ACAB ou Fuck le 17 (sur la police et sa critique)

Une rue de Paris en mai 1871 – Maximilien Luce

Le week-end dernier s’est tenu l’un des événements politiques annuels les mieux connus de notre pays, la Fête de l’Humanité. Si les débats ont été nombreux – notamment à propos de la présence de Valérie Pécresse ou de Gabriel Attal – il y a sans conteste un élément sur lequel s’est structuré une large part des commentaires, le fameux concert de Soso Maness et sa critique acerbe du film Bac Nord. Le rappeur marseillais a ensuite lancé un «Tout le monde déteste la police » repris par une bonne part du public, ce qui a suscité le courroux des acteurs habituels de la surenchère jusqu’à arriver place Beauvau où Gérald Darmanin a exigé que les partis de gauche condamnent ce qu’il s’était passé.

Si les représentants de la France Insoumise ou du NPA n’ont pas répondu à cette nouvelle outrance du ministre de l’Intérieur, le candidat du Parti Communiste Français (qui n’a plus guère de communiste que le nom actuellement) Fabien Roussel s’est empressé de condamner de manière vindicative le rappeur tout en désignant les forces de l’ordre comme étant des « ouvriers de la sécurité ». Cette polémique nous invite finalement à nous poser la question non seulement de la manière la plus idoine de critiquer l’institution policière mais aussi à mettre en évidence la dérive mortifère pour la démocratie à laquelle nous assistons depuis bien des années maintenant à propos de cette institution.

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La police, gardienne de la paix ou force de l’ordre social ? (1/4): tout le monde déteste la police ?

Déjà en 1995, La Haine parlait des violences policières et de de leur impunité. Le point de départ de cette réflexion est un constat d’échec, d’immobilisme treize années après la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur EDF, mort qui aura servi d’étincelle à l’embrasement des banlieues en 2005. Les années passent mais le problème demeure, il s’approfondit même puisque les violences policières ont, au cours du quinquennat précédent, allégrement dépassé le cadre de la banlieue et des milieux populaires. De la mort de Rémi Fraisse sur le barrage de Sivens à celle d’Adama Traoré, de l’image choc du policier frappant violemment un lycéen d’Henri Bergson à Paris aux violences récurrentes vis-à-vis du mouvement social contre la loi travail, du cynisme avec lequel le gouvernement a instrumentalisé les casseurs pour mieux discréditer Nuit Debout à l’indécence des syndicats policiers plaidant le malheureux concours de circonstances dans le viol du jeune Théo par une matraque à Aulnay-sous-Bois, la violence policière et ses conséquences sont devenues progressivement à la fois plus endémiques et plus systémiques. A chaque bavure, à chaque violence, on nous explique qu’elle est le fruit de quelques vilains petits canards – quand celles-ci sont reconnues, ce qui reste tout à fait exceptionnel – alors même que la fracture entre la population et la police – théoriquement chargée de la protéger – s’accroît chaque jour. De la mort de Malik Oussekine en 1986 à celle d’Aboubakar Fofana il y a quelques jours c’est la même sempiternelle question qui ressort : si la police doit nous protéger, qui nous protégera de la police ?

Dans le même temps – et de manière assez exceptionnelle – les policiers ont manifesté leur mécontentement durant la fin de l’année 2015 en réclamant un élargissement de leur droit à la légitime défense en même temps que la possibilité de porter leurs armes en dehors de leurs heures de service. Sans doute effrayé par les manifestations qui prenaient de l’ampleur, le gouvernement a accédé à une partie de leurs demandes. Il est assez intéressant de constater que lesdites demandes ne concernaient pas plus de moyens – alors même que, nous le verrons, cette question est primordiale – mais bien une augmentation de leurs prérogatives et in fine l’augmentation de la violence légitime de la part de l’Etat. Voilà le tableau qui se dresse devant nous à savoir celui d’une police de plus en plus discréditée et toujours plus revendicative. Pour être juste, il est bien plus question à l’heure actuelle d’une forme de polarisation manichéenne autour de la question policière que d’une défiance grandissante. Nombreux sont ceux à soutenir aveuglément les policiers, à commencer par Marine Le Pen. Il faut dire qu’une part grandissante des forces de l’ordre votent désormais pour le Front National (de nombreuses enquêtes affirment que le parti d’extrême-droite a une majorité absolue au sein de ce corps de la population). Il ne s’agit pourtant pas de s’intéresser aux individus, qui s’ils doivent être condamnés le seront par la justice. Il est, à mon sens, bien plus important et en même temps délicat de s’attaquer aux grandes tendances et donc d’interroger l’institution policière plutôt que ses agents. S’atteler à une telle critique suppose de ne pas reculer devant les conclusions radicales qu’une étude de ce genre ne manquera pas d’entrainer. En somme, plutôt que de se borner à une analyse de l’institution policière, il s’agit de raisonner de manière systémique. Lire la suite

Les bavures policières et le fossé grandissant

Mardi dernier, un jeune homme est mort à la suite d’un contrôle de police. Il s’appelait Aboubakar Fofana, il avait 22 ans et il a été tué d’une balle à la carotide. Depuis, dans le quartier du Breil à Nantes, la tension n’est pas redescendue. Aboubakar Fofana n’est que le dernier d’une longue liste de victimes de bavures policières et, à chaque fois ou presque, le même mécanisme se met en place, celui de diaboliser celui qui vient de mourir – nous y reviendrons. Très rapidement en effet la mort du jeune homme a été instrumentalisé par bien des politiciens et des éditorialistes comme il est de coutume, une forme de stratégie visant sans doute à attaquer pour mieux défendre l’institution policière réputée incritiquable.

Il est pourtant essentiel à mon sens de revenir et de s’interroger sur ces réactions à l’emporte pièce qui sont à la fois révélatrices d’un fossé toujours plus grandissant en même temps que le moyen d’imposer un agenda identitaire, autoritaire et sécuritaire. Les bavures policières, bien trop nombreuses, frappent sempiternellement les mêmes personnes pour les plus graves d’entre elles. C’est toujours, ou presque, des jeunes issus des quartiers populaires à la couleur un peu trop foncée selon certains qui font les frais de la violence de l’institution policière dans ce pays et les réactions qui accompagnent lesdites bavures en disent très long sur le fossé qui se creuse dans notre pays. Lire la suite

L’affaire Théo, les médias et l’indignation à géométrie variable

« Ok ! J’ai beau brailler sur des dizaines de mesures, j’peux rien t’dire d’original qu’un autre rappeur t’ait jamais dit. Parce que finalement nos plaintes sont les mêmes, on décrit la même réalité, on dénonce les mêmes problèmes. Titre après titre, album après album. Au point qu’j’ai l’sentiment que tout ça n’est qu’un éternel recommencement… » affirmait déjà Youssoupha il y a presque dix ans dans son morceau Eternel recommencement issu de son premier album. Force est aujourd’hui de constater avec l’affaire Théo que ces mots étaient prémonitoires et que depuis rien, ou presque, n’a changé notamment à propos des violences policières. Le schéma classique s’est reproduit entre bavure policière, et déferlement de haine sur les réseaux sociaux à l’égard de ces « racailles » qui dans le fond n’ont que ce qu’elles méritent.

Pour être juste, il faut quand même dire que François Hollande s’est rendu au chevet du jeune Théo ce qui a pu laisser présager d’une fin différente des multiples bavures policières classées sans suite. Pourtant, cette visite aura eu un effet pervers puisque quelques jours seulement après celle-ci, l’IGPN – la police des polices, les fameux bœuf-carottes – a rendu sa conclusion affirmant qu’il s’agissait simplement d’un accident. Résumons donc, nous vivons dans un pays où l’instance chargée du contrôle de la police nous explique qu’une matraque enfoncée de 10 centimètres dans un anus lors d’un contrôle de police est un accident. « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » écrivait Montesquieu dans L’Esprit des lois. Il semblerait qu’une telle assertion ne s’applique pas à la police de notre pays au vu de la mansuétude régulière qui lui est faite lors des bavures commises. Lire la suite

La mort d’Adama Traoré, éternel recommencement

« Ok ! J’ai beau brailler sur des dizaines de mesures, j’peux rien t’dire d’original qu’un autre rappeur t’ait jamais dit. Parce que finalement nos plaintes sont les mêmes, on décrit la même réalité, on dénonce les mêmes problèmes. Titre après titre, album après album. Au point qu’j’ai l’sentiment que tout ça n’est qu’un éternel recommencement… » affirmait déjà Youssoupha il y a presque dix ans dans son morceau Eternel recommencement issu de son premier album. Force est aujourd’hui de constater avec l’affaire Adama Traoré que ces mots étaient prémonitoires et que depuis rien, ou presque, n’a changé notamment à propos des violences policières. Le schéma classique s’est reproduit entre possible (probable même) bavure policière, absence presque totale de couverture médiatique (ainsi que l’a bien noté Acrimed) et déferlement de haine sur les réseaux sociaux à l’égard de ces « racailles » qui dans le fond n’ont que ce qu’elles méritent.

Mort le 19 juillet, on pourrait penser qu’Adama a été éclipsé de l’actualité uniquement en raison des deux attentats qui ont entouré ce terrible drame. Et pourtant des violences policières américaines ont été traitées dans les médias dans les jours entourant cette tragédie. Cette différence de traitement a d’ailleurs entrainé la publication d’un édito au vitriol dans le New York Times et intitulé « Black Lives Matters in France too » que l’on peut traduire par « La vie des Noirs compte aussi en France » au cours duquel le quotidien américain dénonce « la culture de l’impunité bien ancrée chez les policiers français » qui « mène à des abus d’autorités sur les minorités ». En somme, chez la plupart de nos médias c’est la vieille histoire de la paille et de la poutre qui fait loi dans le traitement des violences policières. Lire la suite