S’il est bien un sujet qui suscite des réactions tant hystériques qu’irrationnelles, c’est bien celui de l’imposition. Présentés comme une spoliation par l’Etat par les libéraux de tous poils, les impôts semblent être devenus une nouvelle forme de Léviathan, un monstre qu’il faudrait tout faire pour combattre. Editorialistes et autres penseurs néolibéraux de think thank invités partout sur les plateaux télé n’ont qu’un seul mot à la bouche dès lors que l’on aborde le sujet de l’imposition : baisser les impôts qui seraient devenus insoutenables. Ne reculant devant aucune caricature pour faire entrer la réalité dans leur vision du monde, ceux-ci passent leur temps à nous expliquer que l’Etat français est ventripotent et que la pression fiscale serait trop forte sur les Français.
Pourtant, à y regarder de plus près, le principal problème de l’imposition française est précisément qu’avec le temps elle est devenue de moins en moins progressive. Sans même parler de l’évasion et de la fraude fiscales, l’imposition française est une forme de gruyère permettant aux plus riches de profiter de niches et autres flat tax pour payer, en proportion, moins d’impôts que les classes moins aisées. Loin d’être une chimère gauchiste ou une mesure punitive, de forts taux d’imposition peuvent se révéler être à la fois bénéfique pour l’économie et symbolique d’une politique plus juste socialement.
La progressivité en question
L’un des principes cardinaux de l’impôt sur le revenu à la française est celui de la progressivité. En d’autres termes il s’agit de dire que plus vous gagnez d’argent plus le pourcentage de prélèvement est élevé sur les fractions supérieures de votre revenu. Parce que c’est là l’une des grandes caricatures qui est faite sur l’imposition, la question des tranches d’imposition. Quiconque a déjà payé des impôts le sait très bien – ce qui est évidemment le cas de ceux qui professent ces mensonges à longueur de temps – la méthode d’imposition procède par tranche et n’est pas linéaire, c’est bien tout le principe de la progressivité.
En France, par exemple, le taux marginal maximal d’imposition est de 45% : pour les revenus dépassant 153 783€, le taux d’imposition est de 45%. Cela ne revient pas à dire, comme l’expliquent certains dans des mensonges éhontés, qu’une personne ayant un revenu supérieur à 153 783€ paye 45% sur l’ensemble de ses revenus, il ne le fait que sur la partie des revenus dépassant ce seuil (ce qui représente en réalité un taux moyen d’imposition de 32,7%). Avec 5 tranches d’imposition et un taux marginal à 45%, l’impôt sur le revenu n’est finalement plus très progressif, sans même prendre en compte toutes les stratégies d’évitement fiscal. Une profonde et ambitieuse réforme de l’imposition pourrait créer beaucoup plus de tranches et porter le taux marginal à un niveau bien plus élevé.
L’exemple Roosevelt
Bien entendu, une telle vision est fortement critiquée et brocardée par la doxa néolibérale qui gouverne dans ce pays et est bien plus encline à vouloir baisser les impôts sur les plus riches, supprimer l’ISF, instaurer la flat tax sur les revenus du capital. Sorte de nouveau point Godwin dans leur bouche, le rappel de l’URSS, des goulags et de tout cet imaginaire est rapidement présenté à tous ceux expliquant qu’il faut mettre en place des politiques de redistributions plus ambitieuses et porteuses de justice sociale. C’est pourtant du côté des Etats-Unis que l’on trouve, dans l’histoire, un bon exemple d’imposition à taux très élevés et à assiette très large.
Roosevelt à son arrivée en 1933 à la tête des Etats-Unis, trouve un pays parcouru par un fort sentiment d’injustice sociale et fiscale après la politique libérale menée notamment par Andrew Mellon dans les années 1920. Très rapidement Roosevelt fait de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales l’une de ses priorités mais il faut attendre 1935 pour voir la mise en place d’une réforme fiscale d’envergure visant notamment à faire payer les plus riches. L’accroissement des impôts sur les plus riches et les entreprises envoie un message politique fort : le paiement des impôts doit effectivement refléter la capacité de chacun à les payer et il est nécessaire et juste de mettre en œuvre une forte progressivité de l’impôt sur le revenu. Roosevelt accepte certes quelques taxes ponctuelles sur tel ou tel produit mais il est farouchement opposé à toute taxe de type TVA car il les considère comme régressive et injuste. Longtemps, il est resté favorable à une imposition sur le revenu à base étroite avec des taux élevés. Si la guerre lui fera changer d’avis sur la question de la base de l’impôt sur le revenu qu’il élargira, le taux marginal d’imposition était alors de 90% (soit deux fois plus que le taux marginal français actuel). Et il ne me semble pas que Roosevelt soit connu pour être un affreux communiste.
Crédits photo: Futura-Sciences