Tout au long de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a usé et abusé de la locution « en même temps ». Il en a si bien usé que d’aucuns se sont amusés à les compter quand d’autres ne se sont pas faits prier pour railler le désormais président de la République. « L’en même temps » du nouveau locataire de l’Elysée était pourtant bien plus qu’un gimmick ou qu’un malheureux tic de langage. Il renfermait en effet une vision des choses et une promesse : celle de mener une politique définie (par lui-même) comme équilibrée. Dès la nomination de son gouvernement le successeur de François Hollande a toutefois écaillé le mythe en plaçant notamment à Bercy le tandem Le Maire-Darmanin très favorable à l’austérité. Loin de s’être atténuée, la logique austéritaire de l’exécutif s’est renforcée depuis le 15 mai dernier si bien qu’il est aujourd’hui ridicule de vouloir parler d’en même temps.
Tout acquis à sa logique austéritaire, le nouveau président n’a épargné aucun ministère dans la baisse des dépenses de 4,5 Milliards d’euros prévues pour l’année à venir. Si le ministère de la défense et le domaine de l’enseignement sont ceux qui ont fait le plus parler, le ministère de la culture n’est lui non plus pas épargné par cette logique de baisse des dépenses. Même s’il est relativement peu touché, le ministère de la rue de Valois subit là une rupture vis-à-vis de l’année passée qui avait vu son budget être augmenté. Cette logique austéritaire va une nouvelle fois pousser les établissements culturels de notre pays à faire de la chasse aux coûts l’alpha et l’oméga de leur politique en même temps qu’elle va les forcer à recourir encore plus au mécénat. C’est précisément ce dernier point qui m’intéresse tant le mécénat culturel me semble être le révélateur de bien des choses dans notre pays.
La fable du désintéressement
Avant d’aller plus en avant, il me semble important de préciser de quel type de mécénat il est question ici. Le mécénat culturel qui m’intéresse n’est pas celui pratiqué par des petits particuliers passionnés par l’art mais bien plus le mécénat important que pratiquent certaines entreprises et presque toutes les grandes fortunes de notre pays. Si ces deux types de mécénats culturels m’intéressent c’est parce qu’ils constituent à mes yeux un système cohérent qui répond à des objectifs communs tout en jetant la lumière sur des phénomènes semblables. Le Larousse définit le mécénat comme une « protection accordée aux lettres, aux arts et aux sciences » par une personne physique ou morale. Bien souvent l’on essaye de nous faire croire que ce soutien accordé l’est de manière purement désintéressée. Il me semble qu’une telle vision des choses est une fable, l’équivalent de ces récits que l’on raconte aux enfants pour les endormir ou les émerveiller.
Je crois, en effet, au contraire que le mécénat pratiqué par certaines des grandes fortunes de notre pays ou grandes entreprises est tout sauf gratuit. Dans son Essai sur le don, Marcel Mauss définit le don comme un fait social, qui est la plupart du temps effectué dans l’espoir d’un retour constitué par un contre don. Je crois que cette définition du don sied parfaitement au mécénat culturel pratiqué dans notre pays par les acteurs cités plus haut. Ledit mécénat s’inscrit, en effet, la plupart du temps dans une démarche marketing pure et dure. De la même manière qu’il existe le greenwashing, on pourrait dire qu’il existe une forme de culture washing. La grande majorité des industriels fortunés qui pratiquent le mécénat le font effectivement notamment pour promouvoir le luxe et l’art à la française bien plus que de manière totalement gratuite. Les fondations Cartier ou Louis Vuitton sont là pour appuyer les marques et non pas l’inverse. Il est d’ailleurs assez drôle de constater que dans tous les musées ou presque, d’immenses plaques rendant hommage aux mécènes sont présentes. Pour le don désintéressé on repassera.
Le masque des hypocrites
Il nous faut, je crois, aller plus loin dans l’analyse pour bien saisir les tenants et aboutissants de cette pratique du mécénat culturel. Nous avons vu à quel point celui-ci était intéressé loin de la fable que l’on se plait à nous raconter, il convient désormais de se pencher sur ce que nous révèle ces pratiques sur l’état de la culture dans notre pays. Si les établissements culturels ont besoin de cet argent c’est avant tout parce que l’Etat se désengage massivement du domaine culturel. Ce faisant, en laissant finalement aux mains du privé le financement de la culture, l’Etat fait le lit d’une vision très élitiste de la culture. Finalement, en agissant de la sorte, il poursuit le but de Malraux qui, en son temps, militait bien pour un ministère de la Culture avec un grand C et non pas pour un ministère des cultures.
Il faut en effet être dupe, de mauvaise foi ou les deux à la fois pour ne pas voir que le mécénat de grandes entreprises et de grandes fortunes irrigue sempiternellement les mêmes établissements culturels constitués dans leur extrême majorité par les musées parisiens. En ce sens, il ne me parait pas absurde de voir dans ce mécénat un véritable masque. Dans la Grèce antique en effet, le masque avait une double utilité. La première, celle que tout le monde connaît encore aujourd’hui était esthétique. Il s’agissait pour les acteurs de revêtir le masque pour ressembler fidèlement au personnage joué. La seconde, bien moins connue, était pratique. Les amphithéâtres étant très grands, le masque était également un porte-voix permettant aux acteurs d’être entendus par tous les spectateurs. Ajoutez à cela que les acteurs grecs étaient des hypocritès (terme qui a donné hypocrite) et vous avez un tableau parfait de ce que nous voyons se dérouler régulièrement sous nos yeux. Malheureusement pour nous, dans cette tragédie contemporaine nul deus ex-machina pour venir sauver la culture. Alors que les MJC ferment aux quatre coins du pays, l’afflux d’argent issu du mécénat culturel se dirige toujours vers le même sens.
Nous le voyons donc, en plus de constituer un masque au sens communément admis du terme, le mécénat culturel est également un formidable porte-voix pour ces entreprises, ces grandes fortunes et également pour l’Etat puisqu’il permet d’affirmer que la « culture française » n’est pas délaissée alors même qu’il ne s’agit que d’une culture élitiste qui ne répond pas à l’appel du peuple pour une culture populaire. Les années européennes de la culture qui ont lieu en France sont, à ce titre, un exemple presque caricatural de cette logique délétère. Si comme le disait si joliment Edouard Herriot, « la culture c’est ce qui demeure dans l’Homme lorsqu’il a tout oublié », il y a fort à parier qu’en cas de maintien de cette politique odieuse il ne nous restera rien, absolument rien, lorsque l’on aura tout oublié.