Fillon et Hamon ou le Janus politicien

Il y a trois mois et demi, le 20 novembre 2016, au soir du premier tour de la primaire de la droite et du centre, nous prenions tout à coup conscience que l’élection présidentielle de cette année serait extraordinaire. François Fillon arriva alors triomphalement en tête du scrutin en n’étant pas si éloigné que cela d’une victoire au premier tour. Depuis des mois, Edwy Plenel n’a de cesse de répéter que pour cette élection, « rien ne se passera comme prévu ». La victoire nette de Fillon dans la primaire de droite inaugurait cette succession d’évènements aussi imprévus que soudains qui rythment la campagne depuis bientôt six mois. Personnellement, je dis depuis longtemps que pour cette élection, la seule chose qui est sûre c’est que rien ne l’est.

Quelques jours après ce premier coup de tonnerre, un deuxième, plus puissant encore, frappait la France : François Hollande renonçait à briguer un deuxième mandat. La suite est bien connue, lors de la primaire de la Belle Alliance Populaire Benoît Hamon a sèchement écarté Manuel Valls. Pourquoi rapprocher ces deux évènements ? Evidemment de prime abord on peut se dire que les victoires de Benoît Hamon et de François Fillon constituent deux grandes surprises et s’arrêter là. Je crois toutefois qu’il faut creuser plus profondément. Il me semble en effet que Fillon et Hamon, bien qu’éloignés idéologiquement, sont les deux symboles d’un même phénomène qui s’est produit dans notre pays depuis quelques mois. Loin de s’opposer, ils se complètent afin de dresser le tableau crépusculaire de la Vème République qui apparaît sous nos yeux.

 

Le mirage du retour de la politique

 

Benoît Hamon et François Fillon ont en effet été les représentants d’une forme de retour éphémère de la politique dans notre pays durant les primaires respectives de leur camp. C’est pourquoi la figure du bifron mythologique Janus me semble symboliser parfaitement ce qu’il s’est passé au cours de ces primaires. Dans la mythologie romaine, Janus est le dieu des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes. Aussi représente-t-il une forme de synthèse entre des directions opposées. Il ne me paraît pas absurde de voir en Hamon et Fillon deux figures d’un Janus français : celui du retour de la politique durant les débats. De la même manière que Janus regarde dans deux directions opposées, Hamon et Fillon ont semblé avoir la même ambition dans leur discours mais ont proposé des choses diamétralement opposées les unes des autres.

Alors qu’à droite, les débats s’étaient bien plus polarisés sur la question des affaires, avec les multiples mises en examen de Nicolas Sarkozy notamment, Fillon s’est attelé à faire campagne sur le fond sans effet de communication ou presque. En plus de la posture morale – nous y reviendrons plus tard – les électeurs de la primaire de droite ont avant tout plébiscité un projet cohérent. Loin des petites phrases lancées avec le but avoué de choquer et de pourrir la campagne, François Fillon a mené une campagne très longue et s’est surtout échiné à parler du fond. De la même manière, Benoît Hamon s’est appuyé sur le fond de son projet pour contrer le matamore d’Evry toujours prompt à balancer des anathèmes censés faire foi d’eux-mêmes. En cela, que l’on soutienne ou non les deux projets portés par les vainqueurs des primaires, il me semble que l’on ne pouvait à ce moment-là que se réjouir du retour des sujets politiques après l’évincement des hystériques qui avaient préempté le débat depuis des années.

 

Hamon et Fillon, les Icare du pauvre

 

Malheureusement, ce retour de la politique n’aura été qu’éphémère. Nos deux larrons ont, en effet, rapidement sombré à nouveau dans les affres de la politique politicienne. Chassez le naturel, il reviendra au galop nous dit le proverbe et celui-ci ne saurait mieux décrire ce qu’il s’est produit. Voilà près de deux mois que ni l’un ni l’autre ne parle plus de politique. Après avoir été les porte-étendards du renouveau du débat de fond face aux petites et grandes affaires et manigances politiciennes, les voilà redevenus des politiciens minables – chose qui ne manque pas dans notre pays. François Fillon, empêtré dans l’affaire présumé d’emploi fictif de son épouse, s’est méthodiquement appliqué à détruire à la fois ce qu’il avait construit et, plus grave encore, la parole publique.

On ne compte pas, en effet, le nombre de fois où le candidat de Les Républicains a fait de la probité l’élément cardinal de sa candidature et sans doute cet aspect-là a-t-il joué un rôle dans sa victoire à la primaire. Il est d’ailleurs assez drôle de l’entendre se plaindre que l’on ne parle pas du fond de son projet alors même que la question de la probité faisait partie du fond de ses discours. Alors qu’il va prochainement être mis en examen, François Fillon sera selon toute vraisemblance candidat à l’élection présidentielle – le comité politique de son parti réunit hier a définitivement acté cela. Quant à Benoît Hamon, il avait une opportunité historique de s’émanciper franchement du Parti Socialiste pour tenter de mener une véritable politique de rupture. Il n’en a rien été. Incapable de trancher dans le vif, il s’est progressivement embourbé dans des discutions d’appareils et des accords politiciens avec Yannick Jadot. D’une certaine manière, lui aussi a totalement contribué à discréditer la parole publique. Comment vouloir mener une politique de rupture lorsque la plupart des députés investis sont favorables à la ligne gouvernementale ? Cela relève au mieux de la naïveté au pire du franc machiavélisme et du plus pur mépris vis-à-vis des Français.

 

Nous le voyons donc, Benoît Hamon et François Fillon sont les représentants d’une même dynamique à l’œuvre dans le pays. Dans cette fuite en avant, les deux hommes seront sans doute considérés comme faisant partie des fossoyeurs d’un système exténué, à bout de souffle dont beaucoup de Français ne veulent plus. Ils auraient pu l’être de manière volontaire, ils le seront de manière passive. Ils se rêvaient en Prométhée dérobant le feu sacré, ils sont bien plus semblables à Néron. Ils se voulaient être tel Thésée qui déjoue les pièges pour tuer le Minotaure, ils sont bien plus fidèles à la figure de Ponce-Pilate en clamant face à la colère qui monte du pays qu’ils s’en lavent les mains. Ils s’identifiaient à Tantale dérobant l’ambroisie et le nectar sur l’Olympe, ils ressemblent bien plus à Narcisse qui est mort à force de se contempler. Finalement, Hamon et Fillon sont les deux faces d’une même pièce. Quand est-ce qu’on change de monnaie ?

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