Changer l’Euro et réorienter l’UE : la fin de l’utopie

Longtemps j’ai cru qu’il était possible de modifier l’euro et de réorienter la politique européenne vers plus de croissance, plus de justice et plus de solidarité. Naïf, je me suis dit que la crise de la dette souveraine, qui touche l’Europe depuis 2010, allait permettre cette réorientation vers une politique plus humaine où le politique reprendrait réellement le pas sur l’économique. D’ailleurs, crisis ne signifie-t-il pas choix en grec ? Malgré les mises en gardes répétées de plusieurs économistes ou politologue, comme Jean-Paul Fitoussi dans La Règle et le choix, j’ai voulu croire que c’était quand même possible. La crise grecque et le diktat imposé au pays de Platon, d’Aristote et de Socrate par les institutions européennes est venu signifier la fin de ce doux espoir. Non l’Euro ne peut pas être changé et non l’UE ne sera pas réorientée, l’Allemagne et ses sbires ne le permettront jamais.

Au-delà de la simple critique de l’Allemagne, ce que « l’accord » du 12 juillet met en lumière, c’est la crise profonde que traverse la gauche européenne (comme l’avait si bien remarqué Raffaele Simone dans Le Monstre doux). La pensée de gauche est en crise parce qu’elle est incapable de remettre en question les choses existantes. Elle a perdu cette force qui était la sienne et qui la poussait à remettre en cause l’ordre établi pour aller vers plus de solidarité et plus de progrès. Il faut aussi s’intéresser à l’étymologie du mot crise. Comme dit plus haut, en grec crisis signifie choix. Si la gauche est en crise c’est aussi parce qu’elle est à la croisée des chemins : se réinventer ou mourir, telle est l’alternative qui se présente aujourd’hui à la gauche européenne.

De l’impossibilité de changer l’UE et l’euro

Comme l’explique très bien Frédéric Lordon dans un article du Monde Diplomatique, que l’Allemagne et son peuple soient obsédés par la question monétaire n’est pas mauvais en soi. Chaque pays a ses petites obsessions et ses grandes marottes que l’Histoire lui a léguées. Dans le cas de l’Allemagne l’obsession monétaire et de la rigueur lui vient de l’épisode d’hyperinflation en 1924 qui a fini par conduire Hitler au pouvoir. Ce qui est mauvais, en revanche, c’est quand un pays décide d’imposer ses obsessions à d’autres. C’est précisément ce que fait l’Allemagne et on a bien vu toute l’intransigeance que ce pays pouvait avoir à propos de la politique de rigueur et d’austérité. Le combat contre la Grèce n’était plus un combat économique mais bien un combat idéologique. Ce sont deux idées et deux idéaux de société qui se sont combattus lors de ces dures journées de juillet.

Il fut un temps où je croyais sincèrement qu’il était possible d’inverser le rapport de force et de mettre l’Allemagne et ses alliés en minorité pour pouvoir réorienter la politique européenne. Je me rends aujourd’hui compte que c’est une chimère pour deux raisons. La première est que l’Allemagne a montré sa puissance et sa force de volonté par rapport aux autres pays européens lors de la crise grecque. Les Allemands ne modifieront pas d’un iota leur position même sous le feu des critiques du FMI ou des Etats-Unis qui considèrent le plan imposé à la Grèce comme absurde. La deuxième raison tient au fait que l’Allemagne est aussi prisonnière de ses obsessions si bien que si jamais le rapport de force s’inversait et que nous serions proches d’atteindre la réorientation tant voulue, c’est l’Allemagne et ses alliés qui prendraient le large, anéantissant de facto l’euro et l’UE.

La gauche européenne à un tournant historique

Finalement, que l’Allemagne tente d’imposer ses vues et ses obsessions aux autres est peut-être condamnable mais laisser faire une telle logique quand nos intérêts ne sont pas ceux-là l’est encore plus. C’est pourquoi la gauche européenne et la gauche française en particulier sont bien plus coupables à mes yeux que ne l’est l’Allemagne. Libération titrait il y a peu sur François Hollande et le présentait comme le grand frère européen d’Alexis Tsipras. Un grand frère qui vous emmène droit dans le gouffre en vous prenant par la main, voilà une drôle de conception de la fraternité qu’a Libé. Ou alors, si on veut absolument parler de lien de frères entre Tsipras et Hollande, le seul duo qui me vient à l’esprit est Caïn qui tabasse son frère Abel jusqu’à finir par le tuer. Sinon je ne vois pas bien, il faudra que les journalistes qui ont écrit cet article m’expliquent où ils voient de la fraternité et non pas de l’opportunisme électoral et une imposture intellectuelle de la part de François Hollande.

La gauche européenne est bel et bien en crise. Elle doit faire le constat lucide de ses échecs et accepter le fait qu’elle (et je ne m’exempte pas de cette erreur) a cru pendant des années qu’une autre politique était possible au sein du carcan que représente les traités imposant la rigueur voire l’austérité. Laisser le monopole du discours critique sur l’euro à l’extrême droite est une trahison des idéaux historiques de la gauche (tout comme laisser le monopole du discours sur la laïcité, idée de gauche à l’origine, à la droite). Remettre en cause l’ordre établi et poser la question d’une sortie de l’euro ne revient pas à être anti-européen, nationaliste et xénophobe comme le voudraient certains qui usent de la caricature et de l’outrance à longueur de discours. L’idéal de solidarité et de justice défendue historiquement par la gauche ne peut pleinement se réaliser dans cette UE qui met l’économie avant le politique et les chiffres avant les hommes. Les grandes figures de la gauche de Hugo à Jaurès en passant par Camus défendaient évidemment une Europe des peuples mais auraient certainement rejeté avec force et véhémence l’Europe actuelle qui se construit non pas avec les peuples mais contre eux. Finalement, c’est l’UE d’aujourd’hui qui est vectrice de xénophobie en aboutissant à opposer les peuples entre eux, en distinguant les cigales méditerranéennes des fourmis nordiques. Voilà le cœur du problème européen aujourd’hui.

« Le courage, disait Jaurès dans un discours resté célèbre, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Aux responsables de gauche d’avoir ce courage et cette exigence de vérité. Il en va de la survie d’une pensée réellement de gauche.

4 commentaires sur “Changer l’Euro et réorienter l’UE : la fin de l’utopie

  1. Salut Marwen,
    j’aime beaucoup l’idée de publier ses idées sur un blog plutôt que de vainement les exposer sur Facebook, lieu totalement inapproprié pour la chose. Je vais te faire quelques remarques, j’espère que tu répondras.

    D’abord, la gauche européenne n’a jamais tenté d’inverser le rapport de force avec l’Allemagne. Cette gauche était imprégnée de l’idéal européen, et refusait de voir les rapports de force qui sous-tendaient cette construction. L’Allemagne était en plus soutenue par les US dès le début (lire le grand échiquier de Brzeziński)., donc la France, et encore plus les PIIGS, n’avaient aucune chance de contrebalancer ce pouvoir. La gauche a de plus cessé de soutenir le petit peuple depuis belle lurette (Congrès de Tours? Ou plus récemment le « tournant de la rigueur »?), donc ce n’est pas d’elle qu’il faut attendre des réactions face à l’austérité.

    Ensuite l' »Europe » n’a jamais été réalisée pour le bien des peuples, la puissance géopolitique ou encore le respect des différences culturelles. Dès le début, le projet de l’Europe-marché l’a emporté, l’euro venant continuer ce projet, en forçant des économies radicalement différentes (économies de services contre économies industrielles) à avoir la même monnaie. Certains plaident pour un « euro plus bas », c’est idiot. Certes cela ferait un peu de bien pour les exportations extra-européennes des pays du Sud, mais nuirait à ceux du Nord. D’ailleurs, ce n’est pas seulement la question de l’hyperinflation, l’Allemagne a besoin d’un euro fort pour faire marcher son économie.
    L’UE est en fait vide de sens, son seul but est d’accroître la « concurrence » et le PIB.

    Ce qui manque dans l’article, ce sont les solutions à tout cela. Lordon, que tu cites, propose intelligemment une monnaie commune. En fait il faut rejeter ce pouvoir supranational non-représentatif et profondément méprisant vis-à-vis des peuples et des opposants politiques (cf « on aimerait bien discuter avec des adultes » de Lagarde). C’est le pas qu’il faut franchir selon moi, s’exprimer ouvertement contre cette structure de domination et non pas vouloir la « réformer », ce qui apparaît impossible. Revenir à une coopération transnationale, refuser l’ingérence des USA, retrouver une souveraineté monétaire (même dans un système plus grand type monnaie commune), accorder la primauté au bien commun et non pas au PIB, enfin remettre, ou plutôt mettre les peuples au cœur du dispositif de décision via référendum ou autre.

    Que les grecs votent « Oxi » et se retrouvent avec une austérité sans pareille (pour rembourser une « dette odieuse »), c’est scandaleux. Mais ce n’est pas un coup d’État, Tsipras a trahi son peuple. Personne ne lui a pris le pouvoir, il l’a donné volontairement. Si la gauche veut renaître, elle n’a qu’à se préoccuper réellement des électeurs, et délaisser quelque peu son idéal d’Europe fédérale unifiée.

    Il est triste de voir la figure mythique du Grec s’incliner face au visage avilissant et méprisable du Banquier. Le grand problème vient de l’absence de réaction des peuples, surtout de ceux les plus concernés. La passivité des peuples demeure l’origine de l’impasse.

    Gauthier Brioude

    Aimé par 1 personne

    • Salut Gauthier ! Oui je trouve que Facebook n’est pas propice à une réflexion de fond, ce qui nous manque cruellement aujourd’hui…

      Tu as pleinement raison quand tu dis que la « gauche » n’a jamais tenté d’inverser le rapport de force. D’ailleurs y a qu’à voir le SPD qui est plus sévère que Merkel à l’égard de la Grèce.. Quand j’évoque la gauche qui doit se réinventer c’est surtout un retour aux sources et se rapprocher à nouveau du peuple, la gauche que j’appelle c’est celle de Blum, Jaurès ou Camus pas cette gauche qui a sacrifié l’idéal de justice et d’égalité sur l’autel de la construction européenne!

      L’Europe a été construite pour le marché, y a qu’à voir comment le Royaume-Uni fait ce qu’il veut au sein de l’UE. Mon article ne propose pas de solution je te l’accorde mais je n’ai pas la prétention d’avoir les compétences en économie pour ça mais ton analyse sur l’euro est la bonne. Pour reprendre une métaphore de je sais plus qui, l’euro c’est comme un seul chauffage pour des pièces de tailles différentes, ca peut pas marcher..

      Sur la Grèce, Tsipras a été prisionnier de sa foi en l’euro c’est ce qui fait qu’il a trahi son peuple et qu’il continue à dire que l’accord est mauvais et qu’il n’y croit pas. Le débat sur l’euro et sur cette Europe c’est le débat le plus urgent de l’époque. Laisser le monopole de la pensée critique sur ce point à l’extrême droite est dangereux et contreproductif. Aux peuples de se réveiller et de réellement faite bouger les choses pour arrêter ce diktat, sur ca on est tout à fait d’accord

      Marwen

      J’aime

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