A quoi reconnaît-on le crépuscule d’un système à bout de souffle ? Précisément au fait qu’il précipite lui-même sa chute dans une forme de fuite en avant complètement irrationnelle et absurde au sens camusien du terme. « L’absurde, écrit le Prix Nobel de littérature dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Le 49-3 a donc, sans surprise, été dégainé par l’exécutif, ce même exécutif qui a affirmé le 14 avril dernier qu’il était favorable à la démocratie participative. Le moment que nous vivons est profondément absurde entre un appel toujours plus fort et une surdité toujours plus poussée du gouvernement qui a ajouté hier, par l’intermédiaire de son Premier ministre, le mépris au reniement et à la félonie.
« Je renforcerai les pouvoirs du Parlement » affirmait François Hollande dans ces soixante engagements. Quatre années après son élection, le voilà qui le méprise et utilise un outil constitutionnel certes, mais un outil qui nie le débat et le processus parlementaires et surtout un outil que le Président comme le Premier ministre n’avaient pas manqué de fustiger alors qu’ils étaient dans l’opposition. Ci et là nous entendons que l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution est un passage en force du gouvernement. Je suis bien plus enclin à y voir un aveu de faiblesse. En revanche, si le recours à ce procédé est un hideux chant du cygne, il ne l’est pas simplement pour un pouvoir contesté par la rue et mis en minorité par son camp. Ce crépuscule, me semble-t-il, touche l’ensemble de la classe politique et de notre système complètement exténué.
L’ultime pelletée de terre
Le gouvernement aura donc opté pour le 49-3 le 10 mai 2016, le jour du trente-cinquième anniversaire de l’élection de François Mitterrand. L’Histoire est aussi – peut-être surtout – faite de symboles et choisir d’utiliser cet outil présidentialiste par essence en cette date anniversaire n’est pas anodin. Beaucoup, sur les réseaux sociaux, se sont empressés de dénoncer la vilénie d’un pouvoir qui liquide les dernières cendres de la pensée de gauche lors d’une date anniversaire. Et pourtant, il n’y a, à mon sens, pas d’opposition entre ces deux dates mais au contraire une continuité pleine et entière, celle qui a vu les deux présidents dits socialistes de la Vème République tourner le dos aux principes mêmes de leur parti et de leur famille de pensée. Lorsque l’on évoque les trahisons du Parti Socialiste, nous nous focalisons trop souvent sur la question économique. La première des trahisons de la part des deux présidents aura été politique.
Certes, le tournant de la rigueur de 1983 est un reniement du programme économique de Mitterrand mais le maintien des institutions dès 1981 est, lui, une trahison totale de la position du Parti Socialiste vis-à-vis de la Vème République. En publiant Le Coup d’Etat permanent, Mitterrand s’était empressé de fustiger le caractère profondément vicié des institutions de la Vème République entre pouvoir concentré dans les mains d’une personne et faiblesse des contre-pouvoirs. Arrivé au pouvoir, le voilà qui s’empresse de renforcer cette dynamique – l’utilisation abusive du 49-3 par Michel Rocard est là pour en témoigner – se contentent d’introduire la proportionnelle lors des législatives par pur intérêt politicien. Trente-cinq ans plus tard, après quatre années de mandat d’un président qui lorsqu’il était candidat affirmait qu’il ne déciderait pas de tout, nous voilà face à la démission des parlementaires fidèles au programme pour lequel ils ont été élus et qui se complaisent dans une espèce de cirque où ceux qui sont les dindons de la farce ne sont pas assis sur les sièges en velours de l’Assemblée Nationale.
Au royaume du cynisme et des postures
Ce gouvernement a donc fait le choix du cynisme face à la contestation qui lui faisait face. Acculé par la rue, abandonné par son camp et lâché par la droite à laquelle il tendait la main, le voilà qui fait le pari du cynisme le plus total pour imposer sa réforme régressive. En choisissant de couper court à tout débat parlementaire et d’engager sa responsabilité, il force les parlementaires socialistes à choisir leur camp : soit vous êtes avec nous et vous laissez passer cette loi soit vous êtes contre nous. Misant sur la lâcheté des frondeurs, l’exécutif fait le pari de passer en force une loi qui signe le paroxysme de sa faiblesse politique. C’est alors que le jeu de dupes a commencé dans tous les bords politiques, preuve s’il le fallait, que le crépuscule évoqué plus haut ne touche pas le simple Parti socialiste mais bien toute cette caste politicienne et ce système qui chante sur des ruines. Motion de droite versus motion de gauche telle est la fable qui a animé toute la journée de mercredi. Oubliant, ou feignant d’oublier, qu’une motion de censure n’était ni de droite ni de gauche, nos fameux frondeurs se sont mis en tête de déposer leur propre motion pour ne pas voter avec la droite et le centre.
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, cela revient à brasser de l’air ou à pisser dans un violon selon le niveau de langage que vous préférez. La triste réalité, c’est que les opposants au texte, à droite comme à gauche, n’ont aucune envie profonde de faire tomber le gouvernement, tout n’est que posture. La droite n’a aucun réel intérêt à ce que cette loi ne passe pas puisque François Hollande et Manuel Valls font le sale boulot pour eux tandis que les frondeurs, lâches comme tout, ont trop peur de perdre leurs petits privilèges d’élus pour réellement renverser le gouvernement. Les 234 députés de droite et les 55 députés de gauche signataires de la motion avortée suffiraient en effet à renverser le gouvernement. Mais dans ce bal des Tartuffe, dans ces jeux du cirque à la romaine, dans ce grotesque digne de la téléréalité ce qui compte est la posture pas les convictions. Les députés proches de Martine Aubry sont l’émanation de cette défense de l’intérêt particulier alors même qu’ils sont censés défendre l’intérêt général. Le 4 mai dernier, dans une tribune, ils affirmaient que l’utilisation du 49-3 serait un casus belli. Les voilà qui, aujourd’hui, trahissent et mentent une nouvelle fois. Nous nous en souviendrons.
Après le crépuscule vient l’aube
Une fois que nous avons admis que le crépuscule touche tout un système et pas le simple gouvernement en place que faire ? Rester les bras croisés en attendant que ça se passe ? Continuer à se rendre aux urnes la tête basse et les joues rougies par les multiples claques reçues ? Ou se relever ? Se relever non pas pour revendiquer, pour réclamer, pour quémander mais se relever pour construire ensemble un avenir commun qui sorte du vote sans choix, du primat de l’économie sur nos vies et du recul toujours plus grand de l’Etat et de la voix des citoyens. « Il arrive que les décors s’écroulent » écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe et il me semble que nous sommes en train de vivre un tel moment. Le système politique se morcelle, craquelant de toutes parts à gauche – avec la désormais plus que probable candidature d’Emmanuel Macron – comme à droite et une grande recomposition s’annonce. La lassitude qui est la nôtre ne doit pas être le point d’arrivée mais le point de départ. « La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, continue Camus, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement ».
Nous voilà arrivés à la crisis grecque, au moment du choix. Voulons-nous retourner dans la chaine ou nous éveiller définitivement ? Voilà la seule question qui vaille. Assez de manifestations, de simples revendications qui n’aboutissent qu’à légitimer le cadre dans lequel ils tentent de nous enfermer depuis trop longtemps déjà. Investissons par millions la Cité, engageons-nous au quotidien pour recréer du lien, pour faire société et retrouvons la notion première du mot politique : s’occuper de la vie de la cité. Plutôt que Goldstein dans 1984, soyons des millions de John le Sauvage du Meilleur des mondes à construire une autre société, à refuser leur cadre et leurs codes, à ne plus être ceux qui réclament mais ceux qui font, à ne plus être ceux qui dénoncent mais ceux qui construisent. Divisés, atomisés, isolés nous ne pouvons rien. Unis, solidaires, assemblés nous formons une force sans autre limite que celles que nous nous fixerons. Soyons tous des petites pierres dans leurs immenses roues. Soyons tous des David face à Goliath. Soyons par millions la sève qui abreuvera l’arbre républicain et démocratique qui chaque jour dépérit un peu plus dans ce sombre hiver que nous vivons depuis plus de 30 ans.
Le quinquennat de François Hollande aura été celui de l’apocalypse, la révélation. Faisons en sorte que celle-ci ne reste pas comme la révélation de notre lassitude nihiliste qui ne croit plus en rien et qui finira, dans un jour plus ou moins lointain, à légitimer la violence ou le meurtre. Tâchons au contraire de continuer à rêver, de tracer une ligne d’horizon et de rallumer les étoiles afin de faire advenir la catastrophe, le renversement.. Brûlons le « c’était mieux avant » pour le remplacer par un ce sera mieux demain. Soyons tous des Prométhée bravaches et rebelles qui défient Zeus sans craindre la foudre. Rappelons-nous, comme l’écrivait Etienne de La Boetie dans son Discours de la servitude volontaire, « qu’ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Ce qui nous intéresse, pour le moment tout du moins, ce n’est pas la prise du pouvoir mais la prise de conscience.
La prise de conscience c’est bien, mais elle est déjà en route et elle ne fera que se renforcer avec le travail politique de prise de pouvoir, avec la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon.
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[…] avaient tous été élus sur un programme radicalement différent que ce que met en place cette loi. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur l’utilisation du 49-3 et d’affirmer qu’il … et l’apocalypse, la révélation, s’il le fallait d’un système politique complètement à […]
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