Les Implant Files et l’esprit du capitalisme néolibéral

Depuis dimanche et la révélation du scandale par Le Monde, nous assistons à un déversement presque continu d’informations toutes plus scandaleuses les unes que les autres. Le travail du consortium des journalistes d’investigation mené pendant plusieurs mois a effectivement permis de démontrer à quel point la législation à l’égard des dispositifs médicaux – principalement les prothèses de tous types – était extrêmement permissive et ne s’intéressait finalement que très peu aux lourds questionnements de santé publique que posent ces dispositifs médicaux. Mardi, l’émission Cash investigation était consacrée à ce sujet en centrant son étude sur le cas français et les révélations effectuées dans le cadre du sujet sont proprement édifiantes. Il serait présomptueux de prétendre en faire la liste dans ce papier, mais l’émission est disponible ici sur YouTube.

Pour résumer grossièrement ce que celle-ci nous apprend, l’on pourrait dire que tous ces implants ne sont pas réellement contrôlés. N’étant pas considérés comme des médicaments, ils n’ont en effet pas besoin d’autorisation préalable de mise sur le marché si bien que l’Agence Nationale de sécurité des médicaments (ASNM) est bien dépourvue pour agir. Si on peut effectivement lui reprocher de ne pas avoir sonné l’alarme plus tôt, la législation l’empêche en réalité d’agir frontalement contre les multiples problèmes d’implants (des prothèses mammaires aux prothèses vaginales en passant par certaines valves cardiaques) qui sont répertoriées. Pendant ce temps, un nombre important de personnes (principalement des femmes) souffrent en raison de ce laxisme qui, selon moi, est totalement dû à l’esprit du capitalisme néolibéral.

 

Quand l’escroc s’auto-contrôle

 

L’une des principales révélations de Cash Investigation réside assurément dans le fait que les procédures de contrôle de mise sur le marché de tels implants sont très laxistes. Pour entrer sur le marché européen, les entreprises n’ont effectivement qu’à obtenir le fameux agrément « conformité européenne » que nous voyons sur l’ensemble des produits. Dit comme cela l’on pourrait penser qu’une instance européenne est chargée de contrôler le respect des normes et donc de cette fameuse conformité. Dans la réalité, les pays de l’UE ont délégué ce rôle à des entreprises privées payées par les entreprises souhaitant entrer sur le marché. Nul besoin d’être grand clerc pour saisir à quel point le conflit d’intérêt est important dans la procédure.

Mais plus grave encore que cet état de fait, ce sont les entreprises souhaitant introduire un implant sur le marché européen qui fournissent elles-mêmes les tests scientifiques, les cabinets se contentant d’avaliser la chose, souvent sans grande expertise si bien qu’il est en réalité possible de faire entrer tout et n’importe quoi sur le marché ainsi que l’a démontré la tentative d’une journaliste néerlandaise aidée par un chercheur britannique d’introduire une prothèse vaginale absolument fumeuse, dangereuse et illustrée dans le dossier de candidature par un filet de mandarines. Nous ne rêvons pas – plutôt devrions-nous dire cauchemardons – pour entrer sur un marché relatif à la santé publique l’on fait confiance aux entreprises souhaitant y accéder sans réellement se soucier de leurs pratiques. Sans doute voyons-nous ici le stade suprême du New Public Management, cette doctrine voulant qu’il faut adapter les politiques publiques aux actions des entreprises. Le règne du profit tout le temps, partout, quitte à saccager des vies.

 

L’impuissance programmée

 

Je le disais plus haut, les autorités sanitaires françaises ont littéralement les mains liées en cela que leur impuissance a été savamment programmée. Dans l’incapacité de faire retirer du marché ces implants qui ne sont pas sous leur juridiction, elles se retrouvent pointées du doigt dans une forme de tartufferie absolument odieuse de la part de responsables politiques qui ne font rien pour mettre un terme aux menaces déjà identifiées. L’exemple des prothèses mammaires est à ce titre éloquent : toutes les études montrent que les prothèses lisses sont sans danger quand les autres peuvent provoquer des lymphomes, une forme de cancer très rare mais en essor du fait des prothèses mammaires non-lisses. Le Royaume-Uni a par exemple interdit ces dernières prothèses mais notre pays semble encore et toujours en retard sur ce sujet, la réaction de la ministre de la santé étant un condensé de mépris et de déconnexion.

Plus largement, la baisse continue des dépenses publiques, le haro sur les fonctionnaires et la diminution des moyens des instances de contrôle ne peuvent qu’aboutir à des scandales sanitaires majeurs dans la mesure où si lesdites instances n’ont plus les moyens nécessaires à leur fonctionnement elles se retrouvent donc mécaniquement dans l’incapacité de mener à bien leur travail qui, rappelons-le, concerne la santé publique. Il n’est en ce sens pas exagéré à mes yeux de dire que tous ceux qui vocifèrent contre les dépenses publiques et appellent à une baisse continue et aveugle des dotations sont des criminels. La charge peut paraitre rude, je la crois pourtant juste. Aussi longtemps que nous vivrons dans la propagande néolibérale affirmant que l’entreprise est plus pertinente que le secteur public et que les dépenses publiques sont l’alpha et l’oméga des problèmes rencontrés par les Etats alors nous perpétuerons un système criminel qui tue tous les jours et pourrit la vie d’un très grand nombre de personnes. Nombreux sont les néolibéraux à régulièrement faire appel au fameux « livre noir » du communisme en prenant pour appui le totalitarisme soviétique pour discréditer toute volonté de changer de système. Il serait grand temps, d’ouvrir le livre noir du capitalisme et de voir que ce système a bien plus tué que l’ensemble des totalitarismes réunis.

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