Al Assad et Daech ou l’hydre à deux têtes

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle française, les principaux candidats sont tous en train de durcir le ton, de tenter de faire la différence et essayent évidemment de ne faire aucune erreur. A ce petit jeu-là, les questions géopolitiques comptent tout autant que les questions strictement nationales. Point de rupture majeur tout au long de la campagne, la question syrienne demeure l’un des sujets de prédilection de certains candidats pour tenter de discréditer d’autres. Face à ce conflit immensément complexe – assurément le plus complexe du XXIème siècle – il est assez navrant de constater le simplisme ambiant qui peuple les réflexions des candidats.

En effet, alors que certains résument la révolution syrienne et tous les événements qui s’en sont suivis à une simple prédation pour les ressources naturelles (Mélenchon) d’autres nous expliquent qu’il faut s’allier avec Bachar Al Assad pour mieux lutter contre Daech (Fillon, Le Pen). Quant au dernier favori (Macron), il demeure dans un flou artistique assez grandiose, jonglant entre la volonté d’intervention militaire et la discussion. L’ensemble ou presque des candidats dissocient ainsi totalement Daech du problème Al Assad. Il va sans dire qu’une telle conception est à la fois partielle mais surtout totalement contre-productive en cela qu’elle ne permet pas de penser de manière globale les problèmes intimement liés du terrorisme international et du despotisme au Moyen-Orient. En somme, les réflexions des candidats à l’élection présidentielle contribuent à faire croire que Daech et Al Assad sont deux problèmes distincts alors même qu’ils sont, à mes yeux, une seule hydre à deux têtes monstrueuses.

 

Le cercle vicieux

 

Il y a trois jours, un attentat meurtrier a touché Rachidine dans la banlieue d’Alep. Un kamikaze a fait exploser sa voiture tuant 126 personnes dont 68 enfants. Cet attentat, l’un des plus meurtriers depuis le début du conflit syrien, est là pour nous rappeler que les premières victimes sont les habitants du Moyen-Orient contrairement à ce que l’on nous raconte à longueur de temps. Quelques jours plus tôt, le régime syrien avait mené un bombardement au gaz sarin dans l’ancienne oasis de la Ghouta. Ces deux tragiques événements, par effet de miroir, soulignent à quel point la question syrienne est composée de deux éléments que l’on ne saurait dissocier.

Pour bien comprendre à quel point Assad et Daech sont intimement liés, il nous faut remonter quelques années en arrière. En 2003, lorsque les Etats-Unis envahissent l’Irak – pour officiellement détruire l’arsenal chimique de Saddam Hussein et lutter contre Al Qaida – ils licencient un grand nombre d’officiers de l’armée irakienne et placent les chiites au pouvoir dans le pays. Dans la mythologie grecque, l’hydre est une créature dont la tête repousse lorsqu’on lui tranche. En tranchant la tête du régime irakien, les Américains ont fait pousser deux nouvelles têtes immondes : celle de Daech et celle du despotisme chiite en Irak (qui, en représailles des années Hussein, a persécuté les chiites dans le pays et donc créé les conditions du renforcement de Daech). Au début de la révolution syrienne, Al Assad a libéré les prisonniers les plus dangereux que contenaient ses geôles afin de renforcer Daech et torpiller l’ASL (Armée Syrienne Libre, l’armée de la rébellion). La réalité, l’odieuse réalité que l’on ne veut pas voir c’est que Daech et Al Assad se nourrissent mutuellement.

 

Trancher définitivement les têtes

 

Voilà pourquoi tous ceux qui nous expliquent qu’il faut choisir et hiérarchiser les ennemis en Syrie font fausse route. Affirmer qu’il faut choisir Al Assad pour éradiquer Daech revient à dire que pour lutter contre le diabète il faut ingurgiter des quantités nocives de sel. Il faut lutter contre Daech ET contre Al Assad pour la simple et bonne raison que les mêmes causes finiront par produire les mêmes effets. Pour être tout à fait juste, il me faut reconnaître qu’il est possible d’éradiquer Daech sans qu’Al Assad s’en aille – d’ailleurs le groupe terroriste est aujourd’hui en déroute à peu près partout. Là où l’on nous raconte des fadaises et des mensonges c’est lorsque l’on nous explique qu’éradiquer Daech supprimera le terrorisme.

Tranchez donc la tête Daech sans vous occuper de l’autre et il en repoussera deux encore plus hideuses. Détruire Daech en asseyant le pouvoir de Bachar Al Assad c’est précisément créer les conditions d’un ressentiment encore plus grand parmi la population syrienne et donc mettre en place les conditions de surgissement d’un groupe terroriste encore plus zélé et dangereux, exactement comme ce qu’il s’est passé après la décapitation d’Al Qaida. Continuer à défendre cette vision des choses est, au mieux, de la naïveté et du simplisme et au pire un profond cynisme dont l’humanité payera le prix par le sang et les larmes. Depuis des années nous faisons preuve d’un simplisme confondant dans notre approche du Moyen-Orient. Il serait grand temps de réapprendre à penser de manière complexe et globale. Si nous ne le faisons pas, nous serons condamnés. Et nous mériterons notre sort.

 

Nous le voyons donc, dissocier totalement Al Assad de Daech, au-delà de la mauvaise foi possible, est une erreur stratégique majeure en cela qu’elle empêche de saisir la complexité immense de la situation. En outre, postuler cela interdit totalement de penser réellement l’après et donc la paix. Comme le rappelait si justement Dominique de Villepin dans son discours à l’ONU contre la guerre en Irak, après avoir gagné la guerre il faut construire la paix. A l’heure actuelle nos analyses et les propositions formulées dans la campagne électorale mènent cette région du monde à l’abîme. Faire croire aux Français qu’en s’alliant avec Bachar Al Assad les attentats stopperont comme par magie parce que l’on aurait éradiqué Daech est navrant de simplisme et de manichéisme. Dans la mythologie, Héraclès parvient à tuer définitivement l’hydre en lui tranchant les têtes et en cautérisant les moignons de cou. Il est plus que temps d’agir de la sorte pour le terrorisme et le despotisme en comprenant enfin qu’ils se nourrissent mutuellement.

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