La Guerre d’Algérie, grande oubliée des cours d’histoire

La semaine dernière François Hollande annonçait qu’un attentat contre des membres de l’armée avait été déjoué. Les suspects projetaient d’égorger un haut gradé de l’armée française. Dans la même semaine, des terroristes tendaient une embuscade à une division de l’armée algérienne et tuaient 14 soldats. Coïncidence me direz-vous ? Certainement. Mais cette symétrie a le mérite de rappeler que les problèmes français et algériens sont intimement liés. Nul besoin ici de rappeler la longue lutte contre le terrorisme que l’Algérie mène depuis plus de 20 ans au sein même de son territoire. En somme, maintenant que Kadhafi ne règne plus sur la Libye, le dernier allié puissant et capable de s’opposer réellement au terrorisme dans la région reste l’Algérie.

Et pourtant, d’aucuns continuent de nous affirmer qu’il existe une haine farouche et irréversible entre les deux pays et entre les deux peuples. Adopter une telle attitude et un tel discours est, en plus d’être irresponsable, complètement erroné. Si le décret Cremieux de 1870- qui a accordé la nationalité française aux 35 000 juifs algériens tout en conservant le statut d’indigène pour les musulmans algériens- a contribué à attiser les haines entre les deux peuples, l’histoire entre l’Algérie et la France est bien plus complexe que ceci. Tenter de la regarder sous le simple constat binaire haine/amour n’est pas pertinent. Essayons donc de rentrer dans la complexité de cette relation tumultueuse mais finalement fraternelle, si l’on y regarde de plus près.

La Guerre d’Algérie dans l’angle mort de l’Histoire de France

Aujourd’hui, si l’on n’est pas d’origine algérienne ou descendant de Pieds Noirs, il est quasiment certain que l’on ne s’intéressera pas à cette guerre. Certains vont même jusqu’à lui refuser le nom de guerre et préfère parler des «évènements d’Algérie». Finalement, la Guerre d’Algérie reste un des derniers grands tabous de l’Histoire de notre pays. Enseignée de manière superficielle au mieux, elle passe bien souvent à la trappe des cours d’histoire en étant noyée dans le mouvement global de décolonisation. Cette manière de procéder aboutit la plupart du temps à passer sous silence les spécificités et les atrocités qu’a comporté cette guerre. Loin de moi l’idée d’apporter de l’eau au moulin de Pascal Bruckner et d’exiger le sanglot de l’homme blanc mais évoquer les atrocités de cette guerre sans tomber dans le manichéisme me semble être un préalable plus que nécessaire à la réconciliation des deux peuples.

La Guerre d’Algérie fut une guerre sale. Très sale. En témoigne les scènes de tortures, les émasculations ou les actes de barbaries commis de part et d’autre. Dans Le Premier homme, Camus, lui le franco-algérien, nous décrit cette violence et cette inhumanité au début de son roman : le père du héros se retrouve face à une scène atroce à savoir la vision du corps d’un soldat français émasculé et à qui on a mis les testicules dans la bouche. Au guide qui l’accompagne, il fait part de son dégoût face à cette scène immonde ce à quoi le guide répond que la haine ne peut engendrer que la haine. « Un homme ça s’empêche » lui répond alors le père du héros. Force est de constater que lors de cette guerre, nombre de combattants ont perdu leur humanité. Ce ne sont plus des hommes qui se sont combattus sur le sol algérien mais des fantômes, les fantômes de deux idéologies. C’est ce qui explique que ces fantômes aient perdu tout caractère humain et aient eu recours à des atrocités sans nom : jeter les combattants algériens du haut d’un hélicoptère après leur avoir coincé les pieds dans le ciment et les regarder se noyer pour les soldats français (qui appelaient ces hommes-là les crevettes), trancher le nez des personnes neutres ou assassiner froidement des moines pour les rebelles du FLN.

Réconcilier ces deux peuples, c’est aussi réconcilier une partie de la jeunesse avec la République

Tous ses actes innommables que j’ai décrits plus haut ont évidemment abouti à une forme de détestation entre les deux peuples. Cette détestation a fait table rase d’une certaine complicité sinon d’un amour entre les deux pays. L’Algérie n’avait-elle pas un statut à part dans les colonies Françaises ? N’était-elle pas considérée comme un morceau de France ? C’est pourquoi il faut aujourd’hui, non pas faire table rase de ces évènements atroces, mais procéder à un examen lucide de ce qu’il s’est passé durant cette période noire dans les relations entre les deux pays. Cet examen lucide et pondéré ne peut être bénéfique que s’il est effectué sur les deux rives de la Méditerranée. Il s’agit de ne tomber ni dans un paternalisme pédant ni dans une pénitence mortifère et génératrice de violence mais simplement de reconnaitre les torts des deux pays pour construire une réelle relation d’amitié et de confiance.

En outre, loin de régler des simples situations internationales, arriver à une réconciliation des deux pays aiderait grandement à résoudre une partie de la problématique des banlieues à savoir le problème de l’identité troublée de beaucoup de jeunes y résidant. La Guerre d’Algérie est souvent le prétexte à la détestation de la République Française dans les quartiers dits sensibles. Le raisonnement, simplifié, est à peu près celui-ci : vous avez colonisé mes parents et mes grands-parents, vous les avez fait horriblement souffrir durant la Guerre d’Algérie alors comment voulez-vous que j’adhère à vos valeurs et à une République qui ne veut pas reconnaître les torts qu’elle a pu avoir ? Evidemment, ce travail de réconciliation ne peut faire l’économie d’une pédagogie pour montrer que non il n’y a pas les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. Le manichéisme est de toute manière toujours une mauvaise voie et une mauvaise idéologie.

A l’heure où la France est en pleine crise identitaire, il me semble particulièrement important de procéder à cette réconciliation afin de montrer que la France et l’Algérie peuvent avoir la grandeur de reconnaitre leurs torts et de les dépasser pour construire des relations solides. «Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin» disait Jaurès. Alors messieurs les dirigeants algérien et français ayez ce courage de vous tendre la main l’un l’autre et de dominer les fautes que vos pays ont pu commettre lors de cette guerre atroce et inhumaine. C’est l’humanité qui en sortira assurément grandie.

2 commentaires sur “La Guerre d’Algérie, grande oubliée des cours d’histoire

  1. A ce qu’il me semble, ta vision du décret Crémieux est un peu simplifiée, étant donné que la citoyenneté était ouverte sous condition aux musulmans (notamment de s’assimiler et d’abandonner le statut civil musulman, tout comme les juifs avaient dû abandonner les leurs).

    Pour le reste j’ai un désaccord de fond qui est qu’il y a clairement le sanglot de l’homme blanc qui nous revient régulièrement, et je ne crois pas que parler plus de la guerre d’Algérie (qui n’est vu QUE comme un crime français) arrange particulièrement les problèmes des banlieues. A la rigueur parler de l’Histoire de l’Algérie avec les raids barbaresques, Abd El Kader etc. aurait plus de sens.

    Des toutes façons parler ou ne pas parler me parait illusoire dès lors qu’on se sent étranger dans le pays où l’on vit, cette étrangeté, même sans profonde hostilité, sépare trop pour permettre ce qu’on appelle un peu sottement le « vivre ensemble ».

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    • Non le décret Crémieux n’était pas ouvert aux musulmans d’Algérie. Après ça reste un détail pour moi.

      Je suis d’accord avec toi, quand on évoque la Guerre d’Algérie on est trop souvent dans le sanglot de l’homme blanc mais ce qu’il faut c’est aussi rappeler les atrocités commises par le FLN (et je suis d’origine algérienne donc comme quoi on peut avoir des origines algériennes et critiquer les deux bords). Donc pour toi il faut mettre sous silence le point d’orgue de l’histoire franco-algérienne mais parler du reste. Pour moi ça revient à déblaterer sur des futilités pour ne pas aborder le problème essentiel.

      Je ne suis pas d’accord avec toi. Pour être issu des banlieues, je sais que la Guerre d’Algérie a une part importante dans les causes de rejet de la République dans ces quartiers. Après ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, ça ne réglera pas tous les problèmes, loin de là. Mais petit à petit c’est comme ça que l’on peut avancer.

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