« En l’état actuel du texte, la France peut basculer dans la dictature en moins d’une semaine ». Cette phrase n’émane pas d’un militant libertaire ou d’une personnalité politique soucieuse de faire le buzz mais de Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris. Prononcée il y a presque un mois dans une interview au Figaro, celle-ci matérialisait son inquiétude face à la volonté affichée de modifier la constitution afin de renforcer le pouvoir exécutif en contournant l’appareil judiciaire pour bien des sujets. Depuis, le Sénat a enterré, ou presque, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité en réintroduisant la mention aux binationaux dans le texte.
Le risque autoritaire est-il dès lors écarté ? Il ne me semble pas. Si l’on regarde l’ensemble des mesures qui ont été votées depuis le 7 janvier 2015 et toutes celles qui vont l’être prochainement, tout concourt à affaiblir notre Etat de droit par un grignotage lent mais certain de certaines libertés fondamentales. Les débats sont nombreux, et houleux, sur chacune des propositions mais le pouvoir en place ne semble pas prêt de reculer et sa volonté de modifier la constitution, texte fondateur de notre régime, en dit long. Cette volonté est la preuve d’une détermination sans précédent d’un gouvernement qui voit dans les attaques terroristes la légitimation de sa dérive.
Quand l’exécutif prend le pas sur le judiciaire
« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice » écrivait Montesquieu, le grand théoricien de la séparation des pouvoirs. Et pourtant, la réforme de la procédure pénale qui est en passe d’être adoptée prévoit notamment un fort renforcement de l’exécutif face au judiciaire. Réforme des procédures de rétention, de perquisitions et de fouilles de nuit, assignation à résidence, contrôles administratifs, assouplissement de la légitime défense pour les policiers soit autant d’éléments portés par la loi et qui ne manqueront pas de limiter un peu plus les libertés individuelles. Couplée au renforcement des services de renseignements consacrés par la loi votée en début d’année dernière, ces modifications – seule réponse pertinente au terrorisme selon nos dirigeants – mettent à mal l’Etat de droit français.
Montesquieu, toujours lui, rajoutait une autre condition importante à l’instauration d’un Etat de droit : « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est précisément cette préconisation là que met à mal le pouvoir en place dans sa frénésie constitutionnelle. En incorporant des mesures d’exception à la constitution qui, rappelons-le, est le texte de loi suprême de notre pays, le gouvernement ouvre grande la porte à l’avènement d’un pouvoir autoritaire. A partir du moment où l’état d’urgence est inscrit dans la constitution, c’est l’assurance pour le pouvoir en place (quelle que soit sa couleur politique) de ne plus voir l’instauration de l’état d’urgence contesté. Le simple vote des députés suffira alors puisqu’il ne sera alors plus possible de contester la constitutionnalité de cet état d’urgence.
L’inquiétante érosion de la justice
Nous venons de le voir, l’autorité judiciaire est en train de perdre du pouvoir face à un pouvoir exécutif qui tente de se renforcer après les attentats de 2015. La logique administrative est peu à peu en train de prendre le pas sur la logique judiciaire, ce qui est à la fois dangereux et porteur d’injustices criantes. C’est peut-être cette atteinte à la notion de justice qui est la plus terrible et la plus propice à l’avènement d’un régime autoritaire. Le nauséabond débat sur la déchéance de nationalité en a été la preuve la plus éclatante. Dans sa misérable frénésie de calculs politiciens et électoralistes, François Hollande n’a pas hésité à fouler les principes fondateurs de notre République à commencer par l’égalité. D’abord réservée aux seuls binationaux, elle a ensuite été étendue à tous les ressortissants français mais en contrepartie, le président l’a élargi aux simples délits.
Inscrire dans la constitution une telle mesure aurait permis à un futur pouvoir autoritaire de déchoir de sa nationalité tout opposant politique ou tout opposant tout court. Quand l’arbitraire remplace la justice, nul ne peut être en sécurité et à l’égalité déjà mise en bière vient se rajouter la perte de la liberté : liberté d’opinion, liberté de presse, etc. A force de ne raisonner qu’en médiocre homme politique et non pas en tant que président, à savoir le garant de la stabilité du pays, François Hollande concourt grandement à affaiblir nos libertés et notre démocratie, ce qui revient finalement à offrir sur un plateau la victoire des idées aux terroristes qui nous ont frappés durement lors de la funeste année 2015 pour la France. Non content d’avoir instauré ce pestilentiel débat, voilà que le gouvernement a fait voter dans l’indifférence presque générale une loi modifiant les règles de l’élection présidentielle. A l’égalité du temps de parole se substituera désormais l’équité du temps de parole où comment renforcer la prééminence des partis dominants. Plus de voix discordante ou presque ne sera entendue puisque LR et PS se partageront le gâteau. Lorsque l’Assemblée vote une loi qui va à l’encontre de ce qui est écrit à son fronton il y a de quoi se pincer et se rendre compte que nous sommes rentrés dans une époque orwellienne. 1984 et 2084 sont des fictions totalitaires, espérons que la réalité ne les rattrapera pas.
Nous l’avons donc vu, notre pays glisse lentement mais dangereusement vers un régime de plus en plus autoritaire. Evidemment, les conséquences ne sont pas encore réellement visibles aujourd’hui, quoique 2017 devrait nous donner un premier aperçu de ce virage dangereux. Il ne s’agit pas, ici, de jouer les Cassandre ou de répéter l’antienne qui voudrait que nous sommes en trains de revivre les heures les plus sombres de notre histoire. Sommes-nous dans un régime autoritaire ? Pas encore. Toutefois, le terreau et les fondations existent pour un retour d’un pouvoir très autoritaire ayant l’arbitraire comme dogme et l’injustice comme valeur. « Ton rôle est d’avertir et de rester pensif » écrivait Hugo en parlant du poète. Permettez-moi d’appliquer cette phrase. Réveillons-nous si nous ne voulons pas sombrer, un jour, dans le cauchemar.
Excellent.
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Merci !
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