Déjà en 1995, La Haine parlait des violences policières et de de leur impunité. Le point de départ de cette réflexion est un constat d’échec, d’immobilisme treize années après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur EDF, mort qui aura servi d’étincelle à l’embrasement des banlieues en 2005. Les années passent mais le problème demeure, il s’approfondit même puisque les violences policières ont, au cours du quinquennat précédent, allégrement dépassé le cadre de la banlieue et des milieux populaires. De la mort de Rémi Fraisse sur le barrage de Sivens à celle d’Adama Traoré, de l’image choc du policier frappant violemment un lycéen d’Henri Bergson à Paris aux violences récurrentes vis-à-vis du mouvement social contre la loi travail, du cynisme avec lequel le gouvernement a instrumentalisé les casseurs pour mieux discréditer Nuit Debout à l’indécence des syndicats policiers plaidant le malheureux concours de circonstances dans le viol du jeune Théo par une matraque à Aulnay-sous-Bois, la violence policière et ses conséquences sont devenues progressivement à la fois plus endémiques et plus systémiques. A chaque bavure, à chaque violence, on nous explique qu’elle est le fruit de quelques vilains petits canards – quand celles-ci sont reconnues, ce qui reste tout à fait exceptionnel – alors même que la fracture entre la population et la police – théoriquement chargée de la protéger – s’accroît chaque jour. De la mort de Malik Oussekine en 1986 à celle d’Aboubakar Fofana il y a quelques jours c’est la même sempiternelle question qui ressort : si la police doit nous protéger, qui nous protégera de la police ?
Dans le même temps – et de manière assez exceptionnelle – les policiers ont manifesté leur mécontentement durant la fin de l’année 2015 en réclamant un élargissement de leur droit à la légitime défense en même temps que la possibilité de porter leurs armes en dehors de leurs heures de service. Sans doute effrayé par les manifestations qui prenaient de l’ampleur, le gouvernement a accédé à une partie de leurs demandes. Il est assez intéressant de constater que lesdites demandes ne concernaient pas plus de moyens – alors même que, nous le verrons, cette question est primordiale – mais bien une augmentation de leurs prérogatives et in fine l’augmentation de la violence légitime de la part de l’Etat. Voilà le tableau qui se dresse devant nous à savoir celui d’une police de plus en plus discréditée et toujours plus revendicative. Pour être juste, il est bien plus question à l’heure actuelle d’une forme de polarisation manichéenne autour de la question policière que d’une défiance grandissante. Nombreux sont ceux à soutenir aveuglément les policiers, à commencer par Marine Le Pen. Il faut dire qu’une part grandissante des forces de l’ordre votent désormais pour le Front National (de nombreuses enquêtes affirment que le parti d’extrême-droite a une majorité absolue au sein de ce corps de la population). Il ne s’agit pourtant pas de s’intéresser aux individus, qui s’ils doivent être condamnés le seront par la justice. Il est, à mon sens, bien plus important et en même temps délicat de s’attaquer aux grandes tendances et donc d’interroger l’institution policière plutôt que ses agents. S’atteler à une telle critique suppose de ne pas reculer devant les conclusions radicales qu’une étude de ce genre ne manquera pas d’entrainer. En somme, plutôt que de se borner à une analyse de l’institution policière, il s’agit de raisonner de manière systémique. Lire la suite →