Décentralisation, la grande farce

Comme chaque année à la même époque, le congrès des maires de France se tient actuellement. L’association des maires de France, dirigée par François Baroin, est très critique à l’égard de l’exécutif et du gouvernement actuels. La baisse des dotations de l’Etat, couplé au spectre menaçant de la suppression quasi-totale de la taxe d’habitation – sans que les mesures de compensation aient clairement été présentées. Cette défiance grandissante à l’égard de l’Etat central de la part des collectivités territoriales n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit en effet dans une dynamique bien plus profonde et ancienne depuis que les multiples phases de décentralisation tant vantées par les responsables nationaux ont durablement affaibli les collectivités territoriales. Si Emmanuel Macron et son gouvernement vont sans doute accélérer et aggraver cette dynamique, elle leur préexistait.

Pourtant, à écouter les responsables politiques nationaux, ceux qui se sont succédé depuis des décennies à la tête de l’Etat, la décentralisation permet de donner plus de pouvoir aux collectivités (villes, départements, régions). Des premières lois cadres menées par l’alors maire de Marseille, Gaston Defferre, sous Mitterrand à la loi NOTRe de 2015 en passant par une multitude de lois censées donner plus de pouvoir aux collectivités locales, nombreux sont ceux à nous expliquer que notre pays est beaucoup moins centralisé que par le passé et que ces différentes phases de décentralisation ont eu pour effet à la fois de renforcer les services publics et de rendre notre pays plus démocratique et moins hiérarchisé. Je crois, en réalité, qu’il s’agit d’une fable que l’on nous raconte et que les phases de décentralisation que nous avons connues sont une farce visant à faire reculer le pouvoir public en vertu du néolibéralisme qui nous gouverne.

 

Décentralisation et effets de ciseaux

 

Si les collectivités locales sont aujourd’hui très critiques – le terme est euphémique – à l’égard du pouvoir central, c’est bien évidemment pour une question de moyens. La baisse des dotations de l’Etat couplée à la future suppression presque totale de la taxe d’habitation ainsi qu’aux efforts de rigueur budgétaire réclamés aux collectivités mettent à mal ces mêmes collectivités. Nous voyons en effet se mettre en place un effet de ciseaux dramatique et morbide pour les collectivités et les citoyens qui voient donc les services publics en pâtir. Actuellement l’attention se polarise surtout sur la baisse de la taxe d’habitation mais celle-ci n’est qu’une étape supplémentaire dans cette logique mortifère qu’a été la décentralisation.

Dans notre pays, en effet, les multiples phases de décentralisation se caractérisent toutes par un même élément : le transfert de compétences aux collectivités territoriales sans le transfert de ressources qui devrait aller avec. Ce qui était censé être un renforcement des collectivités se révèle en réalité être un affaiblissement certain de leur capacité d’innovation et d’investissements. L’exemple de l’aide sociale est à ce titre éloquent et celui du RSA plus particulièrement, très univoque. Le paiement du RSA revient aux départements qui s’occupent donc de régler la facture d’une politique nationale. Les départements n’ont en effet aucun moyen d’influer sur le montant du RSA puisque celui-ci est décidé au niveau national. En outre, au moment du transfert de cette compétence, l’Etat a compensé à « l’euro près » selon la formule consacrée et qui est bien plus une formule de communication qu’autre chose. Si en année 0 la compensation est bel et bien à l’euro près, dans les années suivantes la dotation n’augmente pas alors même que le besoin en ressources augmente lui (sous l’effet de l’inflation et/ou de la montée de la précarité avec la crise de 2008 par exemple). Aussi les départements doivent-ils trouver des ressources pour financer cette politique sociale, ce qui revient à grever leur budget et à sacrifier l’investissement.

 

Leur décentralisation, moyen bien plus que fin

 

Faut-il voir dans ces effets de ciseaux le simple fruit du hasard ou de contingences ? Je ne le crois pas. Je suis bien plus enclin à voir dans cette farce que constitue leur décentralisation un moyen pour la caste arrogante et toute acquise au néolibéralisme qui nous gouverne de mettre à mal les services publics, de les faire reculer partout sur le territoire. En chargeant de la sorte la barque des collectivités territoriales qui, bien souvent, se retrouvent étranglées par ces effets de ciseaux, le but, selon moi, est assurément de finir par progressivement supprimer un nombre conséquent de service public.

Selon la logique bien connue, vue et revue à une échelle nationale, ne pas donner les ressources nécessaires à l’exécution des obligations des collectivités servira sans doute dans un futur plus ou moins proche à les mettre sous tutelle et à leur imposer des plans de rigueur drastique à la manière des plans d’ajustement structurel menés à tout crin par le FMI durant une bonne partie du XXème siècle. L’objectif inavoué de ces multiples phases de décentralisation, en particulier pour les dernières, est indubitablement de parvenir à la privatisation de tout ou partie des services publics ainsi que le souhaite ardemment l’Union Européenne qui ne rate pas une occasion de le rappeler dès qu’elle le peut.

 

Finalement, la décentralisation a, il me semble, agi comme un véritable cheval de Troie de la logique capitaliste néolibérale financiarisée en cela qu’elle a tout d’abord été regardée d’un très bon œil par tout le monde, y compris les plus farouches opposants à ce système économique. Censée renforcer le pouvoir des collectivités et rendre in fine le pays plus démocratique, leur décentralisation s’est faite accepter par les courants les plus à gauches, certains y voyant même une bataille remportée. En réalité, nous le voyons bien aujourd’hui, cette décentralisation n’était qu’un leurre savamment pensé et conçu pour préparer petit à petit une privatisation quasi-totale des services publics. Il est grand temps de se lever contre cette logique mortifère et d’opposer à leur décentralisation, une autre décentralisation, celle qui promeut réellement plus de pouvoir aux collectivités et un modèle plus démocratique. Si ce que l’on souffre le plus durement est de voir travestir ce que l’on aime comme l’écrit si joliment Camus dans ses Lettres à un ami allemand, il est grand temps d’arrêter de souffrir et de ne plus les laisser utiliser le terme décentralisation pour faire avancer leur projet monstrueux.

6 commentaires sur “Décentralisation, la grande farce

  1. En attendant, mais elle est déjà là, la décentralisation vue de l’Europe (du Marché Commun, plus exactement):

    A moi les décisions importantes (tu n’as en gros rien à dire, moi non plus d’ailleurs, seul le Marché fait la loi), à toi de dérouler le tapis rouge de fric pour « attirer » les monopoles internationaux (US de préférence), à toi de gérer la casse.

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  2. Le cheval de Troie des réformes contre  » le millefeuille territorial et administratif « , antienne des néolibéraux comme  » le trou de la Sécu « , c’est open bar pour les privatiseurs de tout poil. On décide d’en haut et on envoie la facture en bas : c’est à dire pour les sans dents …

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