Le double discours ou la réalité chassée

Si l’on devait résumer le macronisme en une seule expression, je pense que beaucoup opterait pour le double discours (ou le double langage au choix). Depuis le lancement de sa campagne présidentielle jusqu’à la politique menée par son gouvernement, Emmanuel Macron a effectivement porté à un niveau jamais vu le cynisme et le mensonge. Il ne s’agit évidemment pas de dire que ces deux plaies sont nées avec Monsieur Macron mais il ne me semble toutefois pas absurde de dire qu’il les a portées, avec une constance certaine, à un certain paroxysme. Le successeur de François Hollande a même théorisé ce double discours tout au fil de sa campagne avec sa désormais fameuse expression de « l’en même temps ». Présentée comme moderne et novatrice, la doctrine de l’en même-temps-isme n’est rien d’autre que la normalisation du mensonge et du double discours.

Durant la campagne présidentielle, c’est sans doute sur la question de la colonisation que ce double langage s’est le plus fait ressentir. En Algérie, Monsieur Macron avait parlé de crime contre l’humanité avant de rapidement venir rassurer les tenants d’une France qui ne se « repent pas » et ne cède pas aux sirènes du sanglot de l’homme blanc comme dirait un essayiste identitaire. Depuis son élection, Emmanuel Macron ou les membres de sa majorité (gouvernement et députés) n’ont eu de cesse de pratiquer ce double discours. Sur les migrants, sur les violences faites aux femmes ou encore sur les inégalités pour ne citer que quelques exemples, ce double discours a vite atteint ses limites. Nul n’est dupe des actions menées par ce gouvernement et, de facto, du fait que lesdites actions ne répondent en rien au discours présidentiel et gouvernemental. Néanmoins, loin d’être une fin en soi, ce double discours est selon moi une manière de chasser la réalité pour mieux imposer le Réel.

 

La réalité congédiée de l’Assemblée

 

Cette volonté farouche et forcenée d’expulser la réalité, de la cacher sous le tapis n’épargne bien évidemment pas l’Assemblée nationale. Ce qui devrait être le lieu de la représentation nationale est régulièrement expurgé de tout rapport à la réalité des Français. C’est un fait qui a déjà été étudié mais parmi les nombreux députés de La République en Marche, il n’y a pas de personnes issues de milieux modestes et dominés de notre société. J’en avais déjà longuement parlé mais la société civile si chère à Macron n’est pas réellement le peuple français dans sa diversité et sa complexité. Ladite société civile n’est en réalité qu’un nouveau masque posé sur le Vieux Monde. Le président de la République applique à merveille les préceptes du marquis de Lampedusa dans Le Guépard : « pour que tout reste comme avant il faut que tout change », souvent transformé en « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Cette chasse acharnée de la réalité au sein de l’Assemblée nationale ne s’arrête bien évidemment pas aux simples députés de la majorité. Dans un récent entretien au média en ligne Brut, François de Rugy le président de l’Assemblée nationale a fustigé les députés de la France Insoumise, en particulier François Ruffin, pour leur propension à, selon lui, faire le spectacle et être dans la course aux likes. Ce cher monsieur, qui semble avoir autant d’honneur que de cohérence politique, n’a pas l’air de s’apercevoir qu’il n’est pas question de likes sur facebook ou de retweet sur Twitter quand François Ruffin vient en maillot de foot dans l’Assemblée nationale – chose pour laquelle il a écopé d’une amende – mais qu’il s’agit bien plus d’un moyen de refaire entrer la réalité dans le Palais Bourbon, là où elle ne devrait jamais être absente.

 

Le Réel plutôt que la réalité

 

Au-delà de la question de l’Assemblée nationale, c’est toute la ligne politique et idéologique de la majorité présidentielle qui a quelques problèmes avec la notion de réalité. Evidemment, personne parmi eux ne le dira aussi frontalement. En bons adeptes de Machiavel ils ont compris qu’il valait mieux user de ruse quand il s’agit de ce genre de combat. S’ils expulsent la réalité – sans le dire clairement – c’est au nom du Réel. Il faut ici comprendre qu’il s’agit du concept de Réel et non pas du réel comme on l’entend dans le sens courant. Convoquer le Réel de manière grave et péremptoire est la marque de fabrique de ce capitalisme néolibéral qui affirme être rationnel alors même qu’il est l’un des systèmes les plus fous qui soit. Le Réel c’est lorsque la députée Aurore Bergé signe un rapport affirmant que les professeurs sont éloignés de toutes les réalités sociales du pays.

Cette espèce de novlangue n’a pas d’autre but que d’imposer ses idées et de les faire passer pour rationnelles, irréfutables, en bref de tuer la politique et la démocratie qui sont, par essence, conflictuelles. Expulser la réalité des situations sociales affreuses de notre pays et la remplacer par le Réel des chiffres bidonnés et autres rapports grotesques se présentant sous l’apparat de l’expertise et de la rationalité est assurément la manière la plus pertinente qu’ils aient trouvé pour faire avancer leurs idées et justifier leurs politiques innommables. Parler du Réel revient à éviter de dire que la politique menée est une politique inégalitaire au possible, faite au service des plus riches de notre société et qui heurtera de plein fouet les plus dominés. En face de cette volonté forcenée de parler du Réel pour mieux expulser la réalité, il est, je crois, de notre devoir d’agir comme Orwell le journaliste et montrer, patiemment et avec détermination, la froide réalité, l’odieuse réalité, l’affreuse réalité du monde qu’ils veulent.

 

Le mythe du Réel est à déconstruire urgemment. Dans la Grèce Antique, le mythe – qui dérive de muthos – définissait le domaine de l’opinion fausse, de la rumeur, du discours de circonstance. En somme, le mythe est le discours non-raisonné, qui se veut être une forme de fable. Par opposition, le logos était, lui, le discours raisonné. C’est précisément le passage du muthos au logos qui a posé la pierre fondatrice des philosophes de la Grèce Antique. Il est grand temps de sortir collectivement de la caverne.

2 commentaires sur “Le double discours ou la réalité chassée

  1. « La société de l’argent et de l’exploitation n’a jamais été chargée, que je sache, de faire régner la liberté et la justice. Les Etats policiers n’ont jamais été suspectés d’ouvrir des écoles de droit dans les sous-sols où ils interrogent leurs patients….Et si ce siècle implacable nous a appris quelque chose, c’est que la libération sera économique ou elle ne sera pas. »
    Albert Camus « Restaurer la valeur de la liberté »

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