Il y a quelques jours, Emmanuel Macron a lancé le fameux grand débat imaginé comme une réponse à la crise que traverse le pays avec le mouvement des Gilets jaunes. S’il ne s’agit pas ici de revenir sur la mascarade que représente ledit débat – il n’y a qu’à voir à quel point les questions sont biaisées et la marge de manœuvre très étroite pour quiconque souhaiterait remettre en cause la politique menée – il me parait important de revenir sur le renoncement de Chantal Jouanno à diriger le débat. Présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), l’ancienne ministre était effectivement toute désignée pour présider cette consultation.
Celle-ci a toutefois renoncé à le faire en annonçant, de manière quelque peu bizarre, sur le 20h de France 2 son retrait en raison de la polémique liée à son salaire. Emargeant à 14 666€ bruts par mois alors que l’un des principaux fondements de la colère des Gilets jaunes est la question du pouvoir d’achat et de la difficulté qu’ont de nombreux Français à terminer le mois, il était clair que Chantal Jouanno ne pouvait apparaitre qu’en décalage total et massif, un peu comme si l’on demandait à Total de présider une COP. Ce retrait de Chantal Jouanno est à mes yeux révélateur d’un double écueil dans lequel se trouve les autorités administratives dites indépendantes : le salaire démesuré de leurs dirigeants et la mise à mal de leur indépendance.
Au royaume de l’absurde
« L’absurde, écrit Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. C’est cela qu’il ne faut pas oublier ». Plus loin, toujours dans le même livre, le philosophe ajoute : « Je suis donc fondé à dire, continue le philosophe dans le même livre, que le sentiment de l’absurdité ne naît pas du simple examen d’un fait ou d’une impression mais qu’il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation ». Il me semble que les mots du philosophe franco-algérien peuvent pleinement s’appliquer à la rémunération de Chantal Jouanno et à celle de tous les dirigeants de ces autorités administratives indépendantes – si l’on souhaitait élargir le sujet l’on pourrait même dire qu’elle s’applique à l’ensemble ou presque des hauts fonctionnaires.
Je dirais même qu’il y a un double mouvement absurde, comme une double lame. Le premier, le plus évident aussi, revient à comparer lesdites rémunérations au revenu médian des Français. Dépassant allègrement les 10 000€ bruts mensuels voire avoisinant les 15 000€, il est évident que ces rémunérations sont sans commune mesure avec les revenus de la plupart des Français. Certes, ces rémunérations peuvent s’expliquer par une volonté d’éviter toute forme de corruption mais tout de même, lorsque l’on demande à tout le monde de faire des efforts et que les dirigeants des autorités administratives, censés donc œuvrer pour le bien public, se gavent, il y a me semble-t-il un petit problème. La deuxième lame de l’absurde est sans conteste le fait que les rémunérations de ces dirigeants sont fixées de manière discrétionnaire quand le point d’indice des fonctionnaires, lui, n’évolue plus.
Le mirage de l’indépendance
Cette fixation discrétionnaire des rémunérations directement par l’Elysée est à mes yeux un problème majeur en cela qu’elle met rudement à mal l’indépendance d’autorités administratives étant censées l’être. Il ne serait d’ailleurs guère étonnant d’apprendre que Chantal Jouanno a dû se déporter sur ordre venant de plus haut qu’elle – les nouveaux présidents du débat ne sont d’ailleurs pas du tout des garants d’indépendance au vu de leur appartenance politique. A ce titre, cet exemple met crûment en évidence le fait que, s’il n’existe pas de lien de subordination formel entre le pouvoir politique et les dirigeants des autorités indépendantes, la connivence est, elle, bien présente et nous interdit donc de parler d’indépendance à l’égard du pouvoir politique.
Cet état de fait est absolument dramatique pour les principes démocratiques puisque, fixant les rémunérations de manière discrétionnaire, le pouvoir politique possède tout à la fois un moyen de pression et un moyen de récompenser ceux qui seraient bienveillants à son égard. En somme nous voyons se mettre en place le jeu millénaire de la carotte et du bâton. Plus largement, les dirigeants nommés par le pouvoir politique et bénéficiant de confortables rémunérations pourraient être tentés de renvoyer l’ascenseur un peu de la même manière que ce qui prévaut dans le pantouflage avec les renvois d’ascenseur mutuels. L’exemple le plus frappant de cette connivence, le plus frappant et le plus inquiétant, a assurément été lorsque le président de l’autorité des marchés financiers – le gendarme financier qui a donc un rôle primordial – nommé par Jacques Chirac était dans le même temps (entre 2003 et 2008) président de l’association des pièces jaunes créée par Bernadette Chirac. Sans doute que le symbole le plus absolu de cette non-indépendance est celui du conseil constitutionnel. Bien qu’il ne soit pas une autorité administrative indépendante, il symbolise à merveille les dérives françaises sur cette question de l’indépendance et de l’expertise. Alors que dans tous les autres pays ou presque possédant ce type de conseil (ou de cour) celui-ci est constitué par des juristes à la longue carrière, en France il est principalement composé de personnalités politiques en fin de carrière, une aberration. Le cas de Chantal Jouanno est donc bel et bien révélateur d’une tendance globale qu’il devient de plus en plus impérieux de prendre en compte si l’on souhaite revivifier les principes démocratiques de ce pays. Dans le cas contraire, le « coup d’Etat permanent » continuera sa longue marche.
Crédits photo: France Info
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