Le séisme Ghosn et ses répliques

C’est une annonce qui a fait l’effet d’une bombe au sein du capitalisme et du grand patronat français. Il faut dire que l’arrestation de Carlos Ghosn ainsi que son placement en détention pour fraude fiscale est un véritable coup de tonnerre dans le monde du CAC 40. Le désormais ancien patron de l’alliance Renault-Nissan était effectivement vu comme l’un des plus grands et des plus solides patrons français. Polyglotte, président aux destinées du plus gros constructeur automobile mondial, bien inséré dans tous les cercles du pouvoir politico-économique et bénéficiant d’une aura ainsi que d’un poids considérables dans son rapport de force avec l’Etat – actionnaire de Renault – Carlos Ghosn était vu comme quasiment intouchable.

S’il ne faut pas exagérer la portée de l’arrestation de l’ancien chef d’entreprise et lui accorder une signification qu’elle n’a pas, il me semble néanmoins que celle-ci en même temps que les réactions suscitées en disent très long sur l’état de notre pays. Evidemment, le Japon n’a pas pour ambition de mettre un terme aux turpitudes du capitalisme et l’éviction de Carlos Ghosn répond bien plus à une volonté de prendre le contrôle sur l’alliance Renault-Nissan – il y a quelques années le METI n’aurait sans doute jamais appuyé une telle révolution de palais – dans une logique de protectionnisme toujours plus exacerbé. Il n’en demeure pas moins que cette séquence est riche d’enseignements.

 

Le cruel reflet

 

Plus intéressant que l’arrestation en elle-même de Carlos Ghosn est, à mes yeux, le miroir qu’une telle arrestation tend à notre pays. L’une des premières réactions du gouvernement français a d’ailleurs été, par la voix de Bruno Le Maire, d’affirmer que le dirigeant d’entreprise était en règle avec le fisc français. La promptitude avec laquelle cette annonce a été faite a de quoi laisser songeur en cela que l’on ne peut s’empêcher d’y voir un moyen de protéger tant l’image que la réputation de Carlos Ghosn en même temps que la preuve d’une enquête bâclée pour ne pas dire fictive. Le miroir que nous tend le Japon avec cette affaire a de quoi rendre les dirigeants politiques de ce pays honteux.

Il est en effet absolument inenvisageable qu’une telle affaire voit le jour en France avec le système institutionnel actuel.  Le verrou de Bercy – qui consiste en l’obligation que le ministère de l’économie et des finances saisisse la justice pour qu’elle enquête sur des cas de fraude fiscale – empêche effectivement toute indépendance de la justice sur ces sujets puisque bien souvent ce sont des accords amiables qui sont trouvés avec les fraudeurs. Plus encore que cette question, les multiples réactions provenant tant du CAC 40 que des responsables politiques ont de quoi interloquer. Les mêmes qui n’hésitent pas à charger la barque d’un SDF ayant volé un croûton de pain ou qui nous expliquait que « comprendre c’est déjà excuser » il n’y a pas si longtemps sont désormais en train de courir les plateaux pour décrire à quel point Carlos Ghosn était un grand patron et qu’il faut en tenir compte. En d’autres termes, c’est tout à la fois la consanguinité de la caste politico-économique qui est mise à jour – ce qui est assez ironique en cela qu’elle est mise à jour par un pays réputé pour les liens entre milieux d’affaires et milieux politiques – en même temps que le sentiment d’impunité absolue parmi les puissants.

 

L’arbre tombé, la forêt ébranlée ?

 

Si l’on renverse la perspective, l’on pourrait se dire que ces réactions odieuses sont finalement le signe d’une certaine crainte parmi ces milieux. Je l’ai dit plus haut, Carlos Ghosn était considéré comme quasiment intouchable, comme le meilleur d’entre eux pour reprendre une expression bien connue. En ce sens, l’ex-dirigeant faisait figure de symbole de cette caste triomphante qui a tiré tous les profits du capitalisme financier et qui fricote avec les lieux de pouvoir à longueur de temps. Voir l’un des leurs, peut-être le plus puissant, accusé de fraude fiscale, déchu de son titre de noblesse financière et enfermé derrière les barreaux a peut-être de quoi les faire peur.

Jamais les grands médias n’auront d’ailleurs consacré autant de pages, de lignes et donc de temps à la question de la situation des prisonniers que depuis l’arrestation de Carlos Ghosn. Une telle attention (ou compassion) serait presque attendrissante si on ne la mettait pas en regard de leur mépris souverain pour les conditions de détentions – bien plus scandaleuses – des dizaines de milliers de prisonniers français forcés de vivre dans des prisons insalubres et régulièrement pointées du doigt par différents rapports. Pourtant, dans le cas des prisons françaises, nul émoi ou compassion à l’égard des prisonniers. Cette insupportable solidarité de classe a de quoi provoquer l’ulcération mais elle est, à mon sens, également le signe d’une certaine fébrilité. En voyant Carlos Ghosn derrière les barreaux, n’ont-ils finalement pas peur de s’y retrouver un jour ? A la condition évidente que nous changions la législation de ce pays à commencer par faire sauter le verrou de Bercy, la peur doit changer de camp. D’aucuns diront sans doute que je parle encore et encore de la même chose mais j’arrêterais de le faire le jour où ces escrocs seront mis hors d’état de nuire.

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