Complexité, idéal, long terme, triptyque à retrouver
Nous l’avons vu précédemment, le système politico-médiatique fait tout pour rendre le débat simpliste, n’aborder que des questions de court terme et rejeter en bloc tout idéal au profit d’un pragmatisme qui devrait tout régler. Traumatisée par les idéaux dévoyés du XXème siècle, notre classe politique ne veut plus entendre parler d’idéal si bien que la simple évocation d’un idéal suffit à vous discréditer en vous faisant passer pour un doux rêveur. La chute de l’URSS et la désagrégation du bloc communiste qui s’en est suivie a parachevé le crépuscule des idéaux et marqué l’entrée dans un monde qui s’en est dépouillé. Le consumérisme et le matérialisme l’ayant définitivement emporté sur les idées, il n’est guère étonnant que cette manière de pensée ait contaminé notre classe dirigeante. François Mitterrand ne pensait sans doute pas si bien dire lorsqu’il affirma qu’il n’y aurait plus que des comptables après lui. Et pourtant, abandonner tout idéalisme et toute vision de long terme est aussi mortifère que de ne jurer que par l’idéalisme comme ont pu le faire le nazisme et le stalinisme. Edgar Morin, dans Pour et contre Marx, l’explique brillamment : pour être équilibré, il nous faut marcher sur les deux jambes de l’idéalisme et du réalisme sans sacrifier l’un à l’autre mais en les faisant marcher de concert. Jaurès ne dit pas autre chose quand il affirme que « le courage c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Si être aveuglé par l’idéal peut nous emmener à nier le réel et à faire de la Terre un enfer, rejeter en bloc l’idéal pour se contenter du matérialisme et du réalisme revient à nier la singularité de l’être humain et à ne plus nous préoccuper du long terme. Finalement, un peu comme la liberté et l’égalité qui tombent toutes deux dans des apories mortelles si elles ne s’équilibrent pas, l’idéalisme et le réalisme ont tous les deux besoin l’un de l’autre pour ne pas transformer la société en cage pour l’esprit dans le cas du réalisme et en cage pour le corps dans le cas de l’idéalisme.
Réconcilier ces deux frères ennemis suppose de nous réconcilier nous-mêmes avec la complexité, à savoir une pensée qui s’arrache aux conclusions simplistes pour repenser plus globalement les problèmes que nous traversons afin d’élaborer des solutions de long-terme. Cette complexité, c’est celle qu’Alain Badiou met en avant dans sa conférence à la suite des attentats du 13 novembre dernier (Notre mal vient de plus loin). Il s’agit de nous affranchir du manichéisme outrancier et simpliste qui nous guette pour réussir à repenser l’architecture même de nos schémas de réflexion. Plutôt que débattre sur l’opportunité ou non d’ériger un mur à nos frontières pour transformer la Méditerranée en cimetière géant, il faudrait bien plus réfléchir aux moyens dont nous disposons pour permettre à ces personnes de mener une vie décente dans leur pays d’origine. Cette manière de procéder ne saurait faire l’économie du long-terme à la fois lorsqu’il s’agit d’étudier les causes et lorsqu’il faut réfléchir aux conséquences. Nous le voyons donc, complexité, idéal et long-terme fonctionnent ensemble en se répondant mutuellement. Notre classe politique a fait fi de ce triptyque et le voilà qui lui explose désormais à la figure puisque dans notre société sans idéal si ce n’est celui de consommer toujours plus, ceux qui sont exclus de cette logique de consommation sont enclins à aller chercher ailleurs un idéal, ailleurs leur place. Plutôt qu’égrener des promesses qu’ils ne tiennent jamais ou presque, nos responsables politiques devraient s’échiner à tracer une ligne d’horizon afin de pouvoir débattre sur l’avenir et la vision de notre pays pour nous permettre d’en décider. La constitution de la République sociale devra inscrire ce triptyque au cœur de son texte sous peine de se retrouver à nouveau dans dix, vingt ou peut-être trente ans face aux mêmes apories que nous rencontrons aujourd’hui. Lire la suite