La dernière fois qu’Emmanuel Macron s’était exprimé lors d’un journal télévisé, c’était à la suite du remaniement. Après plusieurs jours de flou il avait finalement pris la parole pour expliquer qu’il maintenait son cap et qu’il était convaincu du bien-fondé de sa politique. C’était il y a à peine quelques semaines et rien ne laissait alors suggérer que le monarque présidentiel prendrait à nouveau la parole dans un avenir proche. C’est pourtant ce qu’il a fait mercredi soir en direct du porte-avion Charles de Gaulle comme pour signifier à tout le monde qu’il se présentait comme un chef prêt à braver la tempête.
Il faut dire que le locataire de l’Elysée et son gouvernement attendent avec une appréhension certaine de voir quelle sera l’ampleur de la mobilisation des gilets jaunes prévue demain. Appelant à bloquer les routes pour protester contre la hausse des taxes sur les carburants, le mouvement s’est progressivement amplifié pour désormais agréger de nombreuses colères et un fort ressentiment à l’égard d’un pouvoir toujours plus imbu de lui-même et enfermé dans sa tour d’ivoire. Si cette mobilisation citoyenne et spontanée fait si peur à Emmanuel Macron, c’est assurément parce qu’elle est difficilement prévisible et encore moins contrôlable. Faut-il donc voir dans cette mobilisation du 17 novembre le début d’un mouvement capable d’emporter Macron et sa caste ? J’en doute fortement tant ses aspirations profondes révèlent une forme d’égoïsme en même temps qu’une nostalgie d’un poujadisme encore vivace chez certaines catégories de la population.
La légitime colère
Je le disais en introduction, si la motivation originelle de cette mobilisation dite des gilets jaunes est l’augmentation des taxes sur les carburants, celle-ci a agrégé autour d’elle un fort nombre de ressentiments. Il est évident que la question des taxes sur l’essence joue encore le rôle d’agrégateur en cela que dans bien des zones géographiques du pays l’utilisation de la voiture est une nécessité pour quiconque souhaite se déplacer tant le réseau de transports publics a été dépecé – notamment avec la libéralisation du marché des autocars décidée par un Emmanuel Macron alors ministre de l’économie. En ce sens, l’augmentation des prix des carburants pèsent sur les finances de nombreuses familles en grevant leur budget. Osons dire les choses crûment, cette augmentation des taxes sur les carburants censée abonder la transition écologique est un foutage de gueule de plus de la part d’un gouvernement ne faisant rien ou presque pour s’attaquer au problème systémique que représente le changement climatique. Ladite hausse revient une nouvelle fois à taper sur les plus fragiles tandis que, par exemple, le kérosène échappe au débat.
Toutefois, comme expliqué plus haut, il serait injuste de résumer la mobilisation du 17 novembre à la lutte contre la hausse des taxes sur les carburants. Construite autour de cette revendication, la mobilisation en agrège désormais bien d’autres et sonne comme un rappel à l’égard d’un pouvoir sourd aux revendications populaires et tout acquis à sa politique de classe. Finalement, c’est à une explosion de colère, de rage et de désespoir que nous faisons face. Alors que la situation de la majorité des Français est loin de s’être améliorée, l’on constate en parallèle que les plus riches de ce pays profitent à plein régime de la politique menée par la caste en place. C’est assurément l’un des plus puissants carburants de cette mobilisation, sans mauvais jeu de mot.
La colère détournée ?
Pourquoi, dès lors, ne pas soutenir sans condition une telle mobilisation ? Par pur esprit de contradiction évidemment. Plus sérieusement, pour peu que l’on s’intéresse en profondeur aux ressorts qui ont permis à la mobilisation de prendre de l’ampleur à son origine on constate assez rapidement qu’il ne s’agit pas vraiment d’un mouvement de génération spontanée mais bien que ses principaux instigateurs sont assez proches des milieux de la droite radicale et de l’extrême-droite. Quand bien même le Rassemblement National ou Les Républicains ne parviennent pas à capter totalement et à récupérer cette mobilisation, les revendications originelles ne sont pas éloignées de celle du lobby autoroutier qui milite depuis longtemps pour une baisse des taxes sur les carburants.
Plus largement, les revendications de certains des gilets jaunes les plus médiatiques ne semblent pas très éloignées d’un argumentaire anti-taxes qui entre, à mes yeux, en contradiction radicale avec un programme de gauche ambitieux. C’est précisément sur ce point que le spectre poujadiste me semble le plus prégnant en cela que, sciemment ou pas, le mouvement des gilets jaunes parait s’inscrire dans la longue cohorte anti-impôts. Je crois fermement qu’accuser bêtement les gilets jaunes d’être des « beaufs » drogués à la voiture comme on peut l’entendre est absurde. Je crois en revanche qu’il faut essayer d’aller au-delà de la simple revendication concernant les taxes sur les carburants pour voir à quel point le discours des gilets jaunes est structuré et porteur d’une certaine vision de la société. La tentation peut être grande du côté de certains mouvements de gauche de tenter de récupérer cette colère qui, comme je l’ai écrit, est en partie sous-tendue par des thématiques défendues par la gauche depuis des mois. Il est moins confortable mais également plus courageux à mon sens de regarder en profondeur ce qui se dissimule derrière le discours de façade pour bien saisir la complexité de ce mouvement. Si « le courage c’est, comme le disait Jaurès, de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques », alors il est grand temps de faire preuve de courage et de déconstruire le discours anti-taxes qui point tout en comprenant les raisons d’une colère légitime. La victoire des idées est à ce prix.
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[…] l’alpha et l’oméga tant de leurs revendications que de leur positionnement politique. Dans le premier papier consacré au mouvement des gilets jaunes, j’évoquais le spectre du boulangisme dans ce mouvement […]
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