L’hommage à Johnny Hallyday ou les chrysanthèmes du mépris

Samedi dernier, des dizaines de milliers de personnes ont assisté à « l’hommage populaire » – figure rhétorique bien confortable pour ne pas avoir à dire qu’il s’agissait d’un hommage national – rendu à Johnny Hallyday. La dépouille du chanteur a descendu les Champs Elysées avant d’arriver à l’Eglise de la Madeleine pour une cérémonie religieuse. De nombreuses personnalités étaient présentes pour cet ultime hommage et Emmanuel Macron a même pris la parole. Ce qui était marquant, toutefois, était de voir cette foule massive et compacte venue faire un dernier salut à celui qu’elle considère comme une idole.

Comme bien souvent lors de ces moments de commémorations, de nombreuses questions sont soulevées non seulement par ce rassemblement mais également par les réactions qu’il a suscitées. Je crois, en effet, que les multiples commentaires autour de cet hommage nous renseignent bien plus sur l’état actuel de notre pays que l’hommage en lui-même. Il me semble, à ce titre, que l’un des éléments les plus saillants qui s’est donné à voir autour de cet hommage a été une forme de mépris, je dirais même un double mépris à l’égard de ceux, qui sincères, ont été profondément bouleversés par la mort de leur chanteur favori.

 

Méprisable mépris

 

Dès l’annonce de la mort de Johnny Hallyday et à la vision de réactions éplorées, certains se sont empressés de faire étalage de tout leur mépris et leur morgue à l’égard des personnes sincèrement troublées par la disparition de leur idole. Je crois pourtant que l’on peut n’avoir jamais apprécié Johnny et être très critique à l’égard de l’hommage qui lui a été rendu en grande pompe – nous y reviendrons – sans pour autant tomber dans le mépris de passionnés qui, eux, n’y sont pour rien dans la grandiloquence avec laquelle l’Etat a organisé ledit hommage. Il est effectivement fort méprisable, à mes yeux, de mépriser la passion d’une personne. En cela, les ricanements entendus notamment chez une partie de ce centre gauche urbanisé et souvent aisé confine selon moi au mépris de classe pur et dur.

Dans sa vision, c’est la France des beaufs qui a pleuré le chanteur, cette France rurale ou semi-rurale qu’il aimerait bien mettre sous le tapis, cette France qui est considéré comme un peu conne parce qu’elle vote Front National, finalement cette France qu’il aimerait bien voir disparaitre parce qu’elle ne correspond pas à ses canons. Il est d’ailleurs assez étonnant d’avoir vu une partie des passionnés de football, notamment sur Twitter, ricaner de la même manière face aux réactions anéanties des fans du chanteur. Nous qui sommes régulièrement traiter de veaux eu égard à notre passion nous devrions être les premiers à comprendre la leur, de passion. Parmi les supporters marseillais, nombreux seront sans doute les personnes dont le cœur se serrera à la mort de Bernard Tapie, quand bien même celui-ci est un escroc notoire. Dans ce tableau fort peu glorieux, ce qui s’est donné à voir est le fossé grandissant entre deux France, fossé dont tente de profiter les forces réactionnaires de manière éhontée.

 

La farce de la communion

 

Le terme communion est originellement issu du vocabulaire religieux. Il désigne en effet l’union de plusieurs personnes dans une même foi. Il ne me semble pas absurde de voir dans ce qu’il s’est passé samedi une forme de communion religieuse voire même de communion entre le show business et la religion. Par extension, communion désigne le partage des mêmes idées ou d’un même sentiment. C’est précisément à cette farce que nous avons assistée le week-end dernier quand un certain nombre de membres de la caste politicienne au pouvoir depuis des décennies dans ce pays était présent pour la cérémonie. Certains laudateurs de ces personnes sont mêmes allées jusqu’à expliquer que la présence de personnalités de droite était la preuve que la gauche avait définitivement abandonné la France périphérique contrairement à cette partie de l’échiquier politique. Je crois, pourtant, que cette posture est la plus méprisante qui soit à l’égard de cette France périphérique que tout le monde ou presque s’accorde à faire concorder avec les fans de Johnny quand bien même nous n’avons pas d’éléments tangibles pour asseoir cette analyse.

Mais puisque c’est ainsi que cela a été présenté, c’est le positionnement politique des politiciens présents qui m’intéresse et le message qu’ils ont voulu renvoyer. En étant présents, ils ont assurément tenté de montrer qu’ils communiaient avec la France périphérique et qu’ils ne l’abandonnaient pas. Il faut pourtant bien plus qu’un partage, feint ou réel, à une émotion pour être réellement aux côtés d’une France qui souffre des réformes néolibérales depuis des décennies. La vraie réponse à apporter aux problèmes de cette France, ce ne sont ni des couvertures de survie – distribuées à ceux qui attendaient la dépouille du chanteur par les mêmes qui les ôtent aux personnes vivant dans la rue – ni l’organisation d’un hommage à grand frais pour l’Etat pour une personne qui a tout fait pour ne pas payer ses impôts en France (je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il faut faire une hagiographie d’une personne sitôt qu’elle est décédée et oublier ses torts). Il n’y a néanmoins rien de fortuit dans cette posture. Incapables de répondre socialement aux problèmes rencontrés par ces Français, la caste au pouvoir tente de se rattraper aux branches en participant à un hommage et en substituant la question identitaire à la question sociale comme en témoignent les derniers propos de Finkielkraut sur les « non-souchiens », propos qui ont furieusement rappelé les appels abjects à la désolidarisation après l’attentat contre Charlie Hebdo.

 

Nous le voyons donc, il est important de se tenir hors de tout manichéisme. Dans le simplisme binaire que l’on essaye de nous imposer il faudrait en effet soit dire amen à la cérémonie qui a eu lieu samedi soit mépriser la passion des personnes fans de Johnny. Il me semble que la vie est un peu plus complexe que cela et que c’est précisément en entrant dans cette complexité que l’on peut toucher du doigt le fond des choses. On peut, je crois, respecter la peine des fans sans pour autant sombrer dans l’espèce d’hagiographie qui a eu lieu ce week-end. En ces temps d’hystérie, cela est sans doute un chemin de crête mais notre salut est à ce prix.

15 commentaires sur “L’hommage à Johnny Hallyday ou les chrysanthèmes du mépris

  1. Joli tour d’horizon. Et qu’en savent-ils, par ailleurs, qui leur dit que ces gens étaient de droite. Rien que dans mon entourage, j’ai plusieurs amis qui ont voté Mélenchon en mai et qui pleuraient Johnny à chaudes larmes.

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  2. « respecter la peine des fans »
    Le premier geste de respect de la peine d’autrui (du moins dans la culture que je connais le mieux) est le silence et la retenue.
    Ohé, journaleux en chef et autres médiacrates payés/payant à la ligne ou à la minute, vous êtes-vous entendus?

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  3. Exercice:
    Rédigez le discours de Micron (ni à l’extérieur ni à l’intérieur de la Madeleine, et pour cause…) si JH avait continué à vîîîîvre et si un chanteur populaire fort de plus de 50 ans de carrière était mort à sa place. Vous avez 4 heures.
    (note de l’examinateur: j’espère que ledit Micron sera mort de vieillesse après une trèèèès longue retraite lorsque Lavilliers dédédera)
    (note de l’examinateur2): ceci est un billet d’humeur

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  4. même des soi disant élégances peuvent être d’une vulgarité terrible, et l’encensé Jean dOrrmesson dans ce registre a de manière accablante donné.
    De retour d’un voyage lors du génocide au Rwanda il a osé conclure son article par un :
    des massacres grandioses dans des paysages sublimes…….

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    • Certes, mais on trouve en sous-titre dudit paragraphe, comme citation mise en exergue (et en gras), « Des massacres atroces dans des paysages sublimes »… C’est mieux ! Alors, où est l’erreur ? Dans le texte, dans la citation ? Laquelle des 2 versions est l’originale ? Un correcteur mal inspiré est-il à l’origine de ce massacre grandiose ? Mystère à jamais emporté dans la tombe…

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  5. Pour quelle raison doit-il avoir un choix relativement à cet événement ? Pour quelle raison s’il devait avoir un choix devrait-il être binaire ? En effet on peut très bien être totalement indifférent à cette histoire. Par ailleurs s’il est évident que chacun a le droit de réagir selon ses goûts ou son tempérament à ce décès on a tout autant le droit de trouver débile le spectacle donné par ces fans. En quoi est-ce forcément du mépris de classe ? Pour me résumer : au secours !

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