
La grande vague de Kanagawa – Katsushika Hokusai
Depuis 2017 et son accession au pouvoir, Emmanuel Macron mène une politique de classe et d’attaque en règle contre le modèle social français. Démantèlement progressif des cotisations, destruction méthodique des protections des salariés dans le code du travail, volonté de mettre à mal les retraites, c’est bien à une attaque globale que nous assistons. En parallèle des efforts qu’il impose aux classes populaire et moyenne, le pouvoir accorde avantage sur avantage aux possédants et aux classes supérieures. Instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (ou flat tax) sur les revenus du capitaux, suppression de l’ISF et autres cadeaux répondent à un objectif de bien commun si on écoute le monarque présidentiel et ses affidés.
Il y a quelques temps en effet, Monsieur Macron avait expliqué par une métaphore alpine – que bien des alpinistes ont d’ailleurs déconstruite – quelle était la vision qu’il adoptait en menant une telle politique. Evoquant les « premiers de cordée », le successeur de François Hollande avait affirmé que leur tomber dessus revenait à avoir des effets négatifs sur tous les autres, « ceux qui ne sont rien » comme il avait appelé quelques temps auparavant « ceux qui ne réussissent pas ». Cette vision qu’il a explicitée par cette métaphore n’est autre que la théorie du ruissellement (dite du trickle-down en version originale).
Les faits contre l’enfumage
Apparue pour la première fois en 1896 dans la bouche de William Jennings Bryan alors candidat démocrate à la présidence étasunienne postule qu’il ne faut pas légiférer pour redistribuer les richesses et laisser les grands possédants tranquilles puisque leur richesse sera réinvestie dans l’économie réelle, ce qui profitera à tout le monde. Tout ceci s’inscrit dans le vieil imaginaire libéral défini par Bernard Mandeville dans sa Fable des abeilles selon lequel les actions des individus pris isolément, quand bien même ceux-ci poursuivent leurs intérêts propres, concourent in fine à l’intérêt commun.
Au tournant des années 1980 avec l’arrivée de Thatcher en 1979 puis de Regan début 1981 à la tête respectivement du Royaume-Uni et des Etats-Unis, l’offensive néolibérale a utilisé la théorie du ruissellement comme pivot de sa pensée en plus du pilier de la responsabilité individuelle. Quelques années plus tôt le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt avait initié le mouvement en affirmant que « les profits d’aujourd’hui sont les investissements et les emplois d’après-demain ». Le problème de toute cette théorie est bien entendu qu’un tel intérêt de laisser les mains libres aux possédants n’a jamais été réellement démontré par les faits. Aujourd’hui plus encore qu’hier avec la dérégulation financière qu’a été la mondialisation, les revenus laissés à ces hypers riches transitent par les places boursières et ne ruissellent que comme ruissellerait l’urine sur le battant des toilettes.
La plus idéologue des idéologies
Depuis le surgissement de la crise du nouveau coronavirus, Emmanuel Macron a tenté de faire croire à un infléchissement de son positionnement. Proclamant son amour du service public et son respect des petites gens en première ligne – les « premiers de corvée » comme ils ont été rebaptisés pour faire écho à l’expression citée plus haut – le locataire de l’Elysée nous prend allègrement pour des lapins de trois semaines, dans la mesure où même l’expression chemin de Damas ne suffit pas à décrire ce qu’il tente de nous faire gober. Tentant de nous faire croire à une réincarnation de Julien l’Apostat, Emmanuel Macron ne fait que démontrer avec une lumière crue à quel point l’idéologie au pouvoir depuis des décennies fait fi des réalités.
L’argument de l’idéologie, de l’utopie et tous les termes de ce type sont bien souvent, dans les médias dits dominants, utilisés pour brocarder l’opposition de gauche à ce système mortifère dans lequel nous vivons. C’est une manière, en quelque sorte, de dire « regardez nous sommes les sérieux, les responsables, n’écoutez pas les vendeurs d’histoire ». Ce procédé très commode a deux principaux avantages, il tend à délégitimer les modèles alternatifs quand bien même ceux-ci, comme le modèle du salaire à la qualification de Bernard Friot par exemple, sont bien plus rationnels que le leur et surtout il permet de camoufler l’idéologie idéologue qui gouverne depuis des décennies et se moque éperdument des faits. Le ruissellement c’est, en géologie d’après le CNRTL, « l’écoulement à la surface du sol, des eaux de pluie ou de celles de la fonte des neiges, pouvant constituer un facteur d’érosion important ». Il est temps de pratiquer notre théorie du ruissellement et de faire s’éroder ce système fou.
[…] 27 mai 2020 Marwen En quelques lignesInégalités, Néolibéralisme, Redistribution […]
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