La loi « anticasseurs », la perquisition chez Mediapart et l’hiver démocratique

Il est des périodes qui sont tout à la fois le témoin et la scène d’accélération prodigieuse des dynamiques. Pareilles à ces mélanges chimiques qui ont besoin de dépasser un certain stade pour que le précipité se forme, celles-ci sont reconnaissables à la succession très rapprochée de symboles de rupture. Il ne me parait pas exagéré de dire que nous vivons actuellement une période de ce type en France. Des propos tenus en demi-off par Emmanuel Macron à certains médias, où le monarque présidentiel fait montre d’un complotisme absolument absurde dans tous les sens du terme, au vote par une écrasante majorité de députés de la loi dite anticasseurs qui remet radicalement en cause le droit de manifester dans ce pays en passant par la tentative de perquisition de Mediapart au fumeux motif d’une protection de la vie privée ou celle de Manuel Bompard, tout ou presque concorde pour dire que la séquence que nous vivons est singulière.

Le propre de ce genre d’accélération des évènements est sans conteste leur caractère apocalyptique. Il faut ici entendre le sens premier et étymologique du terme apocalypse, terme qui dans la Grèce antique signifiait révélation. Il ne s’agit pas de dire que l’on découvre le visage autoritaire du locataire de l’Elysée – peut-être devrions nous l’appeler le complotiste de l’Elysée comme le fait Frédéric Lordon dans son dernier billet de blog, génial au demeurant – mais bien plus assurément expliquer que le voile semble s’être définitivement et de manière irrémédiable déchiré, que les quelques oripeaux derrière lequel se cachait la caste sont désormais jetés à terre et que le roi est désormais nu, donc autoritaire. Démontrer et critiquer cette extension du domaine autoritaire ne saurait suffire, il devient impérieux de se lever contre cet hiver démocratique.

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Mise à mal du droit de manifester, le fléau qui vient de loin

Alors que le gouvernement et Emmanuel Macron tablaient assurément sur un tassement de la mobilisation des Gilets Jaunes en ce début d’année 2019, le huitième acte qui s’est tenu samedi dernier a, au contraire, semblé démontrer que le mouvement s’était revigoré et que la mobilisation repartait à la hausse. En dépit des fêtes de fin d’année, des annonces de l’exécutif censées (dans sa logique) faire revenir le calme et de la stratégie de la peur employée par le pouvoir, les Gilets Jaunes sont encore présents et ne semblent pas prêt d’abandonner ronds-points et manifestations le samedi – ce qui tend à prouver qu’une action menée le week-end est plus à même de s’inscrire dans la longévité.

Après avoir tout tenté ou presque pour éteindre le mouvement (stratégie de la peur en annonçant qu’il y aurait des morts lors d’actes précédents, déploiement démesuré des forces de l’ordre, tentative de laisser pourrir le mouvement pour le couper du soutien populaire ou encore violences manifestes à l’égard des manifestants), Emmanuel Macron et son gouvernement essayent manifestement depuis quelques jours de réduire les Gilets Jaunes à des hordes de violents uniquement là pour en découdre. De l’expression « foules haineuses » utilisée par Monsieur Macron aux annonces liberticides d’Edouard Philippe lundi soir lors du JT de TF1 en passant par les provocations irresponsables de Benjamin Griveaux, c’est une seule et même dynamique qui s’affirme : celle de vouloir criminaliser le mouvement en tentant de faire sombrer le pays dans un manichéisme primaire où le tout sécuritaire deviendrait nécessaire.

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La loi sécuritaire, le bruit des bottes et le silence des pantoufles

Aujourd’hui, l’Etat de droit est mort. Ou peut-être hier je ne sais pas. J’ai reçu une notification sur mon portable : « Vote à l’Assemblée Nationale. 415 voix pour, 127 contre. Le projet de loi sécurité est adoptée ». Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. Beaucoup auront sans doute reconnu dans ces quelques mots introductifs un rappel de l’incipit de L’Etranger d’Albert Camus. Si j’ai souhaité débuter ce billet grave par une telle analogie c’est bien parce que je me sens complètement étranger à cette société de la suspicion qu’ils sont en train de construire, cette société où chacun surveille autrui, cette société où il y aura demain une présomption de culpabilité de fait.

Le philosophe franco-algérien met en scène, dans son roman, la thèse philosophique qu’il porte dans son essai sur l’absurde, Le Mythe de Sisyphe. Dans ledit essai, il affirme que la seule question philosophique vraiment sérieuse est celle du suicide. Il me semble qu’il est possible de paraphraser les dires de l’intellectuel et d’affirmer que dans un système qui se prétend être un Etat de droit il n’y a qu’une question véritablement sérieuse, celle des libertés publiques. Qu’est l’Etat de droit sinon un régime qui protège tous ses résidents de l’arbitraire étatique ? Un Etat où les pouvoirs sont clairement séparés et non inféodés les uns aux autres ainsi que l’expliquait déjà Montesquieu en son temps ? En regard de cette définition, il ne me parait malheureusement pas exagéré de dire que depuis mardi 3 octobre 2017 et le vote de ce projet de loi monstrueux, la France est sortie de l’Etat de droit. Lire la suite