donc ne pas participer à la démocratie selon les contempteurs les plus acharnés de l’abstention et des abstentionnistes. Il est euphémique de dire qu’une telle conception est à la fois tragique et ridicule.

Dire que la démocratie se résume aux élections, comme le disent beaucoup d’éditorialistes ou de politiciens (les Enthoven, Orphelin et tous leurs avatars), est, à mon sens, très révélateur de leur manière de penser. Je crois, au contraire, que les élections sont le moment le moins démocratique en cela qu’elle consacre le triomphe d’une partie de la population sur une autre. Dire que les abstentionnistes se désintéressent de la vie de la Cité en dit bien plus sur ceux qui expriment un tel jugement que sur les abstentionnistes eux-mêmes. Résumer l’acte politique au vote c’est, en effet, oublier la définition première du terme politique (vie de la Cité).

La récupération tous azimuts

Dès lors faut-il s’offusquer contre toutes les critiques à l’égard de l’abstention et des abstentionnistes ? Je ne le crois pas, bien au contraire. Si l’on accepte le fait qu’une partie des abstentionnistes le font de manière volontariste pour exprimer un choix politique alors ce choix politique doit lui aussi être disputé et critiqué comme l’ensemble des positionnements politiques. Par-delà une susceptibilité exacerbée chez certains, je crois fermement que c’est la récupération tentée par l’ensemble des partis politiques qui participent de cette critique qui peut être feutrée une fois l’élection passée.

Si la critique est rude avant l’élection pour tenter de faire se déplacer le maximum de personnes, celle-ci s’adoucit bizarrement dès le soir de l’élection pour tenter de récupérer ceux que l’on appelle de manière bien peu rigoureuse « le parti des abstentionnistes ». Tout le monde ou presque semble être convaincu que si les abstentionnistes se déplaçaient ils voteraient pour leur parti. Pourtant, rien ne nous permet d’affirmer avec certitude que tel ou tel parti politique (ou même plus grossièrement la gauche, la droite, l’extrême-droite, etc.) profiterait d’une mobilisation accrue. Se contenter de faire de la politique fiction est en réalité le meilleur moyen de ne rien comprendre à ce qui se passe et de faire que l’abstention ne faiblisse pas. Ce n’est pas avec des injonctions ou de la récupération politicienne que les choses changeront mais avec la présence de projets inspirants et qui s’adressent à ceux que le système actuel méprise et oublie.

Crédits photo: BFM

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