Démantèlement de la SNCF, une certaine idée de la République (2/2)

La lumière crue

 

Souvent, nous avons tendance à ne pas prendre au mot les politiciens lorsqu’ils s’expriment, a fortiori quand ce sont ceux au pouvoir. Cette tendance n’est ni surprenante ni même absurde tant ceux-ci sont experts ès langue de bois et circonvolutions. Néanmoins, il arrive parfois que, sans le savoir la plupart du temps, leurs propos (ou comme dans le cas présent leurs non-dits) révèlent tout à coup d’une manière crue leur pensée, que le filtre qu’ils s’efforcent d’utiliser en permanence s’enraye, que le voile se déchire soudainement. « Il arrive que les décors s’écroulent » écrivait Camus dans son Mythe de Sisyphe et il ne me paraît pas exagéré de dire que nous avons assisté lundi à l’un de ces moments où la pensée profonde parvient à s’échapper de la langue de bois.

En affirmant qu’il utiliserait les ordonnances parce que l’urgence le justifiait, Edouard Philippe a effectivement démontré à quel point la politique qu’il menait était hostile à la Res Publica, au bien commun. Dès lors qu’il s’agit de démanteler le code du travail ou la SNCF, le gouvernement pense qu’il est urgent de le faire. En revanche aussitôt qu’il s’agit d’accorder de nouveaux droits, de lutter contre le mal logement, de mettre les SDF à l’abri, d’agir pour l’écologie alors il n’y a pas d’urgence ou plutôt il y a urgence à ne rien faire. Tous ces éléments qui sont pourtant le ciment d’une réelle République sont laissés à l’abandon. La double-pensée rejoint ici la morgue la plus crasse. Leur arrogance ne se cache même plus, elle est jetée là en pleine lumière. Le roi est nu et il n’est pas très beau à voir.

 

Refuser la politique de la terre brûlée

 

Le parti du Réel – qui ne jure que par l’efficacité et la modernité tout en gardant les yeux grands fermés sur la réalité – incarné par Emmanuel Macron et bien aidé par une partie des médias acquise aux grands industriels qui seront les premiers à profiter d’un démantèlement de la SNCF est déjà en train de mettre en place sa stratégie morbide. Cette stratégie, pluri séculaire, est simple mais continue de marcher : diviser pour mieux régner. Pour mieux justifier sa réforme le gouvernement est en train de jeter en pâture les cheminots et les médias dominants s’en donneront à cœur joie sitôt que les grèves commenceront. La méthode consiste précisément en une abjecte politique de la terre brûlée et de monter les dominés les uns contre les autres.

Déjà nous entendons le refrain sur les soi-disant privilèges des cheminots qui justifieraient le démantèlement de la SNCF. Cette rengaine bien connue va gagner en puissance et le piège qui est tendu (et que la revue Frustration a magnifiquement expliqué dans ce billet de blog) doit à tout prix être évité. C’est l’unité qui leur fait peur, aussi longtemps que nous serons divisés ils ne craindront rien. Ne tombons pas dans cette ornière qui consiste à s’attaquer entre dominés, entre perdants de la politique de Monsieur Macron pendant que les puissants festoient. Souvenons-nous du poème du pasteur Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. / Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. / Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. / Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester » et ne faisons pas en sorte que quand ils s’attaqueront à tel ou tel groupe plus personne ne proteste.

 

Repartir à l’offensive

 

Ce refus de la division ne saurait être la fin de notre action. Pour paraphraser Churchill, celui-ci n’est ni la fin ni même le début de la fin, peut-être est-ce seulement la fin du début. Il est plus que temps d’arrêter de courir derrière chaque outrance de Macron et de sa coterie. Pour le moment, il faut reconnaitre que c’est bien la caste qui dicte le tempo et le rythme des combats quand nous ne faisons que suivre. Il est pourtant bien connu que pour gagner une bataille il est préférable de la mener à domicile et à son rythme. Assez des luttes défensives. Nous le voyons, Macron s’attaque au niveau systémique. Il a été porté au pouvoir par les siens pour ça.

Face à cet horizon qu’on veut nous faire croire indépassable qu’est le capitalisme néolibéral financiarisé il nous faut construire un nouvel imaginaire et ne pas nous contenter de défendre les conquis sociaux. Emmanuel Macron est le visage d’un capitalisme totalement décomplexé et cynique jusqu’au bout des ongles. Face à lui théorisons une autre société, une sortie du capitalisme, la mise en place d’un véritable écosocialisme, le salaire à vie, la socialisation des moyens de production, une réflexion sur les communs. « Au cœur le plus sombre de l’histoire, écrit Camus dans Prométhée aux enfers, les hommes de Prométhée, sans cesser leur dur métier, garderont un regard sur la terre, et sur l’herbe inlassable. Le héros enchaîné maintient dans la foudre et le tonnerre divins sa foi 80 tranquille en l’homme. C’est ainsi qu’il est plus dur que son rocher et plus patient que son vautour. Mieux que la révolte contre les dieux, c’est cette longue obstination qui a du sens pour nous. Et cette admirable volonté de ne rien séparer ni exclure qui a toujours réconcilié et réconciliera encore le cœur douloureux des hommes et les printemps du monde ». Luttons. Luttons encore et toujours. Luttons même jusqu’en enfers. Sinon nous serons perdus.

7 commentaires sur “Démantèlement de la SNCF, une certaine idée de la République (2/2)

  1. Malheureusement il n’y aura que lorsque la peur aura changé de camp que le rapport de force sera en notre faveur que bourgeoisie, capital et laquais politico-médiatique feront profil bas. Mais ce n’est pas avec un jour de grève avec manif traine-savate qui leur donneront des sueurs. Tant que nous ne sortirons pas du, tiédasse, du consensuel et des compromissions, nous perdrons. Pour cela il faut une convergence des luttes et une unité bien au delà des corporatisme. Nous en sommes loin !

    Aimé par 1 personne

  2. on nous a tellement divisé à grand renfort de chaînes infos en continu en nous expliquant qu’il fallait que l’on fasse des efforts pour réformer le système… sauf que Macron est juste en train de tout exploser dans le plus grand des calme.
    On doute tellement de nous mêmes aujourd’hui, que bah ouai quoi..on serait juste des profiteurs ou bien des assistés à vouloir lutter à vouloir sauver un service public garantissant égalité et dignité au plus grand nombre. Le finance silencieuse se réjouit de nos querelles entre pauvres.

    Aimé par 1 personne

  3. Ne changeons rien surtout ! Ne touchons pas la vache sacrée ! N’appliquons qu’un prisme unique, simple (le plus simple le mieux) et rassurant de lecture des situations

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s