Le rap par-delà les clichés et les simplifications

Le milieu du rap français est en pleine ébullition actuellement. En effet, pas moins de quatre albums ou EP sortent en l’espace de trois semaines : cette frénésie a commencé le 18 mai et la sortie du très attendu Ngrtd de Youssoupha et s’achèvera le 8 juin avec Le Feu, premier album solo de Nekfeu. Entre temps, Médine nous a dévoilé un EP surprise, Démineur, le 25 mai et les deux frères toulousains Bigflo & Oli, la relève du rap français pour beaucoup, ont sorti leur premier album La Cour des grands.

Cette activité intense vient témoigner, s’il le fallait, que le rap, loin d’être mort, est encore bien vivant et reste un milieu extrêmement fécond. On constate, effectivement, que deux de ces productions sont réalisées par de jeunes rappeurs qui sortent leur premier album pour Bigflo & Oli et leur premier album solo pour Nekfeu. Dans le même temps, les poids lourds du monde du rap ne sont pas en reste puisque Youssoupha et Médine compte plus de 10 ans de carrière.

Et pourtant, bien que le rap soit présent en France depuis plus de 20 ans, il n’est toujours pas accepté à sa propre valeur. Beaucoup ne le considèrent pas comme un genre musical à part entière et lui refuse le statut d’art au prétexte qu’il ne serait que violence, haine et inculture. 

Un genre musical dénigré et dévalorisé

« En écoutant du rap, leur musique de sauvage ». En mettant ces paroles dans la bouche d’une personne hostile aux jeunes de cités dans Nik ta mère, Bigflo & Oli tentent de mettre en avant cette vision partiale et dévalorisante que certains ont du rap. Evidemment ce personnage est caricatural dans la chanson des deux jeunes frères toulousains mais il ne faut pas oublier que d’aucuns considèrent le rap de la sorte. Doit-on rappeler les paroles d’Eric Zemmour qui a affirmé que « le rap [était] une sous-culture d’analphabète » ?

Certains vont même plus loin affirmant que le rap légitimerait la violence, le terrorisme et l’intolérance. Le morceau Don’t Laïk de Médine a ainsi fait l’objet d’une polémique surréaliste, Alain Finkielkraut allant même jusqu’à affirmer que Médine était du côté des frères Kouachi et contre la République. Marianne publiera un dossier sur les « sales voix du djihad » visant à démontrer que le rap s’attaque à la laïcité. On n’a pu voir cette dynamique à l’œuvre lors de la polémique opposant Booba à Luz.

Enfin, le rap n’est pas reconnu à sa juste valeur, on ne lui accorde pas le statut de création culturelle. Marseille Provence 2013 est, à cet égard, un exemple très intéressant : Marseille est une des villes historiques du rap français avec de très nombreux artistes comme IAM, Keny Arkana ou les Psy4 de la Rime. A ce titre, un collectif de rappeur s’était formé au moment de l’élection de Marseille comme capital européenne de la culture en vue de bénéficier d’un site dédié au rap afin de démocratiser un peu plus ce courant culturel. A cette envie déclarée de montrer la diversité culturelle de la ville, les organisateurs ont opposé une fin de non-recevoir, préférant organiser un concert de David Guetta subventionné par la ville et hors de prix. Marseille capitale de la culture a donc considéré que le rap n’était pas digne de faire partie des diverses représentations culturelles.

Le principal problème : l’essentialisation du rap

Il n’y a pas le rap comme un seul et unique bloc. En effet, comme pour n’importe quel style musical ou littéraire, il y a des courants divers au sein du rap. Vouloir faire entrer ses différents courants, parfois contradictoires, dans une seule case revient à essentialiser le rap et à ne plus pouvoir faire la distinction entre les différents types de rap. Pourtant comme on le dit, le diable se cache dans les détails.

Dans les trois principaux styles de rap français on peut tout d’abord distinguer ce qu’on appelle le rap conscient c’est-à-dire un rap porteur d’un certain message revendicatif ou d’éducation et de mise en garde. Certains considèrent que c’est la réelle mission du rap que d’être conscient.

On retrouve ensuite ce que certaines personnes appellent de manière péjorative le rap commercial à savoir un rap plutôt dansant et groovie qui ne se prend pas au sérieux. Ce style a émergé au cours des dernières années et se diffuse plus facilement sur les chaines musicales ou les radios.

Enfin, le troisième type de rap français est celui inspiré des Etats-Unis, lieu de naissance du rap. Sa principale caractéristique est constituée par des instrumentales très pêchues et par des paroles souvent crues, parfois violentes.

Aussi vouloir faire rentrer ces trois styles différents dans une seule case n’est-il ni honnête ni pertinent.

Reconnaitre le rap comme véritable culture : un enjeu de société

Peu de gens le savent mais rap signifie rythm and poetry. En ce sens, les créateurs du rap ont voulu se placer dans la lignée des poètes et ainsi affirmer leur volonté de manier la langue avec finesse. Youssoupha, un rappeur reconnu en France revendique ce côté poète et sait très bien manier la langue puisqu’il est issu de la filière littéraire et qu’il a obtenu la meilleure note de son académie en français et en philo. Les rappeurs ne sont donc pas des analphabètes passant toute leur chanson à insulter tout et n’importe quoi comme le pense Eric Zemmour.

En plus de savoir manier la langue, les rappeurs sont également capables d’effets de forme pour faire passer leur message. Prenons l’exemple d’un des plus grands classiques du rap français, Demain c’est loin. Dans ce morceau, Akhenaton et Shurikn décrivent la vie répétitive et démoralisante des jeunes de quartiers difficiles et le son sur lequel ils vont rapper ce thème correspond au fond de leur propos à savoir une instrumentale répétitive et monotone de 10 minutes.

Reconnaitre le rap comme élément culturel n’est pas seulement important pour les artistes qui le pratiquent. En effet, beaucoup de jeunes des quartiers dits difficiles se reconnaissent dans les propos des rappeurs. C’est pourquoi ne pas accorder au rap le statut d’art revient à accentuer encore le schisme entre cette population et le reste de la société. Et à l’heure où Manuel Valls veut mener un plan contre « l’apartheid » qui touche ces quartiers, ne plus traiter le rap comme un art mineur pourrait bien être un pas de plus et une main tendue vers ces populations.

8 commentaires sur “Le rap par-delà les clichés et les simplifications

  1. Tu crois vraiment qu’une reconnaissance du rap comme serait une bonne chose ? J’ai bien peur qu’au contraire, on risquerait de créer un rap plus consensuel et formaté.
    N’est ce pas sa position un peu marginal qui la rend aussi riche ?

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    • C’est un débat à avoir mais je pense que reconnaître le rap serait une bonne chose. Regarde IAM par exemple, ils sont plutôt reconnus à l’heure actuelle et leurs derniers albums sont tout sauf formatés.

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  2. Je m’intéresse beaucoup à ce que vous faites, d’autant plus que je suis aussi un jeune qui s’engage : j’ai un blog, j’ai collaboré à des revues notamment et j’ai entre autres écrit un papier sur Finkielkraut où j’exprime mon désaccord sur un point majeur : sa vision du rap ! Il ne s’attache qu’à des citations anti-France qui ne sont pas représentatives du genre tout entier. Dans son réflexe, salutaire, de rappeler que tout ne se vaut pas, et donc que Morano n’est pas Hitler et Booba n’est pas Rimbaud, il semble oublier que les rappeurs ne se valent pas tous entre eux !
    Quand je vois ce que tu écris je me dis qu’on doit être d’accord sur à peu près rien mais je suis content de lire des articles bien écrits, bien argumentés. Bravo !

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