La revalorisation des forces de l’ordre ou le message envoyé

Alors que la France connaît un mouvement social – ou une insurrection selon certains observateurs – depuis plusieurs semaines, que les Gilets Jaunes se mobilisent chaque week-end depuis plus d’un mois et demi tout en étant présent sur les ronds-points quotidiennement sans pour autant rien obtenir de significatif, il aura fallu d’une seule petite journée de mobilisation de la part des forces de l’ordre pour obtenir des concessions autrement plus importantes que les quelques miettes jetées dédaigneusement à la figure des classes populaires par Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution. Mercredi dernier, les forces de l’ordre ont en effet mené des actions devant les commissariats pendant que des négociations se tenaient au ministère de l’Intérieur.

A l’issue desdites négociations, les forces de l’ordre ont donc obtenu une revalorisation conséquente de leur rémunération. D’ici un an, ils verront effectivement leur salaire (et la précision est importante) augmenter de 120€ par mois tandis que la hausse pourrait atteindre 150€ pour les hauts gradés. Il ne s’agit évidemment pas de déplorer une hausse de salaire qui est loin d’être une aberration mais bien plus assurément de s’interroger sur le deux poids deux mesures pratiqué par le pouvoir en place, le gouvernement s’étant effectivement empressé d’affirmer qu’il n’y aurait pas de revalorisation du point d’indice pour les autres fonctionnaires. Au regard de ces annonces et de l’absence de réponse aux revendications sociales du mouvement des Gilets Jaunes, la décision de la caste au pouvoir apparait comme un cruel révélateur des priorités de ce gouvernement et de sa volonté forcenée de mettre au pas le mouvement social, plaçant Emmanuel Macron dans la longue lignée des dirigeants faisant le choix des forces de l’ordre contre l’immense majorité de sa population.

Le jeu dangereux

Comme je le disais plus haut, notre pays connait un large mouvement social depuis des semaines. S’il se caractérise évidemment par sa sociologie inédite (dans le sens où un nombre conséquent des personnes manifestant actuellement ne l’avaient jamais fait avant cela), le mouvement social en cours a également réveillé l’arbitraire et la violence de l’Etat. Je ne suis pas de ceux qui parlent de dérive autoritaire mais bien plutôt de propagation de cet autoritarisme dans la mesure où la violence actuelle à l’égard des manifestants avait patiemment été testée sur les supporters ultras et sur les habitants des quartiers populaires mais il faut bien reconnaitre que ce qu’il se passe actuellement est une explosion de violences policières à l’égard des manifestants.

Entre la pluie de grenades lacrymogènes à chaque manifestation un peu partout en France, le déploiement de blindés à Paris et à Marseille, les interpellations musclées pour énoncer un euphémisme, les journalistes attaqués ou encore les multiples blessures par flashball contre des manifestants pacifiques, c’est peu dire que les forces de l’ordre font preuve d’une violence inouïe depuis le début du mouvement social ainsi que l’a très bien illustré un sujet d’Envoyé Spécial récemment. Il va sans dire que cette explosion de violence est assurément l’une des raisons des violences à l’égard des forces de l’ordre. Il ne me semble pas exagéré de dire qu’avec cette revalorisation prestement décidée tandis que les Gilets Jaunes n’ont reçu que le mépris du pouvoir est de nature à accroitre encore la tension entre manifestants et forces de l’ordre. Il est clair que le locataire de l’Elysée et sa clique jouent à un jeu très dangereux, que l’on pourrait placer sous le vocable de stratégie du chaos ou de la division.

Le message clair

En faisant le choix délibéré d’attiser les tensions et les divisions, Emmanuel Macron ne fait pas autre chose qu’envoyer un message clair à l’ensemble de la société en général et aux fonctionnaires autres que forces de l’ordre en particulier. La concomitance des annonces (revalorisation des forces de l’ordre et confirmation du gel du point d’indice) n’est à mon sens pas dû au hasard mais le fruit d’une stratégie murement réfléchie – à moins qu’il ne soit une nouvelle preuve de l’incompétence absolue de ce pouvoir devenu tellement arrogant qu’il est chaque jour un peu plus hors sol. Dans la première partie j’ai effectivement évoqué le miroir cruel que constituait cette revalorisation quand les Gilets Jaunes n’avaient rien obtenu mais il nous faut, je crois, aller plus loin.

Pour expliquer cette revalorisation, certains des arguments utilisés avait trait à la difficulté d’exercer le métier de force de l’ordre aujourd’hui et notamment la montagne d’heures supplémentaires non payées depuis un certain nombre d’années. Il ne s’agit évidemment pas de nier la pénibilité de ces postes ainsi que l’absence de moyens manifestes pour les forces de l’ordre mais bien plus de mettre cette sollicitude de la part du pouvoir à leur égard en regard de son mépris à l’égard des autres fonctionnaires. Parce que, finalement, dire que les forces de l’ordre méritent d’être augmentées pour la difficulté de leur métier revient, en miroir, à dire que les autres fonctionnaires ne travaillent pas assez bien pour mériter une telle revalorisation, les professeurs, personnels hospitaliers et autres fonctionnaires de la justice apprécieront l’affront.

Renverser la perspective

Jusqu’ici il me semble que l’analyse n’est pas bien compliquée à réaliser. Il arrive pourtant que les choix du pouvoir soient bien plus bavards que ce qu’il aurait souhaité. En cédant aussi rapidement et facilement face à la menace d’un mouvement au sein des forces de l’ordre, Emmanuel Macron et sa caste n’ont fait, selon moi, que confirmer une chose qui apparait chaque jour de manière un peu plus éclatante : l’extrême faiblesse de ce pouvoir à qui il ne reste que la peur et la coercition pour tenir. En renversant la perspective, cette revalorisation des forces de l’ordre peut très bien être vue, non pas comme une énième preuve de leur arrogance, mais bien plus comme la révélation que le roi est nu est qu’il n’est pas beau à regarder.

Rarement les forces de l’ordre auront aussi bien porté leur nom que depuis le surgissement du mouvement des Gilets Jaunes. En se faisant les chiens de garde de l’ordre social dominant et en se déployant dans les beaux quartiers de Paris pour littéralement barricader la bourgeoisie derrière la colère du peuple est un symbole éclatant de ce que disait déjà Kery James il y a quelques années dans son titre Racailles, à savoir qu’entre eux et la rue il ne reste plus que les CRS. Malgré la faiblesse manifeste de ce pouvoir, nous aurions tort de croire la partie gagnée. L’armée du capital que constituent les forces de l’ordre ne lésineront pas sur la violence pour éteindre toute volonté de révolte ainsi qu’on le voit depuis des semaines – et c’est ce pourquoi elle a été récompensée par cette revalorisation salariale. Dans Prométhée aux enfers, Albert Camus illustre peut-être avec une acuité parfaite ce qui nous attend : « Au cœur le plus sombre de l’histoire, les hommes de Prométhée, sans cesser leur dur métier, garderont un regard sur la terre, et sur l’herbe inlassable. Le héros enchaîné maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. Et cette admirable volonté de ne rien séparer ni exclure qui a toujours réconcilié et réconciliera encore le cœur douloureux des hommes et les printemps du monde ». La victoire n’est peut-être pas pour demain mais conservons notre obstination et, surtout, tâchons d’imaginer Sisyphe heureux.

Crédits photo: France24

2 commentaires sur “La revalorisation des forces de l’ordre ou le message envoyé

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