« Selon que vous soyez puissants ou misérables, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » écrivait Jean de La Fontaine dans Les Animaux malade de la peste en 1678. Il semblerait que trois siècle et demi plus tard, cette maxime demeure plus vraie que jamais. Plus précisément, il me semble que l’on peut appliquer cette morale du poète à notre démocratie si mal en point. Dans quelques jours, nous connaitrons la liste finale des candidats à l’élection présidentielle. Lundi prochain, un débat opposera sur TF1 les cinq candidats qui rassemblent le plus d’intention de vote. Il y a près d’un an, François Hollande affirmait sans sourciller sur le plateau de Dialogues citoyens que la réforme portant sur l’organisation de l’élection présidentielle ne changeait rien ou presque alors même que celle-ci a aggravé la maladie qui frappe de plein fouet notre démocratie.
Tout le monde, ou presque, s’accorde actuellement à dire que nous traversons de multiples crises : sociale, économique, identitaire, institutionnelle. Pour synthétiser, les crises sont à la fois si nombreuses et si profondes qu’il ne me paraît pas absurde de parler d’une grande crise démocratique à l’heure actuelle dans notre pays. Il convient avant tout de s’arrêter sur le terme même de crise. Ce mot nous provient à la fois du grec ancien et du latin : il signifiait en parallèle la manifestation d’une affliction grave ainsi que le moment du choix. Le divorce croissant entre la caste politicienne et la population ainsi que la tentative forcenée de la part de ladite caste de verrouiller un système dont beaucoup de Français ne veulent plus nous autorisent, il me semble, à voir dans cette campagne électorale à la fois une grave maladie et le moment d’un choix, sinon définitif, très important. Il me semble que l’on reconnaît un système au bord de la rupture à sa propension à se fourvoyer dans une forme de fuite en avant à la fois absurde et mortifère. La réforme des règles de la campagne présidentielle s’inscrit, à mes yeux, pleinement dans une telle logique.
Le système de parrainages, meilleur garant du statut quo
A quelques jours de la date butoir, il manque encore une grosse centaine de parrainages à Philippe Poutou pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Comme lors de chaque présidentielle, le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) a toutes les peines du monde à faire tomber le fameux mur des 500 parrainages. Dans ce système digne de la féodalité, les partis dits « de gouvernement » – le Parti Socialiste et Les Républicains – peuvent faire pression sur leurs élus afin que tel ou tel candidat soit ou ne soit pas candidat. Dans la liste des candidats à la présidentielle, il y a donc de fortes chances de ne pas voir Philippe Poutou, qui est le seul candidat ouvrier. Avec ces manœuvres d’appareils, qui osera encore dire que la caste politicienne représente les Français dans leur globalité ?
Le système du parrainage par les élus est une aberration démocratique en lui-même puisqu’il agit comme une sorte de cooptation. Ce sont finalement les élus eux-mêmes qui ont droit de vie et de mort sur les candidatures. Non content d’avoir mis en place ce système totalement archaïque, la caste politicienne augmente à chaque fois un peu plus la difficulté pour les candidats dissonants. Depuis la réforme de la campagne présidentielle évoquée plus haut, les parrainages sont rendus publics ce qui accentue la pression sur les maires notamment de petites communes qui sont souvent sans étiquette. Par le passé, l’anonymat permettait aux petits candidats de recueillir ces parrainages. Désormais, ceux-ci ont toutes les peines du monde à convaincre les maires de petites communes de les parrainer – les maires ayant peur d’être associés à tel ou tel parti. En outre, un autre grand changement est le fait que c’est désormais directement aux maires d’envoyer leur parrainage, ce qui induit une forme d’insécurité pour les candidats qui ne peuvent désormais plus parler de parrainages mais simplement de promesses puisqu’ils découvrent en même temps que tout le monde qui les a parrainés ou pas. Il est grand temps de sortir de ce système de cooptation complètement sclérosé pour passer à un parrainage citoyen qui permettrait à toute la diversité de notre pays d’être représentée.
Le débat du 20 mars ou le triomphe de la sondocratie
Lundi prochain, TF1 organise un débat réunissant Marine Le Pen, Emmanuel Macron, François Fillon, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi seulement cinq candidats et pas l’ensemble des candidats que le Conseil Constitutionnel aura validé en fin de semaine ? Tout simplement parce que pour TF1, seuls les « grands » candidats ont le droit de défendre leurs idées et leur programme. Ce choix éditorial de la chaîne appartenant à Martin Bouygues, loin d’être un fait isolé, s’inscrit en réalité dans une grande dynamique à l’œuvre depuis des années et renforcée par la même loi qui a aboli l’anonymat des parrainages. Celle-ci a en effet rallongé la période où c’est le régime de l’équité qui est en vigueur et non pas celui de l’égalité stricte. En somme, et nous le voyons à l’œuvre depuis des mois, ce sont quelques critères qui définissent la représentativité des candidats dans les médias. La loi en donne trois principaux : les résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou leurs formations, la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral et enfin les indications des enquêtes d’opinion.
Lundi, ce débat de la honte organisé par TF1 viendra parachever cette logique déjà à l’œuvre depuis des semaines et qui voit se mettre en place une démocratie à deux vitesses. Il n’y a qu’à comparer les différents temps de parole dans les médias en général. L’exemple d’On n’est pas couchés est à ce titre éloquent en cela que, lors des dernières émissions, les téléspectateurs ont pu directement constater les différents temps de parole : presque une heure pour Thierry Solère (alors représentant de François Fillon) et Jean-Luc Mélenchon (qui par ailleurs est très en retard par rapport aux autres « grands » candidats) tandis que Philippe Poutou et Nathalie Arthaud n’ont dû se contenter que d’une demi-heure. Il va sans dire que cette réforme vise à la fois à verrouiller le discours politique pour n’entendre que ceux qui portent des idées déjà majoritaires dans le pays et, plus grave encore, donne un pouvoir encore plus proéminent aux sondages (qui ont prouvé à de maintes reprises depuis des mois leur grande faillibilité) dans la mesure où ceux-ci sont pris en compte pour l’attribution du temps de parole – on pense ici à Emmanuel Macron qui profite à plein régime de cette règle.
Nous le voyons donc, notre démocratie est malade, gravement malade. Il ne s’agit évidemment pas de s’apitoyer sur cet état de fait mais il me semble que pour combattre de manière pertinente un phénomène il faut l’avoir compris. Je ne crois pas, contrairement au « crétinisme d’Etat » symbolisé par Manuel Valls, que chercher à comprendre c’est déjà commencer à excuser. Plus de trois siècles plus tard, rien n’a changé et selon que vous soyez puissant ou misérable… A tous ceux qui expliquent que c’est de cette manière que l’on lutte contre le Front National j’aimerais rappeler que c’est précisément cela qui a fait élire Donald Trump, le fameux vote utile et le matraquage médiatique en faveur d’Hillary Clinton. J’aimerais également leur rappeler l’épilogue célèbre de La Peste qui, il me semble, s’applique à merveille à notre situation : « Il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse».