La lutte contre la pauvreté, dernier piège du néolibéralisme

La semaine dernière, François Fillon s’est rendu dans un centre Emmaüs pour affirmer que la lutte contre la pauvreté était l’une de ses priorités, profitant de l’occasion pour tenter de démontrer que son programme n’était pas si violent que ça socialement. Parallèlement, dans le congrès mortuaire du Parti Socialiste que l’on appelle primaire de la Belle Alliance Populaire, la mise en place d’un revenu universel continuait à se placer au cœur du débat – il ne sera question du revenu universel que très partiellement au cours de ce papier, je considère en effet qu’une telle notion mérite un billet à part entière. Benoît Hamon a notamment été attaqué par les trois autres participants socialistes à la primaire qui lui ont intenté un procès en utopie.

Que ce soit le candidat désigné par Les Républicains ou les protagonistes de la primaire du Parti Socialiste, la semaine dernière s’est donc placée sous le signe de la lutte contre la pauvreté, qui serait désormais la valeur la mieux partagée sur l’échiquier politique français. Au-delà du ridicule d’une telle proposition, il faut, je crois, s’attarder sur cette question de lutte contre la pauvreté. Celle-ci révèle, à mes yeux, à la fois une forme de dérive et un dévoiement de la justice sociale. C’est précisément en ce sens que la lutte contre la pauvreté me paraît être le dernier piège que nous tend le néolibéralisme – dernier dans le sens le plus récent et non pas ultime. Ce piège tendu par le capitalisme néolibéral financiarisé est repris sur quasiment l’ensemble de l’échiquier politique, ce qui montre bien l’efficacité d’une telle démarche.

 

Lutte contre la pauvreté versus lutte contre les inégalités

 

Aujourd’hui, lutter contre la pauvreté semble être devenu la plus grande des luttes sociales. On nous explique ici qu’il est intolérable de voir des gens mourir dans la rue – constat que je partage totalement – ou là que c’est contre la pauvreté qu’il faut lutter et non pas contre les super riches, un peu comme si le fait qu’il existe une infime minorité qui préempte près de la moitié de la richesse mondiale n’avait aucune incidence sur la persistance et le développement de la pauvreté. Finalement ce que nous avons vu progressivement se mettre en place depuis quelques décennies, c’est le basculement de la volonté de lutter contre les inégalités à celle de lutter contre la pauvreté. C’est bien là où le néolibéralisme a opéré une pirouette réellement ingénieuse puisqu’en substituant la lutte contre la pauvreté à la lutte contre les inégalités, il a réussi le tour de passe-passe de faire accepter des écarts salariaux monstrueux.

Depuis sa création, le capitalisme néolibéral ne s’est jamais préoccupé de lutter contre les inégalités. Au contraire, il les considère comme bénéfique puisqu’elles sont censées pousser ceux qui ont moins à être ingénieux pour rattraper leur retard comme si les inégalités n’étaient que conjoncturelles et non pas le fruit d’un système économique crée de toutes pièces pour faire de la reproduction sociale. Lutter contre la pauvreté revient donc simplement à donner le minimum vital aux plus démunis pour leur permettre de travailler et de ne pas se révolter socialement. C’est précisément dans ce but là que Milton Friedman avait théorisé le revenu universel – qu’il plaçait, lui, sous le vocable d’impôt négatif.

 

Les lourds silences de nos amis

 

D’une certaine manière, il n’est guère surprenant d’avoir vu les tenants assumés du capitalisme néolibéral tout faire pour que la lutte contre la pauvreté supplante celle contre les inégalités. Il est en revanche beaucoup plus dommageable de voir des partisans d’une ligne plus sociale tomber dans ce piège – parfois à leur corps défendant. Laissez-moi vous compter une anecdote très récente. Hier, en rentrant des cours, je me suis fait aborder dans la rue par une membre d’Oxfam qui effectuait une opération de street marketing comme vous en avez sans doute déjà vécu. La discussion s’engage précisément sur ce thème et sur le piège que représente la lutte contre la pauvreté (d’autant plus quand elle est menée par des multimilliardaires comme Soros ou Gates) par rapport à la lutte contre les inégalités. Après quelques minutes, la militante d’Oxfam s’agace et me réplique « bon bah puisque tu as tout compris on peut arrêter là ». Pourquoi une telle agressivité ? Peut-être parce que l’argumentation a fait mouche, peut-être parce qu’au contraire cette personne ne pouvait penser en dehors d’un cadre préconçu.

Tout cela pour dire qu’il est urgent de s’emparer de cette question afin de replacer non pas la lutte contre la pauvreté mais bien la lutte contre les inégalités au cœur du débat. A tous ceux qui affirment qu’il faut avant tout lutter contre la pauvreté j’ai simplement envie de répondre que lutter contre les inégalités reviendra mécaniquement à lutter contre la pauvreté dans la mesure où un tel projet porte nécessairement en lui une volonté de redistribuer équitablement les richesses produites dans le pays. A l’heure où le SMIC stagne tandis que les dividendes explosent, il est grand temps de prendre à bras le corps cette question de la lutte contre les inégalités. A trop sacrifier l’essentiel à l’urgence, nous avons oublié l’urgence de l’essentiel ainsi que l’écrivait si brillamment Edgar Morin. Le voilà qui nous rattrape par le col et nous somme de composer avec lui.

Martin Luther King disait qu’à la fin nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis mais des silences de nos amis. C’est précisément en cela que je trouve l’attitude de ceux se réclament d’une ligne sociale plus dramatique et dommageable. A ceux, et ils sont nombreux, qui affirment de bonne foi qu’il faut avant tout lutter contre la pauvreté j’aimerais recommander la lecture des quelques lignes suivantes tirées de L’Ame humaine sous le régime socialiste d’Oscar Wilde : « Ils se voient au milieu d’une hideuse pauvreté, d’une hideuse laideur, d’une hideuse misère. Ils sont fortement impressionnés par tout cela, c’est inévitable. […] Par suite, avec des intentions admirables, mais mal dirigées, on se met très sérieusement, très sentimentalement à la besogne de remédier aux maux dont on est témoin. Mais vos remèdes ne sauraient guérir la maladie, ils ne peuvent que la prolonger, on peut même dire que vos remèdes font partie intégrante de la maladie.

 

Par exemple, on prétend résoudre le problème de la pauvreté, en donnant aux pauvres de quoi vivre, ou bien, d’après une école très avancée, en amusant les pauvres.

Mais par-là, on ne résout point la difficulté ; on l’aggrave, le but véritable consiste à s’efforcer de reconstruire la société sur une base telle que la pauvreté soit impossible. Et les vertus altruistes ont vraiment empêché la réalisation de ce plan ».

3 commentaires sur “La lutte contre la pauvreté, dernier piège du néolibéralisme

  1. Excellente observation. Cela ramène à l’idée qu’on aura beau « se débarrasser » de tous les pauvres, il en restera toujours un plus pauvre que les autres.
    Dans la logique de réduire les inégalités, en revanche, il s’agit aussi de ne pas se contenter de lancer des bananes à ceux d’en bas qui râlent, mais bel et bien à construire quelques chose, en impliquant les riches, qui ont une part à jouer. Seulement une part, mais ils ne peuvent pas s’en défausser.

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  2. Les gilets jaunes sont l’expression des effets du néolibéralisme sauvage qui cause tous les maux dans beaucoup de pays.
    Le premier geste écologique, serait de donner à tous les humains l’argent minimum pour vivre et rester dans le juste nécessaire, et se débarrasser de l’emprise néolibérale qui tend vers l’esclavage.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/premier-article-de-blog/
    Donner à tous les humains un revenu au-delà du seuil de pauvreté est le premier geste écolo qui fédérera sur l’écologie.
    L’aveuglement ou la complicité des dirigeants politiques doit être dénoncée, l’humanité est en danger à cause d’eux.
    Nous devrions être tous des gilets jaunes contre cette économie prédatrice de l’humain et de ce qui vit sur la planète.

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