Notre bien triste époque

Ce matin en parcourant les nouvelles je suis tombé sur une info pour le moins morbide : un bébé retrouvé vivant dans une poubelle. Faut-il croire que nous sommes arrivés à un tel point d’inhumanité ? Finalement, il n’y a rien de plus inhumain qu’un Homme. Après les attentats contre Charlie Hebdo, après les exactions commises par l’Etat Islamique ou Boko Haram, après la pauvreté qui reprend sa marche en avant (l’exemple de la Grèce est catastrophique à ce niveau-là), après les bébés retrouvés dans les congélateurs, après les centaines et centaines de migrants qui se sont noyés dans la Méditerranée, bref après toutes ces horreurs je me dis quand même que quelque chose ne va pas dans notre époque. Alors qu’on nous vend du rêve à longueur de journées, force est de constater qu’elle craint notre époque, vraiment.

Je me sens un peu comme Octave, le héros imaginé par Alfred de Musset dans  La Confession d’un enfant du siècle, qui, contemplant les ruines fumantes de l’empire napoléonien, ressent un immense vide et un profond dégoût envers l’époque qui est la sienne. Mais, me direz-vous, tu n’as rien à regretter toi du haut de tes 22 ans. C’est bien vrai, je n’ai pas connu de bouleversement majeur depuis ma naissance et pourtant j’ai la conviction que nous vivons dans un monde de liberté molle : pas assez beau pour croire en des lendemains meilleurs, pas assez laid pour avoir peur ou envie de se révolter. Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La nôtre sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Notre génération est l’héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre.

Le crépuscule des idéaux

La chute du mur de Berlin puis la dislocation de l’URSS deux ans plus tard marque le début de ce crépuscule des idéaux. Alors, évidemment le régime soviétique n’était pas défendable (ce n’est pas le but de mon propos, d’autant plus que je le condamne de la manière la plus ferme possible) mais, en périssant, celui-ci a fait disparaitre tout idéal sur Terre et la logique réaliste a définitivement pris le pas sur la logique idéaliste. « Dieu est mort, Marx est mort et moi-même je ne me sens pas très bien ». Cette célèbre phrase issue du mouvement populaire de Mai 68 n’aura jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. A la sécularisation déjà bien avancée de l’Occident, s’est ajoutée une disparition d’un idéal de solidarité (bien que le régime soviétique l’ait travesti et dévoyé) avec l’implosion de l’URSS. Désormais, plus aucun idéal ne guide les jeunes générations. Les jeunes dans, leur extrême majorité, soit ne se préoccupent que de s’amuser, soit ils sont déjà pleinement dans le système et ont totalement assimilé que l’important était de faire de bonnes études pour avoir un travail qui rapporte beaucoup d’argent (vous comprenez c’est la crise il faut bien s’en sortir). Dans les deux cas il s’agit d’une logique singulièrement égoïste. Plus de destin commun ni de solidarité. Finalement c’est une part de notre humanité qui disparaît petit à petit. Le cynisme et la froide réalité l’ont emporté dans les cœurs. Aujourd’hui, les personnes idéalistes, si elles ne sont pas purement et simplement raillées et traitées de douces rêveuses, ne sont jamais prises au sérieux. Nous avons tout simplement fait le deuil de tous nos idéaux, désormais seul les choses concrètes et tangibles nous intéressent et ont de la valeur à nos yeux.

Là où l’on retrouve cette disparition des idéaux de manière la plus prégnante, c’est dans le domaine politique. Toute personnalité politique se voulant porteuse d’un certain idéal se voit tout de suite discréditée par le reste de la classe politique. Ce qui est demandé désormais, c’est d’être crédible et réaliste quitte à sacrifier ses rêves d’un monde plus fraternel et plus solidaire. On a bien vu cette logique à l’œuvre dans le cadre de la crise grecque : à l’idéal de solidarité et d’un monde plus juste, les dirigeants nous ont répondu que le principe de réalité devait prévaloir. L’éthique de conviction a définitivement disparu pour laisser la place à l’éthique de responsabilité. C’est pourquoi le rêve et l’idéal ne sont plus permis. Point de rêve et d’idéal à celui qui ne veut pas prendre de la hauteur et accepter de prendre des risques (politiques) pour défendre cet idéal. Charlie Chaplin décrivait déjà ce monde triste et inhumain dans le discours de fin du film Le Dictateur : « Nous sommes inhumains à force d’intelligence, nous pensons beaucoup trop et nous ne ressentons pas assez. Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité. Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse ». Il est assez triste et effrayant de se dire qu’un film tourné pendant la Deuxième Guerre mondiale sous la menace de l’hitlérisme décrive mieux le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui que le monde qu’il voulait originellement critiquer.

Aujourd’hui, nous sommes tous des Meursault

Dans L’Etranger, le personnage de Camus est étranger à sa société parce qu’il n’en partage pas les valeurs et qu’il vit selon un mode de vie absurde. Ses valeurs sont floues, la différence entre le bien et le mal n’est pas réellement définie pour lui. Aujourd’hui, Camus ne pourrait pas écrire ce livre puisque la majeure partie de la population pourrait être Meursault. Est-ce d’ailleurs un hasard si nombre d’observateurs estiment que l’œuvre de Camus nous permet pleinement de comprendre notre époque ? Ce qui caractérise aussi Meursault, c’est son individualisme exacerbé. Il affirme sa liberté en tant qu’individu. Et en ce sens Meursault se rapproche pleinement de notre mode de vie contemporain. Nos vies sont fortement existentialistes, dans l’absolu. Sartre décrit l’Homme occidental de 2015 quand il dit qu’il « est absolument libre, il n’est rien d’autre que ce qu’il fait de sa vie ». L’apparition d’une application comme Tinder illustre à quel point les gens sont devenus interchangeables, on dit oui ou on dit non. C’est le capitalisme affectif, fait d’offre, de demande et de concurrence. Après l’information, la musique, le cinéma, nous avons dématérialisé l’Amour.

Nous sommes aussi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, coupé du monde qui nous entoure. Internet brouille les cartes. Il rend le monde petit, bruyant et brutal. Le silence est en train de devenir un luxe. L’abstention est mal vue. L’ascétisme est suspect. On ne s’est jamais autant exprimé qu’aujourd’hui, mais qui écoute vraiment ? Il n’y a plus de débat, que des « clashs ». On avale plus de quantités d’informations que jamais mais est-ce que cela se traduit par une amélioration de la proposition politique ou des argumentations en général ? Non. D’ailleurs, le mot buzz est symptomatique de cette perte de sens. Faire le buzz c’est quoi dans le fond ? La définition qui nous vient directement à l’esprit c’est « faire parler de nous, de quelque chose ». Mais si on s’arrête sur le mot buzz en lui-même ne nous apprend-il pas une chose fondamentale ? Buzz, c’est l’extension de bzzzz finalement. En somme, faire le buzz c’est être entendu mais ne rien dire de concret, ne rien dire qui a un sens.

Sommes-nous aujourd’hui plus libre que ne l’étaient nos grands parents ? Certainement. A mon âge mes grands-pères étaient déjà mariés et avait été réquisitionnés pour la Guerre d’Algérie. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus libres qu’ils ne l’étaient à leur époque : plus libres de choisir nos carrières, de penser ce que nous voulons, d’aller où nous voulons, de fréquenter qui nous voulons. Pour autant, notre génération est-elle plus heureuse que la leur ? Je n’en suis pas si certain. Alors oui décidément, on vit une bien triste époque.

Un commentaire sur “Notre bien triste époque

  1. Nous vivons une époque sans joie et sans amour. Le pognon toujours le pognon et moi je dis non à cette société de compétition, arrogante et esclavagiste. Je rêve d’une autre société ou l’humain est au centre du bonheur terrestre. Debout mes frères et mes sœurs
    Pour un monde plus juste refuse les horreurs du système
    robin des bois

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