Depuis le surgissement du mouvement des Gilets Jaunes, les tenants de l’ordre en place – qu’ils soient responsable politiques ou éditorialistes des médias dominants – n’ont eu de cesse de fustiger tout à la fois l’absence de revendications concrètes (comme si une insurrection devait avoir un programme politique murement réfléchi) et le manque de représentants du mouvement. Derrière cette double volonté ne se cachait en réalité que celle de désigner des leaders et des revendications pour mieux les écraser dans un simulacre de négociation. Parce que, en réalité et au-delà de la violence dans les quartiers cossus de la capitale ou contre des symboles étatiques, ce qui faisait assurément peur au pouvoir en place était le caractère protéiforme et diffus du mouvement, caractère qui le rendait insaisissable et irrécupérable à la fois.
Quand bien même la mobilisation à Paris a semblé reculé lors des derniers actes des Gilets Jaunes, il serait bien présomptueux de croire que les annonces d’Emmanuel Macron ont calmé la colère et la révolte. Je crois bien plus qu’il a attisé la flamme du mépris à son égard et de la rage qu’il suscite en tentant de prendre tout le monde pour des abrutis. Couplée à la revalorisation salariale conséquente obtenue par les forces de l’ordre, cette tentative a, sans guère de doute, renforcé le ressentiment à son égard et comme le dit très bien Mediapart dans un article récent, le voilà désormais face à l’équation d’un retour aux urnes pour tenter de sauver le reste de son quinquennat. Dans cette configuration, comment comprendre l’émergence de la revendication du référendum d’initiative citoyenne (le fameux RIC servi à toutes les sauces depuis des semaines) et, surtout, comment expliquer que les éditorialistes et l’ensemble ou presque du spectre politique se soient saisis de cette revendication pour en faire un symbole du mouvement alors qu’elle n’était, à l’origine, qu’une revendication parmi d’autres ?
Le désir d’être écouté
Il serait injuste de dénier au RIC sa place importante dans le discours des Gilets Jaunes. Même si celui-ci n’était pas une revendication originelle du mouvement, il est tout à fait logique qu’il se soit progressivement inséré dans le discours dans la mesure où, par-delà la question sociale qui est l’un des cœurs du propos tenu par les Gilets Jaunes, celle de la réappropriation de la politique par les citoyens figure en bonne place. Evidemment, l’origine du mouvement réside dans ces taxes carbones et a fortiori sur des questions de pouvoir d’achat et de meilleure répartition des richesses. Il faut toutefois se faire volontairement aveugle pour ne pas voir que ce mouvement porte en lui des aspirations fortement démocratiques et la volonté des citoyens de voir leur voix compter à nouveau.
Ce désir d’être à nouveau écoutés, de ne plus être les laissés pour compte de la politique menée comme c’est le cas depuis des décennies a donc trouvé sa matérialisation dans la défense du RIC. Comment, en effet, comprendre l’engouement à l’égard de cet outil (puisqu’il faut l’appeler ainsi) sinon par la volonté des personnes qui le défendent de prendre part à nouveau à la vie de la Cité, la volonté de ne plus simplement choisir qui choisira pour eux mais bien décider en âme et conscience ? Il faut, bien entendu, se méfier des référendums (nous y reviendrons) mais la spécificité du RIC réside évidemment dans le fait que ce soient des citoyens qui le convoquent. En ce sens, il ne me parait pas absurde ou exagéré de voir dans le RIC l’expression de cette volonté de réappropriation.
Le pas de côté
Il faut toutefois, me semble-t-il, se méfier des idées qui paraissent innovantes mais sont reprises en chœur par tout ce que compte ce pays de tenants de l’ordre établi. Je le disais en introduction, les différents pouvoirs (économiques, politiques, médiatiques, symboliques) du pays cherchaient de manière frénétique et quasi-désespérée un symbole et une revendication auxquels rattacher les Gilets Jaunes. Avec l’émergence de la revendication concernant le RIC, ils semblent avoir trouvé le jouet qu’ils cherchaient avec détermination. Il ne s’agit bien évidemment pas de disqualifier le RIC au simple motif que ces personnes le défendent (quoiqu’il y aurait beaucoup à dire sur ce que révèlent les soutiens d’une cause) mais bien plus de s’interroger sur le sens d’une telle promotion de cette idée par les tenants de l’ordre en place.
Il me semble que ce soutien de circonstances nous apprend beaucoup sur la manière dont les tenants de l’ordre en place envisagent ce RIC : pris dans un mouvement insurrectionnel depuis des semaines, les voilà qu’ils voient dans le RIC l’échappatoire rêvée pour générer un débat (pourquoi pas un Grenelle) et ainsi évacuer la question sociale tout en embourbant le mouvement des Gilets Jaunes dans un débat sur une idée floue et difficile à mettre en œuvre. Plus encore que cette volonté d’enfumage de la part du pouvoir en place, il me semble que le RIC pourrait être dangereux dans les conditions actuelles : sans changements radicaux des institutions et en conservant la Vème République bonapartiste alors le RIC ne changera pas grand-chose ou, pire, pourrait servir à abroger des lois de progrès social ou sociétal. Aussi longtemps que la presse, notamment, sera tenue par les puissances d’argent alors le RIC ne saurait être pleinement démocratique.
Référendum et démocratie
Par-delà la question des institutions, le surgissement du RIC dans les revendications des Gilets Jaunes dépoussière le vieux débat sur la manière d’appréhender la démocratie. Présenté comme un moyen de revivifier la démocratie, le RIC serait selon ses laudateurs le seul et unique moyen de parvenir à mettre en place une réelle démocratie dite directe (je suis de ceux qui se méfient dès lors que l’on accole un adjectif derrière le terme démocratie et considère qu’elle se suffit à elle-même et n’a pas besoin de tels adjectifs). Sans tomber dans la caricature du référendum outil des pouvoirs bonapartistes et bien peu enclin à défendre une quelconque démocratie, il me semble qu’il faut s’attarder sur cette corrélation que certains présentent comme naturelle entre référendum et démocratie.
Laissons de côté les cas où le pouvoir en place ignore purement et simplement le résultat d’un référendum comme en 2005, non pas que ce sujet ne soit pas important mais il me semble être le révélateur de problèmes conjoncturels dans la relation entre le référendum et la démocratie. Il me parait plus intéressant de s’interroger sur les problèmes structurels que posent les référendums vis-à-vis de la démocratie. On nous explique que ceux-ci en sont l’une des émanations les plus pures en cela qu’ils permettent l’expression du peuple mais qu’en est-il vraiment ? Je suis effectivement de ceux qui considèrent que dans une démocratie les élections sont paradoxalement le moment le moins démocratique en cela que la discussion, le débat, l’éducation populaire en somme laisse la place au choix de telle ou telle option si bien que 50%+1 voix des électeurs peuvent alors imposer leurs vues aux 50% – 1 voix en désaccord. Il ne me semble pas que le référendum soit garant d’une démocratie respectée contrairement aux assemblées populaires et autres délibérations communes. Croire que le RIC résoudra comme par magie le problème démocratique c’est demeurer dans le cadre actuel (bien que rénové) d’une démocratie discontinue.
La bataille culturelle
Cela revient-il donc à tout jeter ? Je ne le pense pas, au contraire. Le surgissement du RIC comme revendication première du mouvement a certes ses travers mais il a également des apports indéniables. En positionnant le curseur sur la question des institutions, ce débat a, me semble-t-il, fait passer les revendications dans une autre sphère. Plutôt que de se contenter de mesurettes sociales, voilà que les Gilets Jaunes par le biais de ce RIC remettent radicalement en cause le cadre institutionnel. Même si comme je le disais plus haut les conclusions de cette revendication en reviennent à ne pas modifier en profondeur les institutions, il est indubitable que le RIC permet de s’interroger sur ces questions.
L’on pourrait, à cet égard, faire un parallèle avec la campagne sur la constitution européenne de 2005. De la même manière que le débat sur ladite constitution s’était rapidement transformé en formidable moment d’éducation populaire lors duquel les citoyens se sont approprié cette constitution et l’ont décortiqué. Il ne me semble pas exagéré de voir dans l’insurrection actuelle une réminiscence de cette logique. Initialement cette éducation populaire portait essentiellement sur les questions sociales mais il me semble que les questions institutionnelles commencent à émerger sur les ronds-points et, quoi que l’on en pense, il me parait audacieux de dire que cela n’aura aucune incidence à l’avenir. Alors, selon la très belle formule d’Aimé Césaire, l’heure de nous-mêmes aurait-elle sonné ?
Crédits photo: France 24
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