L’idée européenne n’est plus

Aujourd’hui, l’idée européenne est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu une notification sur mon téléphone : «Accord trouvé. Tsipras capitule. La ligne dure l’emporte.» Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. La Grèce et ses créanciers sont donc parvenus à un accord dans la nuit de dimanche à lundi. Enfin, accord est un bien grand mot. L’Europe a contraint Alexis Tsipras à une reddition sans condition. En brandissant la menace d’un Grexit, même temporaire, l’Allemagne et ses alliés finlandais et slovaques ont imposé leur vision au reste de l’UE. La dureté des exigences heurtait plusieurs fonctionnaires européens lundi matin. Un «catalogue des horreurs», résumait même le magazine allemand Der Spiegel.

Alexis Tsipras représentait surement le dernier espoir de voir la politique européenne infléchie vers plus de justice sociale et de voir l’émergence d’une Europe plus solidaire et plus inquiète du bien-être de ses peuples plutôt que de critères abstraits et mathématiques. 60%-3%-Règle d’or ou la Sainte-Trinité défendue par l’orthodoxie allemande. Si cette position peut se comprendre en période de prospérité, elle devient complétement absurde en période de récession et n’aboutit qu’à détruire le tissu social des pays où elle est appliquée. Les différents gouvernements européens sont pourtant tous unanimes sur l’accord conclu cette nuit : ils auraient sauvé l’Europe selon eux en évitant le Grexit. Leur autosatisfaction suintante me fait penser à ces personnages de La Peste qui effectuent une danse macabre autour du corps des pestiférés. Sauf que dans notre cas le mort est l’idée européenne.

Aujourd’hui je me sens aussi étranger à l’UE que Mersault à sa société

La référence à L’Etranger au début de ce billet n’est pas innocente. Après avoir comparé la Grèce à Meursault, c’est moi-même, et une grande partie du peuple européen, qui me sens comme le personnage principal du roman de Camus : mis face à l’absurde. Cet absurde, au sens camusien du terme, c’est les institutions européennes et en particulier Wolfgang Schaüble qui le symbolise. Si «l’absurde naît de la confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde » dans l’œuvre de Camus, dans l’espace politique de l’Europe celui-ci nait plutôt de la confrontation entre l’appel des peuples à une politique plus solidaire et le silence déraisonnable (et intransigeant) des institutions européennes.

Parce que le nœud du problème est bien là. Les tenants de l’austérité ont beau jeu de caricaturer les opposants à l’austérité en affirmant qu’ils sont contre l’idée européenne. Par le même procédé pervers que lors du référendum sur la constitution européenne de 2005, toute personne souhaitant une Europe différente que celle qui est proposée (imposée plutôt devrait-on dire) est taxée d’être opposée à la construction européenne. La vérité c’est que l’extrême majorité des personnes qui critiquent l’austérité sont profondément européistes. Je suis un fervent partisan de l’idée européenne mais je ne veux pas de l’Europe de Merkel où les chiffres prennent le pas sur l’humain et où l’Allemagne décide de tout et ne défend que ses intérêts propres.

Ce qui arrive aujourd’hui n’est que la suite logique de 2005 et de 2009

Il ne faudrait pas croire que cet ébranlement de l’idée européenne est dû au seul fait de la crise grecque. Il y a 10 ans, l’idée européenne avait déjà pris une balle dans la tête avec les non français et hollandais à la Constitution européenne. N’en déplaise aux peuples qui avaient rejeté une Europe qu’il considérait alors comme trop libérale, les gouvernements français et hollandais avaient court-circuité la volonté de leur peuple en passant par la voie parlementaire. L’UE s’est alors dotée du Traité de Lisbonne en 2009 et voilà comment les grands pontes de l’UE ont tenté de nous faire croire que l’idée européenne était encore bien vivante. En réalité, tels des marionnettistes, ils ne faisaient que soutenir un mort pour nous faire croire qu’il était vivant.

La crise de la dette souveraine a constitué la deuxième balle mise dans la tête de l’idéal européen. Lors de cette crise, les Européens ont eu le choix (il est d’ailleurs amusant de constater que «crisis» en grec signifie choisir) entre donner plus de pouvoir à la BCE, harmoniser la fiscalité et les budgets, et donc montrer que la réponse européenne à l’adversité serait le fédéralisme, ou bien ne rien faire et rester comme avant. L’Europe a décidé de ne pas changer grand-chose et de rester au milieu du gué. Si même l’adversité ne rassemble pas, rien ne le peut, et à ce moment précis on a su que l’Europe n’irait pas plus loin. La crise actuelle grecque constitue la troisième et dernière balle mise dans la tête de cette idée européenne que certains prétendent défendre alors même que leurs agissements ne concourent qu’à la détruire. Point de hasard donc dans ce qui survient aujourd’hui, simplement la logique implacable mise en route en 2005, continuée en 2009 et qui nous éclate à la figure aujourd’hui.

D’aucuns nous expliquent qu’on a évité l’apocalypse en réussissant à maintenir la Grèce dans l’UE et dans la zone euro. Manque de bol pour eux, en grec «apocalypsis» signifie révélation et en exigeant une reddition sans condition de Tsipras et de son gouvernement, les institutions européennes n’ont fait qu’accélérer la révélation de la mort de l’idée européenne.

9 commentaires sur “L’idée européenne n’est plus

      • Il n’y a pas 36 façons de définir la démocratie. Et improviser des référendums bâclés avec des questions idiotes n’y changera rien. Aujourd’hui, un sondage vient d’être publié fait par Kapa pour Tovima : plus de 70% de la population grecque veut que le parlement ratifie les lois demandées par les « institutions ».
        http://www.tovima.gr/politics/article/?aid=722353

        C’est LE défi majeur, depuis maintenant je ne sais combien de décennies, voire plus, et ce n’est pas prêt de changer ! Comment CONVAINCRE les gens qu’on a des propositions CRÉDIBLES ?

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      • Mener une politique d’austérité (imposée par l’Allemagne) qui détruit tout tissu social sans que l’on puisse remettre en question cette politique ce n’est pas ma définition de la démocratie. J’ai toujours été pro-européen MAIS je croyais qu’il était possible de changer la politique de l’intérieur pour aller vers plus de justice sociale et de solidarité. La crise grecque a montré que les Allemands étaient intransigeants et nous ont dit « il n’y a qu’une seule politique possible ». Je ne veux pas de cette Europe qui se détourne de ses peuples

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  1. Moi aussi il y a plein de choses que « je ne veux pas ». C’est pas le problème de vouloir ou de ne pas vouloir, d’être d’accord ou pas d’accord. il faut CONVAINCRE les gens qu’on a des propositions CRÉDIBLES. Le reste, c’est comme pisser dans un violon, ça ne sert à rien (et c’est le problème de la « gauche radicale » depuis combien ? 100 ans ? 150 ans ? 200 ans ?). C’est triste, en fait.

    On ne peut pas se comprendre, désolé.

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    • Merci de votre commentaire ! Il prouve à lui seul le problème de l’UE et ce qui signera son arrêt de mort. Vous ne voulez pas discuter juste imposer vos propositions CREDIBLES comme le prouve votre « on ne peut pas se comprendre » qui coupe court à tout débat. Donc pour vous il n’y a qu’une politique possible (Thatcher devait vous plaire j’imagine).
      Vous voulez des propositions concrètes et crédibles pour réorienter l’Europe vers plus de justice sociale ? Stop au dumping sous toutes ses sortes: harmonisation sociale, fiscale et des salaires au sein de l’UE. Mise en place d’un salaire minimum harmonisé au sein de la zone euro. Voilà des propositions mais vous ne les comprendrez pas ou alors vous n’avez pas envie de le faire. Nul n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

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  2. Je ne voulais pas du tout couper court à tout débat, je pense sincèrement qu’on ne peut pas se comprendre, mais ce n’est pas à cause de mes idées politiques. J’ai voté Mitterrand en 1981, quand Thatcher était au pouvoir en Angleterre. Ce n’est pas le sujet. On ne peut pas se comprendre parce qu’on ne parle pas de la même chose, et du coup on a un dialogue de sourd.

    Mon sujet est la démocratie. Nouveau sondage publié ce matin en Grèce : Alexis Tsipras est toujours le seul l’homme politique, et de loin, qui a la confiance de la population. Par contre, Yanis Varoufakis est massivement désavoué.

    Si chaque fois que quelqu’un te parle de crédibilité, tu réponds avec « THATCHER! », ne t’étonnes pas ensuite de faire partie de la 36ième génération qui va passer sa vie entière dans l’opposition. Tu n’es pas le premier, tu ne seras pas le dernier. Oui, c’est triste.

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    • Ah au temps pour moi alors je pensais que tu coupais court à tout débat. C’est terrible de dire qu’on ne peut pas se comprendre parce que la démocratie c’est aussi essayer de comprendre l’autre même s’il n’a pas les même idées que nous. Tu parles de crédibilité mais une politique qui appauvrit la population est-elle viable sur le long terme et est-elle socialement et humainement acceptable ? Je ne suis pas sur. L’Amérique Latine, avec tous les défauts que peuvent comporter ses régimes, montre par exemple qu’il est possible d’aller vers plus de justice sociale tout en restant crédible.

      Sur la démocratie, c’est un principe très fragile et imparfait tout simplement parce que ce régime est à l’image de l’Homme. C’est Platon qui parlait de « tyrannie de la majorité ».

      Et non je ne réponds pas « Thatcher » dès qu’on me parle de crédibilité. Je dis simplement qu’on peut être crédible et aller vers plus de justice. Après certains n’en veulent pas de cette justice mais c’est une autre histoire.

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      • Quelques idées en vrac, après une grosse journée de travail, avant de partir en vacances.

        Le concept de Justice Sociale n’est pas quelque chose d’universel. Il varie avec les individus, les cultures, l’expérience de chacun, le caractère, et les idées plus ou moins philosophiques qu’on se fait de la vie en société, de la morale, etc…

        Bref, pour sortir du cercle des radicaux qui font 10% aux élections, et espérer rassembler 51% des français, il faut des objectifs précis sur ce qui est acceptable ou pas, et pourquoi. L’extrême gauche a un gros travail à faire sur ce point, sinon elle ne convaincra pas.

        C’est particulièrement vrai en période de crise, durant laquelle les gens se mettent à penser que la vie de leurs enfants sera moins agréable que la leur. S’ils ont une perspective d’amélioration générale, pour le plus grand nombre, ils peuvent être tentés. S’ils ont l’impression qu’il s’agit surtout d’un combat idéologique contre les méchants capitalistes et en particulier ceux qui « gagnent trop », ils résisteront longtemps encore (comme c’est le cas depuis plus d’un siècle) aux promesses du « demain on rase gratis ». Si c’est pour que les « inégalités diminuent », mais qu’au final chacun gagne moins qu’avant, personne ne sera d’accord (sauf des jusqu’au boutistes de l’égalitarisme)

        Là encore, un énorme travail est à faire pour être crédible, et la difficulté, me semble-t-il, s’est accentuée depuis une vingtaine d’année. Si plusieurs pays, en Asie et en Afrique, sont maintenant des pays émergents et non plus des « pays sous-développés », c’est à cause du capitalisme, de la mondialisation des échanges, du business (traduction : le commerce). Pour convaincre les gens qu’on peut obtenir le même résultat avec le collectivisme et/ou des entreprises gérées par leurs propres salariés, l’état ou des syndicats, bon courage !

        Je ne sais pas trop de quoi il est question quand tu parles d’Amérique Latine, mais le fait est que le Venezuela est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire et va faire fuir les électeurs si on leur dit que c’est un exemple.

        Bref, l’extrême gauche peut avoir un avenir, de mon point de vue, si elle procède à plusieurs Aggiornamento sur le plan idéologique et économique. Sinon, elle est reparti pour un nouveau siècle dans l’opposition.

        D’ailleurs, il faut étudier ce qui s’est passé à la fin de la grande époque « fin des 60s/début des 70s » : « entrisme », en particulier au PS. Pourquoi donc ? Par prise de conscience de l’impasse du radicalisme.

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