Dix mois après, où est Charlie ?

Il y a dix mois, quasiment jour pour jour, les frères Kouachi commettaient un crime innommables qui couta la vie à 12 personnes. Des kalachs dans une salle de rédaction, des balles contre des crayons, cet attentat n’a alors fait que confirmer l’adage qui veut que les hommes qui ont des balles combattent souvent les hommes qui ont des idées. Quelques jours après, le 11 janvier plus précisément, de grandes marches étaient organisées un peu partout en France, rassemblant 4 millions de personnes. La plus grande démonstration d’unité depuis la Libération disait-on alors. Au « Je suis Charlie » entonné par des millions de personnes s’est alors ajouté l’esprit Charlie, d’essence plus politicienne visant à célébrer cette unité de façade.

Déjà à ce moment, je m’étais méfié du fameux esprit Charlie. Emmanuel Todd, dans Qui est Charlie ?, a selon moi raison quand il parle d’une sorte de « flash totalitaire durant cette période ». Il était, en effet, compliqué de dire « je ne suis pas Charlie » à ce moment-là sous peine d’être taxé d’amitié voire de bienveillance envers les frères Kouachi et les terroristes en général. C’est d’ailleurs le travers dans lequel tombe, à mon sens, Caroline Fourest dans son livre Eloge du blasphème. Déjà à ce moment-là, la liberté d’expression n’était pas aussi défendue que ce que l’on voulait bien nous dire. En somme, les gens étaient sommés d’être libres de penser comme ceux qui défendaient l’esprit Charlie. On nous a alors expliqué que ceci signifiait défendre la liberté d’expression, valeur fondamentale de la République. Aujourd’hui, dix mois après, cette soi-disant défense de la liberté d’expression, si tant est qu’elle ait réellement existé, a disparu.

Liberté d’expression versus tabou

La polémique autour de la réédition de Mein Kampf est venue nous rappeler avec force, si besoin il y avait, que les chantres de l’esprit Charlie et de la défense de la liberté d’expression n’était pas prêt à défendre ladite liberté d’expression jusqu’au bout. J’ai déjà parlé de la loi Gayssot dans un papier précédent donc je ne m’attarderai pas sur la question de la Shoah. En revanche, le tollé que soulève actuellement la possible réédition du livre d’Adolf Hitler me semble, lui aussi, révélateur de la liberté d’expression à géométrie variable que défendent les partisans de l’esprit Charlie. Après les attentats de janvier, nous avons vu fleurir à la FNAC et dans les librairies Le Traité de la tolérance de Voltaire. Fallait-il voir dans Voltaire la grande figure intellectuelle qui inspirait alors les millions de Charlie de France ? Si tel est le cas, ceux-ci ont prestement trahi leur grande figure intellectuelle.

Longtemps, en effet, on a attribué à Voltaire la célèbre phrase : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». S’il est désormais quasi-admis qu’il n’a pas prononcé cette phrase, sa pensée et sa philosophie s’inscrivaient pleinement dans le sillage de cette phrase comme l’a notamment démontré son engagement dans l’affaire Calas. Agir de la sorte, c’est-à-dire lutter contre vents et marées pour empêcher la reparution de Mein Kampf, comme le fait Jean-Luc Mélenchon par exemple, c’est aller purement et simplement à rebours de la pensée voltairienne qui est érigée au rang de dogme pour les défenseurs de la liberté d’expression. D’autant plus que toute personne qui a déjà lu certains passages de ce livre sait très bien qu’il ne constitue en aucun cas le programme de Hitler et qu’il est tellement mal écrit que très peu de personnes deviendront des fanatiques en le lisant ainsi que l’avance l’ancien candidat Front de Gauche à la présidentielle. Allons même plus loin, si on interdit Mein Kampf, pourquoi autoriser les mémoires de Lénine ou le Livre Rouge de Mao ? On constate bien ici une faille dans l’argumentation de ceux qui défendent la liberté d’expression mais posent quand même des lignes rouges à ne pas franchir.

Blasphémez le Pape ou Mahomet, pas le changement climatique

Le deuxième fait d’actualité qui me fait doucement rigoler par rapport au fameux esprit Charlie concerne la question du changement climatique. A-t-on entendu les défenseurs de la liberté d’expression s’exprimer sur le cas de Philippe Verdier ? Pourtant quel tort a-t-il commis ? Tuer un enfant ? Violer une femme ? Non, il a simplement eu le malheur de s’attaquer au réchauffement climatique et à ses conséquences sur la planète. Il le dit lui-même, il n’est pas climato sceptique. Dans son livre, Climat Investigation, il aborde le thème du réchauffement climatique en expliquant pourquoi, selon lui, celui-ci n’est pas porteur que de mauvaises choses. Pour lui, ledit réchauffement climatique est aussi vecteur de bonnes nouvelles et d’améliorations de certaines conditions de vie. La question n’est pas de savoir s’il a tort ou raison, je n’en sais rien.

Toutefois, les conséquences qu’a eues la publication de son livre pour lui sont loin d’être normales selon moi. Finir par être ostracisé puis viré de son poste alors que l’on n’a commis aucune faute si ce n’est celle d’avoir exprimé un avis divergent, là n’est pas ma définition de la liberté d’expression. Dans le livre de Caroline Fourest, que je cite plus haut, exhorte les Français à faire preuve de courage et à oser blasphémer les différentes religions comme a l’habitude de le faire Charlie Hebdo (leurs unes sur Mahomet ou les intégristes catholiques l’ont bien démontré). Et que fait Philippe Verdier si ce n’est blasphémer le changement climatique, cette « nouvelle religion » selon le mot de Léa Salamé ?

Voilà donc cette pseudo liberté d’expression que l’on nous propose, une liberté à géométrie variable où il s’agit de monter au créneau contre la publication d’un livre ou d’avoir la bouche cousue quand une personne perd son emploi pour avoir osé dire quelque chose de différent. Les prétendus défenseurs de la liberté d’expression, hypocrites au possible, feraient bien de se remémorer les mots de Jaurès lors de son Discours à la jeunesse en 1905 : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ».

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