Leur fédéralisme comme panacée, vraiment ?

L’année 2015 a vu l’Union Européenne commencer à se déchirer sur de nombreux sujets – dette grecque, migrants, politique hongroise de Viktor Orban, etc. – à tel point que nombre d’observateurs prédisent une année 2016 de tous les dangers pour l’Union Européenne : débat sur Schengen, lancement du sommet pour un plan B par certaines personnalités de gauche, rapprochement du décrié traité transatlantique, autant d’éléments qui donnent du corps à l’hypothèse d’une possible – d’aucuns diront probable – dislocation de l’Union Européenne. Pour paraphraser André Malraux, on peut dire que 2016 sera l’année du renforcement de l’UE ou ne sera pas. Dès ce début d’année, voilà l’UE confrontée à un véritable casse-tête à propos de la question polonaise.

Le virage droitier et nationaliste pris par le pays inquiète, en effet, les pontes de l’UE qui n’ont pas hésité à brandir la menace d’une suspension des droits de votes du pays au sein des instances européennes. Pour beaucoup, cette disposition constitue en quelque sorte « l’arme nucléaire » des instances européennes – qui l’ont déjà utilisé contre l’Autriche lors de l’arrivée au pouvoir du FPÖ – et l’utilisation d’une telle mesure constituerait le prélude à un délabrement complet de l’Union. Au vu de tous ces problèmes, d’aucuns affirment que la solution est le fédéralisme. A leurs yeux, il ne faut pas revoir la politique européenne mais aller vers plus d’Europe, cette Europe qui a échoué. Si elle a échoué, nous disent-ils, c’est précisément parce que le fédéralisme n’a pas été mis en place plus tôt. Il va sans dire que je m’oppose radicalement à cette vision.

Un constat partagé d’une Europe en échec

Selon la formule consacrée, l’UE demeure bel et bien un « nain politique ». Incapables d’adopter une réponse commune et concertée sur les différents sujets politiques internationaux, les pays membres sont comme les multiples têtes d’une hydre qui court dans tous les sens sans jamais faire un seul pas. La France se retrouve bien seule, par exemple, dans ses interventions militaires à l’international. En intervenant au Mali, ne défend-elle pas pourtant toute l’Union d’un risque terroriste aux abords de ses frontières ? Sur la question des migrants le constat est tout aussi cruel. Il est celui d’un échec patent des pays européens à adopter une position commune si bien que la Méditerranée s’est transformée en véritable cimetière sous-marin et que Schengen a été attaqué de toutes parts par des pays faisant passer leur intérêt propre avant l’intérêt commun.

Quant à la politique économique de l’Union, elle est le symbole d’une situation totalement absurde. « L’absurde, écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe, naît de cette confrontation entre l’appel humain et du silence déraisonnable du monde ». Comment ne pas voir dans cette citation l’illustration des problèmes de la zone euro ? La question grecque n’a-t-elle pas consacrée cette confrontation entre l’appel à la renégociation et le silence déraisonnable de l’Allemagne et de ses alliés ? Qui peut aujourd’hui affirmer de manière sensée qu’il existe une politique économique européenne ? Les défenseurs du fédéralisme nous expliqueront que justement celui-ci réglerait ce problème en agissant à la fois sur les politiques budgétaire et monétaire. Ils oublient qu’une politique économique européenne ne sous-entend une politique menée par une poignée de pays et imposée aux autres sous prétexte d’hégémonie économique ou démographique.

Des choix démocratiques, quels choix démocratiques ?

Octave, le héros de Musset dans La Confession d’un enfant du siècle, pose un regard apitoyé et défait sur les ruines de l’empire napoléonien. Dans le roman, il est le symbole d’une génération qui s’est exaltée et a profondément cru en un idéal, l’empire, avant de voir ses rêves de changement et ses espérances se fracasser contre le mur froid de Waterloo. Le Waterloo de notre génération s’appelle Bruxelles et il eût lieu le 12 juillet 2015. En ce triste jour, l’Union Européenne a terminé de démontrer qu’il n’existait pas de réelle démocratie en son sein, elle a fini de prouver que les traités régissaient tout et que la règle était infiniment supérieure au choix comme l’avait déjà démontré Jean-Paul Fitoussi dans La Règle et le choix. Ainsi que l’ont désiré les pères fondateurs de l’Union Européenne, il s’agit de mettre les pays devant le fait accompli et d’exiger des parlements nationaux la ratification de traités conclus sans l’aval du peuple. Mais ne nous leurrons pas, cette pratique était déjà présente depuis un moment. Dès 2007, lorsque Nicolas Sarkozy s’est empressé de faire passer par la voie législative un texte que les Français avaient majoritairement rejeté deux ans plus tôt, il a montré que l’Union Européenne ne se souciait guère de ce que pensaient les peuples qui la composent.

Néanmoins l’été dernier, un pas de plus a été franchi : ce qui se faisait dans le secret a finalement été révélé au grand jour. C’est bien pour cela que je ne suis pas d’accord avec tous ceux qui disent que l’apocalypse a été évitée de peu l’été dernier. Au contraire, l’apocalypse – qui signifie révélation en grec, triste ironie – a bien eu lieu : la révélation d’une Europe qui foule au pied le choix de ses citoyens. Lorsque le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, affirme avec aplomb : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratiques en dehors des traités », il a tout dit. Finalement, ce faisant il ne fait que ressusciter le vieil « There is no alternative » de Margaret Thatcher. Comment, dès lors, exiger – drôle de manière de faire d’ailleurs – une adhésion des peuples à l’Union Européenne ? Lorsque l’on sait que quoi qu’il arrive notre voix ne sera pas entendue si elle ne rentre pas dans le cadre étroit d’un libéralisme atlantiste assumé, il n’est guère surprenant que la défiance soit suscitée par l’UE.

Reculer pour mieux sauter

Et pourtant, pour les défenseurs du fédéralisme tous les problèmes viennent d’une intégration pas encore aboutie. Pour les régler, il suffirait donc de donner encore plus de poids aux traités en ajoutant un volet budgétaire en plus du volet monétaire. Nous constatons un échec depuis 30 ans mais il faudrait continuer dans cette voie si l’on lit bien entre les lignes. Il faudrait même accentuer cette dynamique et dépouiller un peu plus la souveraineté des différents Etats pour la transférer dans des traités abscons qui ne laissent aucune marge de manœuvre au choix démocratique ou à l’alternative. Quand une maison est construite sur de mauvaises fondations, il ne me semble pourtant pas qu’on s’acharne à construire des étages supplémentaires. On travaille au contraire à rétablir des bonnes fondations avant de tenter toute extension supplémentaire.

C’est précisément tout le sens d’un processus de refondation de l’Europe. Passer par une phase de recul me semble absolument nécessaire pour changer les fondements du contrat liant les peuples. Aussi longtemps que la politique économique – ou que toute autre politique – sera uniquement dictée par les traités, aucune communauté de valeurs ne pourra se mettre en place pour la simple et bonne raison qu’une telle construction exclut, de facto, une partie (parfois importante voire majoritaire) de la population du processus de décision. Pourquoi ne pas simplement refonder les traités existant dans ce cas ? Tout simplement parce que certains pays, l’Allemagne en tête, n’accepteront jamais un tel aggiornamento, feront tout pour l’empêcher et prendront d’eux-mêmes le large si jamais il devait quand même avoir lieu.

   Certains fédéralistes ne peuvent pas entendre ces arguments et s’appliquent méthodiquement à décrédibiliser toute personne ne pensant pas que le fédéralisme qu’ils proposent résoudra les problèmes actuels de l’Europe. C’est ainsi que par un glissement sémantique on transforme les eurosceptiques en europhobes puis en nationalistes. Pourtant, à l’instar des critiques de la constitution européenne, beaucoup d’eurosceptiques ont défendu et croient encore en un certain idéal européen mais dans un idéal différent, un idéal d’une Europe plus fraternelle et plus juste qui ne réfléchirait pas qu’avec le portefeuille et ne serait pas au service des grands banquiers ou des grandes multinationales. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’Europe ne se fera pas contre les nations mais bien avec elles. Il est d’ailleurs paradoxal que certains fédéralistes mènent une véritable guerre à la nation alors qu’ils tentent, dans le même temps, d’ériger une nation européenne. Les nations sont à la fois la charpente et la source de vitalité de l’Union, il ne faut pas l’oublier. Dans un discours visionnaire resté célèbre, Victor Hugo ne parlait pas de défaire les nations pour construire l’Europe mais bien de construire une « Europe des nations ».

2 commentaires sur “Leur fédéralisme comme panacée, vraiment ?

  1. Ensemble on est plus fort, vraiment !!!

    Aujourd’hui est un BON ! jour, Marwen. C’est la Fête, la Fête ! …. l’Europe est à l’honneur.
    Merci, merci !!!

    1 – L’Ode à la joie ou Hymne à la joie

    Ô amis, pas de ces accents !
    Laissez-nous en entonner de plus agréables,
    Et de plus joyeux !
    Joie, belle étincelle divine,
    Fille de l’assemblée des dieux,
    Nous pénétrons, ivres de feu,
    Ton sanctuaire céleste!
    Tes charmes assemblent
    Ce que, sévèrement, les coutumes divisent;
    Tous les humains deviennent frères,
    lorsque se déploie ton aile douce.
    Celui qui, d’un coup de maître,
    a réussi
    D’un ami d’être l’ami ;
    Qui a fait sienne une femme accorte,
    Qu’il mêle son allégresse à la nôtre!
    Oui, et même celui qui ne peut appeler sienne
    Qu’une seule âme sur la Terre!

    Mais celui qui jamais ne l’a su,
    Qu’en larmes il se retire, de cette union !
    ………..
    Friedrich von Schiller, 1785
    inclu dans le dernier mouvement de la 9e Symphonie de Beethoven – Hymne officiel de l’Union Européenne.

    2 – (sous) RIRE

    Un prédicateur, en chaire, aimait à démontrer que l’œuvre de Dieu est sans reproche.
    L’histoire – qui est européenne, probablement française – raconte qu’un bossu, écoutant le prédicateur, avait de la peine à le croire.

    Il l’attendait un jour à la sortie de l’église et lui dit :
    – Vous prétendez que Dieu fait bien tout ce qu’il fait, mais regardez comme je suis bâti !
    Le prédicateur l’examina un moment et lui répondit :
    – Mais, mon ami, de quoi vous plaignez vous ? Vous êtes très bien pour un bossu.

    Extrait : Le cercle des Menteurs, Contes philosophiques du monde entier, Jean-Claude CARRIÈRES, POCKET, 2010

    Les vacances approches, pensez à vous divertir…

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